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Billet de blog 26 avril 2023

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La FSM, ce syndicalisme poutinien en ce 1er mai des peuples moins un...

La FSM appelle à la mobilisation internationale des peuples le 1er Mai pour la défense de leurs droits et revendications. Pour aussi refuser de payer le prix des guerres, comme celle qui a lieu en Ukraine. Or c'est en abordant cette question que se dérègle l'appel généreux dans son esprit mais se révélant être une rhétorique confusionniste et peu reluisante internationalistement parlant.

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Le secrétariat de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) a publié un communiqué de mobilisation internationale pour le 1er mai (voir le document en fin de billet) particulièrement révélateur de son orientation générale inscrite dans la lignée de ce qu'elle était au temps où elle était inféodée à l'URSS stalinienne.

Je m'arrêterai sur les quelques mots que consacre ce communiqué à la guerre en Ukraine et ce qu'il en ressort de l'anti-impérialisme revendiqué par ailleurs car il s'y révèle le noyau dur d'un positionnement de fond que tend à brouiller l'ensemble du texte en ses phrases ronflantes de rhétorique sur l'internationalisme et la solidarité de classe. Internationalisme et solidarité de classe dont on vérifie vite que les Ukrainien.ne.s soumis à la terrible guerre du satrape de Moscou n'ont tout simplement pas droit ! Par où s'affirme la continuité de la fidélité de cette organisation syndicale à la Russie des temps "communistes" (dit plus justement, staliniens) dans la discontinuité d'une allégeance à une Russie ayant basculé dans la logique d'un capitalisme brutal, mafieux, néofasciste et impérialiste ayant conservé, pour ses propres fins, le modèle répressif et dictatorial antérieur.

Les quelques mots lourds de sens malgré l'alambiquée syntaxe portant sur l'Ukraine de ce communiqué qui attestent cette paradoxale continuité assumée par cette internationale intégrant des syndicats liés à diverses dictatures du monde et à laquelle sont affiliées certaines fédérations CGT, sont les suivants : "la bourgeoisie veut que  la classe ouvrière paie le prix de la guerre impérialiste des États-Unis, de l’OTAN et de l’UE avec la Russie en Ukraine." Disons-le, ce "avec" est magnifique de funambulisme hyper acrobatique, en clair, d'un confusionnisme de haute intensité : il évacue le trop frontal "contre la Russie" mais ne trompe que les naïfs. On aurait pu (naïvement aussi ?) s'attendre à lire "la guerre impérialiste de la Russie contre l'Ukraine" mais d'impérialisme il n'y a, pour ces gens, il faut s'y faire, que celui des Etats-Unis, de l'OTAN et de l'UE. De fait cette syntaxe délibérément tordue évite de caractériser la Russie comme impérialiste, de désigner ce qui se passe en Ukraine comme l'invasion impérialiste par la même et, si l'on pousse le bouchon élucidateur plus loin, de caractériser le rôle desdits impérialismes occidentaux d'être le soutien militaire et politique nécessaire, ne nous en déplaise, mais sans que cela signifie s'aligner sur eux, à la défense de l'Ukraine pour éviter le pire, d'être annexée et dominée sans plus de procès par son agresseur impérialiste. Ce prix terrifiant que paye actuellement le peuple ukrainien n'émeut visiblement pas ce syndicalisme si tonitruant par ailleurs dans sa dénonciation du prix en termes de misères que fait payer le capitalisme impérialiste mondial (sauf le russe) aux peuples du monde (sauf l'ukrainien).

Cette continuité de la FSM avec son passé est, pour l'essentiel, celle d'un anti-impérialisme à géométrie variable empêtré dans ce qui a pu être appelé un "campisme" érigeant hier un Etat postulé anti-impérialiste (l'URSS stalinienne) et, aujourd'hui un Etat non reconnu impérialiste (la Russie de Poutine) à défendre dans le premier cas, à...comprendre dans sa légitimité à se défendre, dans le second cas,  contre le seul impérialisme ayant résisté au temps, l'occidental. La mystification est tellement stupéfiante que, au moins pour l'occasion d'un 1er mai fétichisé comme l'essence même de l'unité anti-impérialiste des peuples, ce communiqué fait profil bas sur la guerre en Ukraine mais en en suggérant de biais l'essentiel pour ses auteurs, l'exonération de la Russie de Poutine de toute responsabilité dans les horreurs de la guerre. Tout juste reprend-il la contre-vérité flagrante selon laquelle celle-ci serait imputable, en première instance mais on comprend bien qu'il n'y a guère de seconde instance, à un impérialisme occidental dont tout analyste sérieux sait pourtant qu'il a été aux abonnés absents devant l'effroyable guerre menée par la Russie en Syrie en soutien du sanglant dictateur en place pour le sauver d'une printanière révolution populaire en développement, comme il s'est désintéressé de ce que la même Russie a fait en Géorgie, sans parler de l'annexion pure et simple de la Crimée. On a connu les Etats-Unis et l'Otan plus suractifs ! Ces opérations militaires, ne l'oublions pas, se sont développées, sans plus de réactions desdits Etats occidentaux, sur fond d'une stratégie de "sharp power" (pouvoir pointu, piquant, tranchant) qui "perce, pénètre et perfore l'environnement politique et informationnel des pays cibles ["occidentaux"]". A la différence du soft power, qui sert avant tout à attirer et influencer [pensons au rôle joué hors de la Russie par le média Russia Today ou l'agence de presse Sputnik ou encore "l'usine à trolls de Saint-Petersbourg"], le sharp power russe est constitué d'"actions  informationnelles subversives", dont l'objectif est de tromper, désinformer, semer la confusion ou encore diviser". (Géopolitique de la Russie, p.131, Lukas Aubin, La Découverte, 2022).

