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Billet de blog 6 juin 2016

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L'affaire Joseph Andras, ou la conjuration des ignorants

Du petit emballement médiatique quant à l’identité fantasmée de Joseph Andras, auteur d’un roman ainsi parasité  : De nos frères blessés...

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Qu’est-il arrivé d’allégorique la semaine passée ? Les inondations ? Certes. Mais aussi une petite polémique parisienne, si révélatrice, touchant à l’auteur de ce bref chef d’œuvre publié chez Actes Sud : De nos frères blessés.

C’est « l’affaire » Joseph Andras. Tintamarre affligeant. Piteux pétard mouillé. Os à ronger pour une presse tombée bien bas et pour des réseaux sociaux reflétant le voyeurisme qui infeste l’esprit public.

Rappel des faits. En mai, Joseph Andras publie un récit sur la condamnation à mort du communiste Fernand Iveton, complice du FLN, guillotiné en 1957 à Alger. Joseph Andras, allergique aux mômeries littéraires, refuse ensuite le Goncourt du premier roman.

Tout part alors du blog de Pierre Assouline, La République des livres. Écrivain, critique et membre de l’Académie Goncourt, M. Assouline, qui cloisonne en général assez bien les choses, s’adonne au conflit d’intérêts, le 13 mai – cette date tient du mauvais signe en République…

Le connaisseur de la vie littéraire, sournoisement, cède le pas au juré vexé. Joseph Andras a mordu dans la main qui le primait : il mérite une fessée. La correction de maître Assouline prend la forme d’une intrigue. Fondé sur des cancans, son billet de blog, allusif et vipérin, devient rampe de lancement de la rumeur. À partir d’une évidence sans importance – Joseph Andras est un pseudonyme, le domaine littéraire en regorge –, la calomnie s’insinue, comme dans Le Barbier de Séville.

Nous aurions affaire à une imposture ; « une nouvelle ajaritude » – Émile Ajar fut le prête-nom de Romain Gary, qui roula ainsi les jurés Goncourt en obtenant une seconde fois leur prix, en 1975, pour La Vie devant soi.

Misère de la critique littéraire, incapable de faire entendre une voix experte capable de tordre le cou à une telle ineptie. Profitons-en pour saluer ici le dernier géant de la critique encore en vie, Jean-Pierre Richard, né en 1922, auteur de Littérature et sensation – quel titre ! – (en 1954), de Poésie et profondeur (en 1955), mais également d’ouvrages plus récents chez Verdier, dans lesquels il se penche sur des auteurs contemporains comme Marie Desplechin.

Faute d’arbitres avertis pris au sérieux, la presse verse dans le petit sensationnel. Le Monde publie ainsi, le 1er juin, une prétendue enquête, qui consiste à faire le tour de la rumeur pour constater, sans vraiment l’avouer, qu’il s’agit d’un tuyau crevé. Non, ce Joseph Andras ne cache pas un autre auteur tel Kamel Daoud, mais feignons d’y croire un peu, en notre société faisandée où il faut bien vendre du papier…

Et voici que Pierre Assouline en regazouille une couche sur Twitter, jeudi 2 juin : « Un coup de Tarnac derrière le mystère Joseph Andras ? Un collectif radical "écrivant" pourrait être derrière le roman De nos frères blessés.»

Illustration 1

Tout cela relève de la cabale des ignorants. Joseph Andras, qui ne veut rien lâcher de spontané, refuse de parler à la radio ou à la télévision. Chacun est en droit d’ironiser sur cette forme de constipation mentale. Pour antant, cela n’autorise personne à propager un délire surinterprétatif.

Joseph Andras, de surcroît, refuse toute conversation avec des représentants d’une presse écrite, occultée à ses yeux par les capitaux : point de vue difficilement contestable, tant des capitaines – voire des chevaliers – d’industrie ont fait main basse sur les journaux. Le romancier n’accepte que les interviews par courriel, ce qui nourrit bien des suspicions en retour.

Il se trouve que votre serviteur a parlé avec Joseph Andras. À l’occasion d’un entretien pour Mediapart, mis en ligne mercredi 1er juin. Je fus le seul à être traité en interlocuteur, c’est-à-dire en passeur et non en simple boîte aux lettres. Nous nous sommes entretenus plus d’une fois au téléphone. Et je peux ici affirmer, en connaissance de cause, qu’il s’agit d’une personne singulière, identifiable : le Joseph Andras à l’oral est raccord avec le Joseph Andras à l’écrit.

Alors lisons ce qu’il a écrit de mieux jusqu’à présent : De nos frères blessés (140 pages aux éditions Actes Sud)…


Chronique diffusée sur France Culture dimanche 5 juin à 12h45 :
http://www.franceculture.fr/emissions/le-monde-selon-antoine-perraud/l-affaire-joseph-andras-ou-la-conjuration-des-ignorants