Tout le monde, parmi les analystes politiques, s'accorde, bon gré, mal gré, à dire que le taux élevé d'abstention à ces élections départementales surdétermine la signification des résultats obtenus par tel ou tel parti, tel ou tel regroupement de partis et, au bout du compte, la signification de l'ensemble de la séquence électorale. Mais aussitôt dit, aussitôt oublié. Il n'y en a plus que pour les résultats en pourcentage des candidats en lice mais, attention, en pourcentage ... des votants. En somme des exprimés (mais en escamotant que les "blancs" expriment quelque chose). Ces votes ne sont pratiquement jamais, à ce niveau des décomptes par circonscription, rapportés aux inscrits. Etonnons-nous que l'abstention s'en trouve relativisée et tout bonnement annulée alors que l'on peut à bon droit, comme viennent de le rappeler tout récemment deux sociologues, tenir que le geste de s'abstenir est éminemment politique; quoique n'entrant pas dans les canons de ce qu'il est convenu d'appeler la politique, que d'aucuns appellent des jeux politiciens ! Ce qu'occultent ces façons de concentrer l'analyse des résultats électoraux sur les pourcentages des exprimés, c'est ni plus ni moins la fracture politique, recouvrant largement une douloureuse fracture sociale. Ceux qui s'abstiennent font en effet, avec toute l'hétérogénéité des motivations que l'on voudra mettre en avant, la grève de l'isoloir, la grève d'une urne pourtant magnifiée par la doxa médiatique et politique comme la quintessence de la citoyenneté. Or cette citoyenneté électorale, en son biais indécrottablement électoraliste, ne parle plus à la moitié des citoyens et des citoyennes, entre autres raisons parce qu'elle fait partie d'un décor, y compris au sens spatial littéral du terme, où l'isoloir, par lequel chacun-e est censé-e s'éprouver dans sa souveraineté politique individuelle, est le lieu où se tisse la dépossession politique des électeurs : l'isoloir n'est plus, s'il l'a jamais été, l'espace où s'affirme le pouvoir citoyen, il est celui de l'isolement par lequel, à quelques exceptions près, une caste politicienne de gauche comme de droite s'arroge, dans l'impunité conférée par l'entre-deux élections, le pouvoir, d'une part, de s'attaquer à ces espaces autrement vitaux que sont celui où se construit le droit du travail ou encore le droit aux études, pour ne prendre que ces exemples, et d'autre part, de détruire ces voies de circulation par où se concrétisait ce que le consensus des Trente Glorieuses avait désigné comme la "mobilité sociale", sous la métaphore de "l'ascenseur social" (1). L'abstention maintenue, malgré un reflux à ces élections départementales, en consacrant la panne dudit ascenseur, signifie aussi celle de la mécanique politique qui s'y adossait. Cliquer ici