Pour ancrer dans nos esprits la réalité alternative concernant la Russie et les rapports internationaux percutés par cette guerre, la FSM comme certaines gauches internationales, en arrivent à faire de la fourniture d'armes obtenue par l'Ukraine l'alpha et l'oméga du cours militariste des Etats occidentaux face auquel le pauvre Etat russe n'a eu d'autre recours que de prendre les devants en attaquant l'Ukraine. Où comment la réalité alternative se nourrit des inversions élémentaires des temps et des données : les Etats-Unis, dans la logique non-interventionniste passée face à la Russie, avaient bien d'autres chats à fouetter du côté de l'Indo-Pacifique que se mobiliser pour une Ukraine qu'ils pensaient condamnée à tomber dans l'escarcelle poutinienne. Mais voilà, et c'est très signifiant qu'une confédération syndicale mondiale s'autoproclamant défenseur de la veuve et l'orphelin contre le monstre capitaliste ne le voit pas, les Ukrainien.ne.s n'ont pas fait déjouer, par leur vaillante résistance initiale, les seuls plans de l'Etat  ennemi agresseur, mais aussi ceux de l'Etat ami pensant pouvoir la jouer beau geste à l'économie (l'exfiltration prévue de Zelensky et puis basta, tant pis pour le bon peuple !) sur son investissement amical avec la veuve et l'orphelin d'Ukraine. La main forcée par les locaux, l'impérialiste US a pourtant vite saisi l'aubaine offerte par le prétentieux chef du Kremlin déboulonné par un petit peuple de son piédestal de Grand Stratège politico-militaire : l'occasion était trop belle, malgré le contretemps induit pour l'effort militaire prévu du côté de la Chine, de s'afficher en grand défenseur des valeurs de la démocratie occidentale en profitant du violentissime repoussoir "asiatique" (!) par lequel se donnait à voir la Russie mais aussi en se gagnant une ferme hégémonie politique et militaire, jusque là assez fragile, sur l'UE, particulièrement en s'appuyant sur les peuples et les Etats de l'aire ex-soviétique qui voient dans ce que subit l'Ukraine le sort qui les attend tout prochainement. Inquiétude partagée par des pays comme la Suède ou la Finlande. Ou comment les Etats-Unis disent merci au faux cynique/hypocrite, vrai loser mais tellement meurtrier, russe !

Pour en finir avec ce triste communiqué syndical perclus d'un épouvantable unilatéralisme analytique à propos d'une des guerres les plus monstrueuses depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, revenons sur ce qu'un passé, faisant retour au présent, sans s'y confondre pleinement, du côté de l'Est européen, peut nous aider à mettre au clair ce que le syndicalisme et les gauches campistes brouillent, favorisant par là, avec quelle inconscience, la survenue d'authentiques crimes de masse. Interrogeons les argumentations fallacieuses des susdits sur, par exemple, la nécessité absolue de la paix à n'importe quel prix, y compris le prix du désarmement de peuples en lutte pour ne pas être plus massacrés qu'ils ne le sont ! En corollaire : au prix d'offrir ces peuples à la domination exponentielle, néofasciste dans le cas de la Russie poutinienne, de leur agresseur, lequel agresseur ne pourrait voir dans cette offrande qu'une invitation à remettre ça !  

Demander que le peuple ukrainien reçoive les armes pour se défendre là où elles se trouvent, c'est-à-dire principalement aux Etats-Unis, ne rappelle-t-il pas, toutes choses égales par ailleurs, ce que tout internationaliste conséquent en 1936 en Espagne et parmi ses soutiens internationalistes étrangers également conséquents attendaient et qui ne vint hélas pas au grand bonheur de Franco et de ses alliés Hitler et Mussolini, à savoir des armes des impérialismes anglais, américains (ou même français certes sous gouvernement de Front Populaire mais impérialiste en tout état de cause) ? Il ne serait venu à personne de sérieusement favorable à l'émancipation des peuples de s'opposer à des fournitures d'armes... impérialistes à l'Espagne antifasciste.

