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Billet de blog 29 janvier 2017

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Petite chronique du mélenchonisme…

III- JLM : l’injure faite à l’ouvrier

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La vidéo de l’altercation, à Périgueux, entre Jean-Luc Mélenchon et un cheminot qui l’interpellait sèchement fait le buzz sur les réseaux sociaux.  Que faudrait-il retenir, par-delà la réitération hypnotique des images de l’incident et les commentaires souvent lapidaires qui les accompagnent ?

Je lis comme suit les choses à partir de ce qui me semble politiquement le plus significatif, la colérique envolée mélenchonienne "J'use ma vie à vous défendre » lâchée à la face de l’importun !

Le plus étonnant, si l’on y réfléchit, c’est que Mélenchon n’ait rien d’autre à répondre, immédiatement, à l’ouvrier qui lui envoie, sans prendre de gants, qu’il ne fait pas de distinction entre la droite et la gauche et … Mélenchon lui-même, que cette éructation apolitique : "J'use ma vie à vous défendre "…

Apolitique car convoquant le sacrifice personnel que fait (ferait ?) celui qu’on appellera, avec trop de bienveillance car nous sommes en réalité, premier paradoxe, dans "l'apolitique" typique du terrain politique et non dans une conversation de moralistes,  l’altruiste ; apolitique car se fondant sur ce qui, chez Mélenchon, est, devrait rester modestement, en amont de son engagement politique, … sa personne ! Sidérante est, chez une des personnalités les plus surpolitiques du moment en France, ce retournement de la politique jusqu’à être rabattue sur le « moi-je-ma vie ». Cette sortie « apolitique »  de l’hyperpolitique déclare de fait abruptement le second paradoxe qui joue chez celui-ci clairement ... au point d’en aveugler plus d’un-e : le farouche défenseur de l’abstraction (dépersonnalisante) de l’Etat républicain le plus austère qui se conçoive (et par là supposément le plus juste : la loi, rien que la loi, égale pour tous et toutes… égale (sic) pour riches et pauvres !) est, dans l’instant où il s’affiche tel, là, devant l’ouvrier, le propulseur de sa personne comme le médium nécessaire à l’avènement de cette République impersonnelle qui défendrait l’ouvrier. Cette ambivalence paradoxale de l’effet Mélenchon, abstraction étatique/hyperbolique personnalisation, sur le champ politique, contradictoire pour quiconque se situe sur le terrain de la démocratie, pouvoir du dêmos, qui plus est, pour moi, sur celui de la démocratie sociale qui doit fonder la démocratie politique, n’est pourtant pas vue par beaucoup, à gauche, comme aberrante. Pourquoi ?

Parce que Jean-Luc Mélenchon recycle, sous la radicalité du discours tribunicien de la défense du peuple, ce qui historiquement a joué contre l’avènement du peuple comme souverain de lui-même : le primat de la démocratie représentative sur toute autre considération politique. En peu de mots : le peuple ne pourrait sortir de l’exploitation et de l’oppression qu’il vit que par la voie d’une démocratie de délégation de pouvoir qui est la condition pour que l’Etat républicain, "juste répartiteur des mérites", s’érige en vrai souverain…au-dessus de la mêlée sociale, que les marxistes appellent - les salauds - la lutte des classes ! Cette démocratie représentative reconduit que le peuple ou, si l’on veut être plus précis, les salarié-es à statut ou à contrat indéfini, les exclu-es du salariat, les précaires du salariat,  les post-salarié-es à vie (les retraité-es) et les autres couches subalternes du capitalisme, ne soit pas le « sujet jusqu’au bout de son destin » et qu’il doive  confier celui-ci à un professionnel de la chose politique : un politique que d’aucuns appellent un politicien.

