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Billet de blog 5 avril 2008

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Il ne suffit pas de refuser la légion d'honneur, encore faut-il ne pas la mériter

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Ce samedi matin à 10h, sur France Culture, Concordance des temps avait quelque chose de souterrainement exceptionnel. Pour une fois, et ce malgré leurs 23 ans et quelque 9 mois de différence, l’invité, Olivier Ihl (né le 29 décembre 1965), s’exprimait avec quasiment autant d’aisance, de précision et de grâce que la puissance invitante, Jean-Noël Jeanneney (né le 2 avril 1942), passé maître dans l’art de la « conversation » radiophonique, au point, presque malgré lui, de parfois faire passer son interlocuteur pour « un moteur à gaz pauvre », comme disait Georges Bidault à propos de Robert Schuman à la Chambre des députés.


Par ailleurs, Olivier Ihl est professeur des universités à Grenoble, comme le fut Jean-Marcel Jeanneney (né en 1910 : il est, depuis la mort de Raymond Triboulet (1906-2006), le doyen des ministres encore en vie du Général de Gaulle), père du producteur de Concordance des temps, lui-même né dans le chef-lieu du département de l’Isère.


Enfin et surtout, cette émission permet d’offrir une survie méritée à un essai remarquable paru en octobre 2007 dans la collection NRF essais dirigée par Éric Vigne aux éditions Gallimard : Le Mérite et la République, essai sur la société des émules (496 p., 25 €). C’est le deuxième grand livre d’Olivier Ihl, qui n’a donc rien d’un polygraphe, après l’édition de sa thèse, soutenue sous la direction de Mona Ozouf : La Fête républicaine (Gallimard, 1996).


Attiré par « la majesté d’État » et prenant au sérieux ce que nous sommes tous enclins à railler (des hommes s’abaissant pour s’élever !), Olivier Ihl distingue parfaitement l’essentiel à propos de ces « figures coloriées » que sont les médailles : les mécanismes politiques qui en favorisent la circulation. Son étude traquant « la persistance de signes » et ce qui vient à en découler, « une cotation qui se veut objective », est passionnante de bout en bout, grâce notamment à ses prolongements anthropologiques : « Des émules ? On aurait pu dire des décorés. Ou des méritants. Ou des récompensés. Je me suis finalement résolu à les appeler des émules : de emole, le rival. Il s’agissait d’insister sur le fait que ces hommes ont été façonnés par une disposition que, sans relâche, les institutions d’État inculquent et propagent dans une Europe libérale : se mesurer les uns aux autres, se comparer pour se dépasser. Émulation : issu du latin aemulari (rivaliser), le mot dérive d’aemulus (qui cherche à imiter). Il désigne le souci qui pousse à égaler ou à surpasser quelqu’un. Un sentiment que certains n’hésitent pas à présenter comme un besoin primaire ou une constante anthropologique. »


Ce Concordance des temps fut un régal d’intelligence, les archives distraites de la phonothèque de l’Ina étaient faramineuses, des plus anciennes à la plus récente (Robert Badinter trouvant les mots cinglants, distants et justes à propos de savoir si Papon pouvait être enterré avec sa légion d’honneur).

Pour le lien vers l'émission, cliquer ici.

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