On pourrait aussi penser, au spectacle actuel d'une partie de l'extrême gauche pacifiste campiste, parfois sans se l'avouer (accablant syndrome du déni), à quel farfelu "internationaliste", par ailleurs révolutionnaire anticapitaliste, il serait venu l'idée de s'opposer à l'entrée en guerre des Etats-Unis comme aux mouvements de la Résistance, pour contrer Hitler, en pratiquant, sur le mode "ni Daladier ni Hitler", un défaitisme révolutionnaire né lors de la Première Guerre mondiale mais dont Trotsky, pour nous en tenir à lui, confronté à la marche fasciste (phénomène nouveau) vers la nouvelle guerre mondiale, s'éloigna. En conservant la perspective révolutionnaire mais adaptée aux circonstances induites par l'émergence des fascismes et des conséquences toujours plus mortifères qui s'annonçaient pour les peuples s'ils l'emportaient !

C'est d'ailleurs, ironie de l'histoire à méditer par nos "pacifistes" si spéciaux, le premier ministre anglais Chamberlain, un conservateur bon teint, qui, dans les années 30, symbolisa l'idée, si fortement avancée aujourd'hui par ce syndicalisme de la FSM et la gauche campiste qui lui est proche, d'éviter à tout prix (c'est-à-dire alors au prix de l'abandon à Hitler, après celui de l'Autriche - Anschluss de mars 1938 -, de la Tchécoslovaquie - accords de Munich 6 mois après - et très vite de la Pologne... de conserve avec l'URSS) la guerre mondiale qui menaçait et ne tarda pas, malgré ces capitulations, à arriver dans les meilleures conditions pour Hitler. Alors bien sûr, Poutine n'est pas Hitler mais il est, et cela devrait être un  grave problème, un totalitaire néofasciste mafieux qui voudrait recomposer et cherche à recomposer, à sa mesure et à coups de massacres de peuples, l'ordre international alors que, dans la foulée ukrainienne, il ne fait que se vassaliser à celle qui serait vraiment en mesure de procéder à cette recomposition, la Chine évidemment, attentive à tirer les leçons des échecs militaires russes, avec sa visée sur Taïwan. Laquelle Taïwan pourrait bien être, suite à l'ouverture de la boîte de Pandore des guerres d'annexion par Poutine, l'épicentre des tensions les plus dangereuses pour la paix avec, pour le coup, les possibles retrouvailles avec le bellicisme, relativement mis sous l'éteignoir jusque là et franchement défait en Afghanistan, des Etats-Unis, peu enclins à trop s'impliquer dans un soutien durable à l'Ukraine car coûteux et faisant diversion au regard de cet enjeu, premier et essentiel pour eux, de l'Indo-Pacifique.

Pour conclure sur nos moutons noirs de la FSM, on épinglera leur volonté affichée dans ce texte d'exiger la fin de la guerre en Ukraine (avec en corollaire infâme, là aussi implicite, la cessation de toute aide militaire à celle-ci), véritable feinte rhétorique évitant de nous dire le comment de la chose mais dont on comprend que cela ne passe pas par le soutien à la résistance du peuple de ce pays. Peuple qui ne mérite pas de recevoir en tant que tel la moindre mention explicite d'un tel appui dans ce texte. Et pour cause, preuve par neuf de ce qu'est ce pacifisme de la FSM, il se bat pour la défaite de la Russie poutinienne et son expulsion de son territoire ! Alors la paix, selon la logique de ce genre pitoyable d'internationalistes serait, en l'état, dans le meilleur des cas, c'est dire, d'obtenir qu'un cessez le feu ouvre sur la reconnaissance par les Ukrainien.ne.s de l'annexion des zones occupées à l'est, Crimée comprise, par la Russie. Autrement dit sur le passage de ces territoires, et des populations qui vont avec, sous domination néofasciste russe ! Et tant pis pour celleux qui s'en sont échappé.e.s en sauve-qui-peut angoissé dans l'espoir d'y revenir un jour. Le tout dans l'oubli par lesdits pacifistes à courte vue que cette paix serait pour la Russie une victoire ouvrant sur d'autres guerres, dont ce qui s'est passé en Géorgie donne une idée, comme d'ailleurs la misérable prospective du ministre de la défense russe indiquant cyniquement que la prochaine cible pourrait être la Moldavie qui compte déjà sa région de la Transnistrie (accolée à l'Ukraine) occupée depuis des années par les prorusses avec l'incontournable appui actif de la Russie.

Le présent, n'en doutons pas, bégayerait beaucoup de choses du passé si on continuait à laisser faire sans réagir les escrocs de l'internationalisme telles celleux de la FSM  : Autriche/Ukraine d'abord, puis Tchécoslovaquie/Moldavie ?, Pologne/Lettonie, Estonie, Lituanie, Suède, Finlande ?... Curieuse mécanique de la paix et de l'internationalisme...

Billet modifié le 27 avril à 16h30.

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