Si  nous revenons à notre ouvrier houspilleur de Mélenchon, il ne serait pas étonnant que certains s’émeuvent de la pauvreté (c’est un pauvre !) de son discours, soit de son manque de nuances et d’un minimum d’élaboration. Nous avons connu cette condescendance de certains secteurs de la gauche,  qui "se croient politiquement dans le coup", avec la candidature de Philippe Poutou en 2012 et cela a tendance à reprendre avec la tentative pour relancer cette candidature en 2017 : l’ouvrier, le pauvre en général qui s’aventure en politique est, pour le dire gentiment, incongru… Pas à sa place… Bref l'intrus !

Ses mots ne sont pas ceux que d'habitude l’on entend, ils « déconnent » quand en fait, et c’est ce qui fait bondir Mélenchon ici,  ils décodent ! Ils décodent que, quoi qu’il dise, Mélenchon fait partie de la caste des professionnels de la politique (on vous fait un dessin ?): même quand il prétend la dénoncer il en est irréductiblement partie prenante. C’est ce qui le fait exploser ici car son interlocuteur, véhément au point de lui couper la chique qu'il a  pourtant si prolixe, lui a adressé la vérité de l’ouvrier : de l’ouvrier qui ne s’en laisse pas conter, qui, depuis son être social intimement lié à son être politique, celui du cheminot en lutte, dans la rue, parle même de révolution et qui dit que c’est par elle que Mélenchon et les autres ont du souci à se faire. Remarquons comment, teigneux, il retient celui-ci par le bras quand il l'entend s’écrier « tant mieux » à l’énoncé qu’une révolution menace et le voit se défiler, content de son bon mot ! Trop facile, coco ! En voilà un qui résiste à être "embarqué" dans le discours du chantre de la révolution …par les urnes. Sa révolution, qui d'évidence tient beaucoup de la révolte si nécessaire pour la féconder, ne peut pas être démagogiquement instrumentalisée par le sous-entendu légaliste du héraut d’une VIe République univoquement ancrée dans le jeu de la dépossession politique de l’ouvrier car « parlementaire » au sens bourgeois du terme.

Une telle insistance ouvrière à se déclarer réfractaire à la logique récupératrice du républicain est l’étincelle qui fait voler en éclat la retenue habituelle, la colère en général habilement maîtrisée de l’Insoumis : qu’il soit répondu à l’insolent aussi violemment (à visage rapproché, postillons à l'appui) mais surtout aussi de façon si pauvrement politique, prépolitique, sur le mode sacrificiel qui induit l’ingratitude de l’autre ("J'use ma vie à vous défendre "), signe que l’ouvrier a retrouvé, en l'exposant par hasard à l'image l’espace de quelques minutes, son insolence des temps de contestation radicale, qu'il a brisé le cercle de fer de la reconnaisssance due à la charité politique ! Que Mélenchon en soit la victime écumant de rage signe la césure, si peu apparente en ces temps de débâcle de la gauche, entre le monde du travail et celui qui, par sa réaction, révèle être un homme politique construit dans les appareils où l'on s'étourdit un temps à croire que l'on fait sacrifice de soi pour les autres et dont l’insoumission aujourd’hui porte la marque, dans le fonctionnement verticaliste et pyramidal qui le fait Chef,  qu’il est toujours un homme d’appareil. Le tout de lui-même et de cet appareil à prétention d’anti-appareil préfigure ce qu’il adviendrait, s’il lui était donné, s’il leur était donné, de (re)construire l’appareil d’Etat par où l’ouvrier serait inéluctablement assigné à son espace de toujours : en extériorité irréductible du pouvoir seulement compensée par l’exercice intermittent d’une citoyenneté électoraliste le dépossédant d’une conscience de classe à dynamique iconoclaste-révolutionnaire et donc d'une emprise de classe sur le réel, tout particulièrement vis-à-vis d'un Etat qui, lui-même pris au piège de son extériorité assumée au dit ouvrier, pourrait perdre sa légitimité à être pérennisé !

