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Billet de blog 21 novembre 2017

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Catalogne. Une défaite sans reddition et une crise stratégique -1 (Marti Caussa)

L’idée dominante dans le mouvement indépendantiste avant le 27-O était que, suite à la proclamation de la République, celle-ci se mettrait en marche et qu’il faudrait la défendre par la mobilisation. L’éventualité de devoir se défaire de l’administration, d’avoir à accepter la dissolution du Parlament, d’avoir le Govern en exil ou en prison, rien de tout cela n’était venu à l’idée de personne.

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Une défaite sans reddition et une crise stratégique (première partie)

19/11/2017 | Marti Caussa           

Article original en catalan http://www.vientosur.info/spip.php?article12570

Le 27-O [le 27 octobre], le Parlament a proclamé la République Catalane, mais, ni avant ni après, il n’a appelé à la mobilisation pour qu’on la défende ; ce même jour, le Sénat a approuvé l’article 155 et le gouvernement de Rajoy l’a appliqué immédiatement sans rencontrer de résistance : ce fut une défaite. Pourtant ni le Parlament ni le Govern catalan ne sont rétractés et ils n’ont pas non plus reconnu la légitimité du 155, ce qui a amené à l’exil du président et d’une partie du Govern, à l’emprisonnement de huit consellers [ministres du Govern] (sort que subissaient déjà Sánchez [président de l’Assemblée Nationale Catalane, ANC] et Cuixart [président de l’Omnium]) et à la mise en examen de la présidente du Parlament ainsi que d’une partie du Bureau parlementaire : on peut discuter de la pertinence de leurs décisions, et nous le ferons, mais il n’y a pas eu reddition. De toute façon, c’est une crise d’orientation stratégique et de direction du mouvement indépendantiste qui s’est ouverte.

Que s’est-il passé après les 1er et 3 octobre ?

Tant le référendum du 1er que la grève générale du 3 ont été des mobilisations impressionnantes, deux grandes manifestations de désobéissance civile pacifique qu’ont rejointes de très nombreuses personnes nouvelles, dont beaucoup n’étaient pas indépendantistes : jamais la défense de la démocratie et du droit de décider n’avait rassemblé autant de gens. Pour décrire la situation j’ai parlé de deux pouvoirs en conflit (Govern/Parlament et Etat espagnol) et d’un sujet en construction (les gens qui ont rendu possibles les 1er et 3 octobre)

Mais le pouvoir de l’Etat et tous ses défenseurs sont passés à l’offensive de façon immédiate et sur tous les terrains : discours du roi le 3, fuite d’entreprises, manifestation espagnoliste du 8, ultimatum de Rajoy à Puigdemont le 11, nouvelle manifestation espagnoliste le 12, emprisonnement des Jordis le 16, etc.

La première initiative du Govern ne s’est produite que le 10, quand Puigdemont proclama la République catalane et suspendit ses effets peu de secondes après afin de rechercher le dialogue avec le gouvernement central. La principale des critiques que j’ai faites en son temps me paraît toujours correcte : « N’avoir rien proposé en positif afin d’essayer de regrouper, dans un nouveau sujet politique, toutes les personnes qui s’étaient retrouvées dans la mobilisation des premiers jours d’octobre ; commencer la phase participative du processus constituant pouvait être une réponse attractive pour ces secteurs, par l’invitation à s’intégrer à ce que nous dessinions du pays que nous voulons, à construire une démocratie participative comme il n’en a jamais existé ni en Catalogne ni en Espagne ». Je pense maintenant qu’il aurait fallu aussi avoir expliqué clairement que les résultats du référendum du 1-O, malgré leur valeur et leur légitimité, ne configuraient pas une légitimité suffisante pour rendre immédiatement effective la République Catalane et que l’élargissement de cette majorité par un appel à dessiner démocratiquement le pays à travers le processus constituant n’était pas seulement urgent mais qu’il aurait fallu l’entamer bien avant (les conclusions de la commission d’étude du Parlament datent de juillet 2016). Reconnaître la réalité, dire la vérité et admettre les erreurs, cela aurait été dur mais n’aurait pas démoralisé si, dans le même temps, une proposition pour avancer avait été faite.

Il semble clair aujourd’hui que le Govern était au courant de la difficulté de la situation, mais il n’en disait rien, il ne disait pas la vérité sur ses problèmes internes, il ne reconnaissait aucune erreur et il ne faisait aucune autre proposition au mouvement, pour qu’il avance, que d’être confiant et d’attendre le 27. C’est ainsi que l’on a laissé filer des jours décisifs, des jours qui valent des années.

