Antoine (Montpellier) (avatar)

Antoine (Montpellier)

Abonné·e de Mediapart

1034 Billets

1 Éditions

Billet de blog 27 août 2017

Antoine (Montpellier) (avatar)

Antoine (Montpellier)

Abonné·e de Mediapart

Le mouvement social serait-il soluble dans la France Insoumise ?

Attac sous hégémonie de la FI ? La discussion a été vive, emmenée par ceux et celles qui dans Attac estiment vitale l'indépendance politique de l'organisation. Tout cela est à rapprocher de l'OPA que la FI tente de faire sur toute opposition politique à gauche en se présentant rien moins que comme la "seule alternative" au gouvernement : son succès politique reste pourtant foncièrement un échec électoral.

Antoine (Montpellier) (avatar)

Antoine (Montpellier)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l'université d'été d'Attac à Toulouse il a été question, comme le rapporte Elsa Sabado (Attac cherche son équilibre avec le parti de Mélenchon),  de son rapport à la France Insoumise. En effet certain-es militant-es insoumis-es, qui sont adhérent-es d'Attac, souhaitaient que celle-ci s'accroche au wagon de la FI. Très éclairante de cette position fut l'intervention faite par Eric Coquerel, de la direction de la FI, devant les présent-es, particulièrement cette phrase rapportée par Elsa Sabado : « Si la question des liens avec les mouvements sociaux se pose, elle ne se pose pas en externalité. Vous, c’est nous et nous c’est vous ». Pas en externalité, si les mots ont un sens, cela veut dire en "internalité" ! Attac sous hégémonie de la FI ?

La discussion a été vive, emmenée par ceux et celles qui dans Attac estiment vitale l'indépendance politique de l'organisation. Tout cela est à rapprocher de l'OPA que la FI tente de faire sur toute opposition politique à gauche en se présentant rien moins que comme la "seule alternative" au gouvernement : son succès politique reste pourtant foncièrement un échec électoral, en particulier par l'importance d'une abstention massive qui dévalue les chiffres obtenus par tous les partis, y compris celui de "l'insoumission", ayant participé au scrutin ! Echec électoral d'une stratégie électoraliste qui n'a aucun lien organique avec les mouvements sociaux, ce que l'abstention électorale traduit de façon éclatante, mais qui voudrait se le créer comme le démontre l'appel à sa manifestation du 23 septembre après la mobilisation syndicale et mouvementiste du 12 : les propos d'Eric Coquerel comme l'offensive des insoumis d'Attac montrent qu' il s'agit bien là d'une volonté d'instrumentaliser les mouvements sociaux à des fins électoralistes que nombre d'acteurs de ces mouvements rejettent pourtant.

C'est donc prendre le risque de l'affaiblissement de l'opposition sociale au gouvernement que de vouloir l'hégémoniser politiquement au forceps contre une partie de cette opposition. N'ayant par ailleurs délibérément, de par son cavalier seul, aucune démarche unitaire sur le terrain politique en direction des partis qui s'opposent aux mesures antisociales du gouvernement, ce que Coquerel signifie du rapport qu'il voudrait établir vis-à-vis d'Attac, revient à minoriser celui-ci, à en faire une sorte de courroie de transmission par où se confirme que la FI reproduit en fait de très vieux schémas politiques/politiciens instaurant la main-mise d'un politique sectarisé sur les organisations sociales à vocation pourtant d'ouverture large. C'est vouloir faire tourner à l'envers le cours des choses et c'est, disons-le tout net, voué à l'échec car sous-estimant le niveau... d'insoumission, d'indocilité, des couches les plus actives et novatrices, jeunes en particulier, intervenant sur le terrain social. Lequel terrain social est, au demeurant, à lui seul, un terrain politique largement irréductible à toute tutelle ou enrégimentement par des partis ou assimilés. Qui plus est quand il s'agit de l'articuler, lui très insoumis-abstentionniste, en position de subordination, au terrain de tous les échecs proprement politiques, celui de l'électoralisme dont, quoi qu'en dise la FI, elle a fait les frais, comme hier le Front de Gauche dont elle est issue. A vouloir crever le plafond de verre électoral auquel s'est heurté une deuxième fois Mélenchon, la FI voudrait embarquer le mouvement social pour qu'il lui permette de faire l'appoint de voix dans une aventure, celle d'une "révolution par les urnes", dont il a à nouveau été démontré, par la victoire de Macron, qu'elle a toujours un train de retard sur le système. Une "révolution par les urnes"  dont il peut être considéré aussi qu'elle joue (à son insu ?) le rôle de désactivateur de radicalités antisystémiques au centre de gravité situé, aux antipodes de la FI,  dans les contestations de rue et dans les révoltes dans les quartiers et les lieux de travail...Loin des urnes ! Sans que l'on exclue que les urnes puissent, à l'occasion, leur servir de marche-pied de leur projet autonome de revendications.