Cette altercation de Périgueux, loin d’être anecdotique, a valeur d’emblème; elle fait contrepoint insolent à ce que le mélenchonisme réussit  à obtenir : l’adhésion de nombre d’ouvriers/d’ouvrières par le même processus par lequel Mitterrand, dont Mélenchon est un admirateur forcené, a « volé », pour en neutraliser la virtualité subversive, la base populaire d’un PCF abonné à être suicidé. Il n’est pas inéluctable que l’histoire se répète pour peu que l'insoumission à l'existant néolibéral, dont la mobilisation contre la loi "travail" a laissé entrevoir les prémices, s'émancipe d'une insoumission appelant à se soumettre à celui qui use sa vie pour elle !

Merci à l’ouvrier périgourdin d’avoir permis à Mélenchon de nous avoir exposé, à large échelle, ce qui est niché au cœur de son insoumission…

Note 1 : on m'objectera que l'ouvrier ne détient pas, pas plus qu'un autre, la vérité des choses politiques. Ce qui est vrai et appelle que l'on soit vigilant à la possibilité d'une captation démagogique et antipopulaire de la colère populaire. Il n'en reste pas moins que dans le face-à-face de l'ouvrier et du politicien, dont il est question ici, se crée un effet de dévoilement dont le premier, en dehors même que soit envisagé le détail de ce qu'il défend politiquement, est l'opérateur. Pas plus, pas moins...

Note  2 : Mélenchon, s’offusquant que l’ouvrier oublie qu’il use sa vie pour lui… qui pourtant ne lui a, stricto sensu, rien demandé… de ce qu’il fait, me semble recourir, et cela en dit long, au schéma mental des pratiquants de la charité s’émouvant de l’ingratitude des pauvres. Me sont revenues ces lignes d’Oscar Wilde tirées d’un ouvrage au titre particulièrement intéressant pour ce dont nous parlons aujourd’hui L'âme de l'homme sous le socialisme (1891) :

« On nous dit souvent que les pauvres sont reconnaissants envers la charité. Quelques-uns le sont, sans nul doute, mais les meilleurs d'entre les pauvres ne sont jamais reconnaissants. Ils sont ingrats, mécontents, désobéissants et rebelles. Et ils ont parfaitement raison de l'être. Ils ressentent la charité comme un mode ridiculement inadéquat de restitution partielle, ou une aumône sentimentale, s'accompagnant habituellement de quelque impertinente tentative de la part de l'individu sentimental pour exercer une tyrannie sur leurs vies privées. Pourquoi seraient-ils reconnaissants pour les miettes qui tombent de la table du riche ? Ils devraient être installés à cette table, et ils commencent à le savoir. Quant à être mécontents, un homme qui ne serait pas mécontent d'un environnement et d'un mode de vie tels que les leurs serait une parfaite brute. La désobéissance, pour quiconque a lu l'histoire, est la vertu originale de l'homme. C'est à travers la désobéissance que tout progrès s'est effectué, à travers la désobéissance et la rébellion (…) Non : un pauvre qui est ingrat, dépensier, mécontent et rebelle, a probablement une réelle personnalité ; et il y a de la ressource en lui. Il représente à tout le moins une saine protestation. »

On retrouvera ces lignes dans l’article également intéressant Eloge de l'ingratitude du philosophe Michel Terestchenko.

Pour finir, avec en tête que Benoît Hamon vient de remporter la "primaire de la gauche", une photo d'archive sans ouvrier... Une photo de "rocardiens" (pour l'un  d'entre eux, d'apparence pas encore si usé..., d'opportunité ! Ce qui n'est pas nécessairement élogieux)... qui ont bien changé mais qui ont surtout appris, au double contact des frères ennemis solidaires Mitterrand et Rocard, que changer fait partie du "système", de ce par quoi il se perpétue... y compris en jouant la carte de la "gauche". Autre chose est rompre... Comme dit le cheminot  "en pétant les plombs quant on est au point de rupture" !

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