L’euphorie du vendredi 27 et le désarroi du lundi 30

Pour donner une idée de ce que les gens attendaient de la proclamation de la République, je trouve significatif cet éditorial de Vicent Partal sur VilaWeb : « Le vendredi soir, la République Catalane et la nouvelle vieille Espagne sans autonomies s’affronteront sur tous les terrains et sur chaque décision, et qui démontrera les samedi, dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi qu’il est le gouvernement effectif et réel du Principat [allusion au statut dont bénéficia la Catalogne sous la Couronne d’Aragon et qui fut effectif jusqu’au XIXe siècle. Aujourd’hui le mot est synonyme de Catalogne], gagnera. Ce sera seulement une question de temps. Si les Mossos obéissent à la Generalitat, nous gagnerons ; et si c’est Rajoy qui les contrôle, nous perdrons. Si les banques agissent en respectant la légalité, nous gagnerons ; et si elles continuent à faire main basse sur notre argent aux ordres de Rajoy, nous perdrons. Si les mairies prennent en compte les ordres des ministres espagnols, nous perdrons ; si elles les ignorent, nous gagnerons. Si les écoles conservent leur modèle, nous gagnerons ; si elles en changent, nous perdrons. Si les députés peuvent entrer et occuper leur siège, nous gagnerons ; dans le cas contraire, nous perdrons. Si la police espagnole parvient à entrer dans le palais [présidentiel] pour arrêter Puigdemont, nous perdrons ; et si, à tous, nous l’en empêchons, alors nous gagnerons… C’est cela qui s’est produit dans tous les processus d’indépendance du monde : il arrive un point où peu importe ce que tel article de telle loi dit, seul compte ce que dit le peuple et, surtout, ce qu’il fait. »

Le vendredi 27, vers midi, le Parlament a proclamé la République et les gens qui entouraient le parc de la Ciutadella s’embrassaient, nombreux étaient ceux qui pleuraient d’émotion. L’après midi on fêta l’événement. Il est vrai que le conseller Santi Vila avait déjà démissionné avant le vote au Parlament, que, durant l’après midi, le drapeau espagnol flottait sur le fronton de la Generalitat et que, peu après, le directeur général de la police [catalane] accepta sa destitution conformément au 155, mais la confiance était toujours là, comme le montre cet autre éditorial de VilaWeb du lendemain : « Je crois qu’il faut d’abord attendre de savoir comment le President et son Govern veulent jouer ce coup et ce que veut faire le Parlament. Rajoy a peut-être court-circuité la capacité administrative de la Generalitat mais il ne peut en aucune façon court-circuiter la politique tant que le President conservera sa fonction, tant que le Govern continuera à être le Govern et le Parlament, le Parlament.”

La douche froide de la réalité est arrivée le lundi 30, quand il s’est vérifié que le President conservait sa fonction mais à Bruxelles, qu’une partie du Govern était avec lui et que l’autre ne se rendait pas à ses bureaux et que le Parlament acceptait la dissolution que lui imposait l’article 155 et que seule restait en place la « diputación permanente » [Commission permanente du parlement] dans l’attente d’élections catalanes convoquées par le Gouvernement espagnol. C’était le constat de la défaite.

Le 31 deux événements ont eu lieu qui avaient des significations très différentes : Santi Vila se proposait d’être candidat du PDeCAT aux élections du 21-D [21 décembre] et Puigdemont tenait une conférence de presse à Bruxelles.

Le programme de Santi Vila était un constat de défaite et un programme de reddition : il se démarquait de ses anciens camarades de gouvernement, avouait qu’il n’avait pas préparé l’indépendance car il ne la considérait pas évidente, qu’il n’y renonçait pas mais qu’il proposait de la faire bien, en suivant la voie prise par le PNV [Parti Nationaliste Basque, nationaliste de droite, dirigeant la Communauté Autonome du Pays Basque] et les Ecossais, en s’en tenant au droit. Il précisait que son programme partait de trois idées indissociables : la défense de l’autogouvernement, l’amnistie des prisonniers politiques et un référendum négocié.

Puigdemont, en revanche, a dit qu’il était à Bruxelles pour dénoncer l’attaque perpétrée contre les institutions catalanes, pour revendiquer qu’il était le président de l’unique gouvernement légitime, pour demander que la communauté internationale s’implique et pour lancer un appel à faire des élections du 21-D un plébiscite en faveur de l’indépendance. On peut être ou ne pas être d’accord avec cette option mais il est clair qu’elle n’est pas une reddition. De manière générale, une fois la surprise passée, la décision du président a été bien accueillie dans les secteurs indépendantistes. Voici, par exemple, comment le professeur Ferran Requejo l’analyse : « Je crois que la décision du président Puigdemont et du gouvernement de la Generalitat de partir à Bruxelles a été un coup de maître politique … Il s’agit d’une décision qui préserve la cohésion du mouvement indépendantiste (qui aurait été pulvérisée si c’était le président de la Generalitat qui avait convoqué des élections) et qui met – au moins pour le moment – la direction du Procés [le processus indépendantiste] hors d’atteinte de l’Etat espagnol, tout en approfondissant la tension politique sur la scène internationale. »