La démarche post-électorale de la FI reste dans son cadre électoraliste de base consistant, plus largement, à jouer d'être le relais politique des stratégies des directions syndicales, foncièrement institutionnalistes (1), elles aussi, et opposées à ce que les mouvements sociaux "aillent jusqu'au bout de leur dynamique" qui les rapprocherait d'être des agents politiques à part entière pas spécialement enclins à plier devant les ordonnancements figés du politique, entre autres, l'agencement électoral. La FI a pris acte de la carence du Front de Gauche, embourbé dans une proximité/éloignement vis-à-vis d'un PS au gouvernement austéritaire, et incapable de rien apporter sur le terrain social en termes de semblant de contestation permettant de tenir jusqu'à la prochaine échéance électorale. Cela veut dire, pour revenir à Attac, que son placement sur l'orbite insoumise permettrait, comme le dévoile naïvement Flavia Verri, que l'organisation altermondialiste « apporte son expertise aux élus » de la FI. Devenir les petites mains des députés de la FI... Grandiose épopée en vue ! Plus sérieusement cela permettrait à la FI, dans la complémentarité d'une action syndicale reconnue réservée aux directions confédérales et acceptée comme étant finalement adaptée au calendrier électoral qui lui va si bien, de "gérer" le social en donnant le change de l'expertise pour meubler jusqu'à 2022. Ou, le cas échéant, c'est-à-dire au cas où le mouvement social s'avèrerait coriace et moins que jamais respectueux du temps électoral et ferait tomber le gouvernement (rêvons un peu, c'est ainsi que commencent les révolutions !), cela lui permettrait de se positionner le plus favorablement pour mener une campagne électorale fécondée d'expertise attacienne lui donnant, pensent-elle, la crédibilité pour être majoritaire (sans jamais nous expliquer s'il est sérieux de penser acquérir une majorité absolue à soi seul et, si,  par défaut d'une telle majorité, il ne faudrait pas se résoudre à se trouver des alliés (lesquels ?) permettant de faire gouvernement, à quel prix de concessions, etc.

En contrefeu de tout ce scénario, iceberg dont n'a émergé que la petite phrase si lourde d'implicite d'Eric Coquerel, et surtout à la dynamique qu'ouvrirait une insertion de représentants de mouvements sociaux dans une proximité étroite avec une organisation comme la FI, il y a eu à cette université d'Attac le rappel de ce qui s'est passé en  Espagne avec l'avènement de Podemos et la "prise" de mairies importantes par ... des alliances de sortes d'insoumis : "En Espagne, par exemple, les cadres du mouvement social ont été nommés à des postes à responsabilité dans les mairies prises par Podemos ou Izquierda Unida, comme à Barcelone ou à Cadix. Les représentants espagnols rappellent, lors du débat, la nécessité de rompre avec les institutions, car l’endettement les empêche de satisfaire les revendications pour lesquelles ils ont été élus. Plus grave encore, alors qu’ils ont les poings liés dans les institutions, ils sont absents sur le terrain de la rue, et n’occupent plus leur rôle de contre-pouvoir. « Et pendant que la droite se refait une santé à Barcelone, nous ne sommes pas là », s’inquiète un adhérent espagnol présent dans la salle."

Mais le coup de grâce est venue de Zoi Konstantopoulou, ancienne présidente du Parlement grec qui s'est opposée à la ... soumission du Mélenchon syrizien aux diktats de la Troïka. Eric Coquerel ayant eu l'impudence de se réclamer de Syriza (2) et alors qu'elle participe avec Jean-Luc Mélenchon à la démarche du "Plan B" européen, Zoi Konstantopoulou n'y est pas allée par quatre chemins sur ce qui était en débat à Toulouse : « Nous avions l’habitude de dire que Syriza nageait dans les mouvements sociaux comme un dauphin dans la mer. Mais malheureusement, cette relation n’a pas eu les conséquences que j’imaginais. Arrivés au pouvoir, les dirigeants de ces mouvements sociaux sont devenus des cadres gouvernementaux. Si vous m’aviez posé la question en mai-juin 2015, j’étais à 95 % sûre qu’Alexis Tsipras ne signerait pas d’accord avec la troïka. Et si les 5 % restants se réalisaient, j’étais sûre à 100 % qu’il n’obtiendrait pas la majorité dans Syriza, justement parce qu’il s’agissait de militants de longue date », narre Zoi Konstantopoulou. « J’ai vu le représentant emblématique de la lutte contre la privatisation des ports devenir ministre des affaires maritimes, apposer sa signature sur le document de privatisation du Pirée. Un grand militant contre la dictature et pour les droits de l’homme est désormais président des affaires économiques du gouvernement qui a fait un coup contre la démocratie et le mandat que leur avait donné le peuple », affirme l’ancienne présidente du parlement. « Les mouvements sociaux ont perdu leur autonomie vis-à-vis de Syriza, et lorsque Tsipras a trahi, la plupart des cadres gouvernementaux ont préféré rester au pouvoir plutôt que défendre le mandat populaire. Si les mouvements sociaux cèdent à un parti, et que ce parti perd sa notion de fidélité au peuple, c’est la recette de l’échec ». Et d'ajouter à titre d'avertissement  « La Grèce est le futur de la France, de la Belgique, de l’Allemagne. »

Concluons avec le message que nous adresse Zoi Konstantopoulou : à bon entendeur, salut. Et cela vaut pour bien au-delà du cas d'Attac. Par exemple pour ce qui pourrait se dessiner le 12 septembre pour contester les régressions macroniennes : le mouvement social sera-t-il soluble dans une France Insoumise dont probablement, espérons-le en tout cas, nombre de ses militant-es ou sympathisant-es ne seront pas prêt-es à galvauder une dynamique sociale radicale à construire au plus près du terrain pour le plat de lentilles d'un électoralisme, à court ou à long terme, recourant à la méthode Coué du "on est les plus forts" et "on va gagner" sans prendre la mesure d'une bien cruelle séquence du "on a perdu alors qu'on était les plus forts et qu'on devait gagner" !

Antoine (Montpellier)

(1) Même dans une CGT amenée, momentanément, à faire des concessions à certains de ses secteurs décidés à en découdre tout en les privant de se constituer en base d'impulsion d'un mouvement social d'ensemble, comme cela s'est vu pendant la mobilisation contre la loi El Khomri.

(2) « Aujourd’hui, il n’est pas anodin que des forces de gauche radicale soient en capacité de prendre le pouvoir. Podemos fait 20 %, Syriza est au pouvoir en Grèce, le Labour, en Angleterre, fait de très bons scores. En France, la FI tient ce rôle »

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.