Mais il y a eu aussi des critiques, par exemple celle-ci de l’ANC de Sants-Montjuïc du 3 novembre : « Tandis que les Jordis sont en prison et que d’autres vont très probablement les rejoindre bientôt, dans l’indifférence générale. Quand, après avoir réalisé une, pour ainsi dire, Déclaration d’Indépendance en tremblant des jambes, on nous invite à passer un week end calme mais en fait énervant. Quand, d’un coup, notre Président apparaît en exil. Quand, depuis le pays voisin [l’Espagne !], on nous convoque à des élections à nous…ce ne serait pas le signe que le scénariste de l’Histoire aurait perdu la raison ? Et que dire de tous ceux qui étaient sur le point de défendre la République simplement en mangeant des châtaignes et des panellets [petits gâteaux consommés en Catalogne à la Toussaint]?…Il est évident qu’à partir de maintenant nous devons revoir notre stratégie. Peut-être faudra-t-il moins attendre de savoir ce que disent les leaders et plus décider à la base, malgré les dangers que cela implique. »

Pourquoi a-t-on changé la feuille de route ?

L’idée dominante dans le mouvement indépendantiste avant le 27-O était que, suite à la proclamation de la République, celle-ci se mettrait en marche et qu’il faudrait la défendre par la mobilisation. L’éventualité de devoir se défaire de l’administration, d’avoir à accepter la dissolution du Parlament et la convocation d’élections décidées par l’Etat et d’avoir le Govern en exil ou en prison, rien de tout cela n’était venu à l’idée de personne.

Les premières explications de ce changement sont arrivées de la bouche de la consellera de l’enseignement, Clara Ponsatí et du porte-parole d’ERC [Gauche Républicaine de Catalogne, indépendantiste, probablement la première force politique catalane aux élections du 21-D], Sergi Sabrià ; elles coïncident toutes deux sur l’essentiel. . . Sabriá a expliqué que « le pays et le Govern n’étaient pas préparés à faire face à un Etat autoritaire ne se donnant aucune limite au moment d’appliquer la répression et la violence… Nous étions au point pour développer la République dans un contexte différent de celui où nous nous trouvions. Et devant les preuves claires que cette violence pouvait se produire, nous avons décidé de ne pas franchir la ligne rouge. Nous ne voulions en aucune façon prendre le risque d’avoir à constater s’il y avait des morts »

Le manque de prévision sur la violence que l’Etat pouvait exercer réellement, soit relève de l’excuse, soit dénote de l’incompétence. Car elle était clairement annoncée. Par exemple, dans une entrevue accordée à El Mundo du 22/02/2017, que j’ai citée dans un de mes articles, Juan Luís Cebrián [historique président, tout récemment démis de ses fonctions, de Prisa, propriétaire du quotidien le plus important, et pro-régime, El País], anticipait, de façon assez proche de ce qui est arrivé :

« - Et s’ils convoquent le référendum ?

  • Il faut l’interdire.
  • Et s’ils ignorent l’interdiction.
  • Article 155. On destitue le Gouvernement de la Generalitat. Idem pour le président de la Generalitat. Idem pour la présidente du Parlament. Idem pour un, deux ou trois responsables publics. Pour ceux qui auraient convoqué le référendum. Hors d’état de nuire. On prend le pouvoir.
  • Et alors qu’est-ce qui se passerait ?
  • Alors le débat ce ne serait plus de savoir quand ils récupèreraient l’indépendance mais l’autonomie. La clé, j’insiste, c’est est-ce que les indépendantistes ont ou n’ont pas le pouvoir. Et ils ne l’ont pas. L’Etat, oui. On parle d’envoyer la Garde Civile et immédiatement on dit : ‘ Ah, non, pas la Garde Civile.’ Et pourquoi pas ? La Garde Civile est là pour ce qu’elle a à faire. On dit aussi : ‘Avec les Mossos, c’est suffisant.’ Eh bien, je ne sais pas si ce serait suffisant. »

D’un autre côté, prévoir la répression de l’Etat n’implique pas que l’on ne puisse pas opposer de la résistance pacifique et massive ou que celle-ci ne soit pas aussi efficace que lors du 1-O et du 3-O. Enfin, Sabrià passe de l’aveu qu’ils n’avaient pas prévu une violence qui était pourtant parfaitement annoncée à l’idée qu’ils craignaient une autre violence plus brutale encore dont on n’a pas eu les indices, par exemple, le 8 novembre, au moment des blocages de routes et de voies ferrées alors que l’article 155 était pleinement en vigueur. Il ne prend pas plus en compte que, après l’expérience du 1-O, l’Etat devait éviter que la violence ne soit à la une de la presse mondiale.

Traduction et notes entre crochets dans le corps du texte : Antoine Rabadan

Article intégral en espagnol sur le site de Viento Sur Derrota sin rendición y crisis estratégica. Marti Caussa

Traduction de la deuxième partie à suivre.

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