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Billet de blog 6 novembre 2024

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Trump consacré ou le religieux dévoyé

Donald Trump s'est imposé en réactivant à son profit une réalité mythique américaine : une nation-Église protégée par la Providence. Et désormais par un Président sacralisé. On n'est pas sorti du culte-de-basse-fosse.

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Les États-Unis d’Amérique ne se contentent plus du déjà très envahissant « In God We Trust » (« en Dieu nous plaçons notre foi », devise adoptée en 1956, inscrite sur les pièces de monnaie et les billets de banque). Le pays a glissé vers – ou sombré dans – un « In Trump We Trust » ; inaltérable jusqu’à présent.

« Aujourd’hui, les supporters de Trump pensent qu’il est une réincarnation de Jésus », déplore un démocrate, interloqué, dans un reportage de Mediapart en Pennsylvanie. La logique des vases communicants a fait son œuvre : le sentiment religieux est passé avec armes et bagages du stade de l'église (du grec ekklêsia, « assemblée », dérivé du verbe ekkaleô, « je convoque ») au champ politique. Les croyances et les dogmes ont muté en vérités alternatives et bobards (« fake news »). L'Immaculée conception ne pèse plus lourd face à « Make America Great Again ».

À mesure de leur inexorable désertion (moins de 50 % des États-uniens sont désormais affiliés à une religion), les lieux saints ont débouché sur d'autres parvis, forums, plateformes. S'ensuivrait un phénomène résumé par une citation faussement prêtée à Chesterton : « Quand l'humain cesse de croire en Dieu, il n'abandonne pas toute croyance pour autant, mais se met à croire en n'importe quoi. »

Sur la Passion amortie, pullulent les passions séculières. On ne déserte pas impunément le sentiment religieux, « un attribut essentiel, une qualité inhérente à notre nature » (Benjamin Constant). Ce que Jaurès appelait « la vieille chanson ». Et Marx « l'opium du peuple », dans un texte de 1843 parfois mal interprété : le philosophe y considère le fait religieux comme « le soupir de la créature opprimée », « l'âme d'un monde sans âme », à même d'être l'« expression de la détresse réelle » et, en même temps, une « protestation contre la détresse réelle ». 

Prophète de rencontre 

Dans le sillage des William Robertson Smith (1846-1894), James George Frazer (1854-1941), Émile Durkheim (1858-1917), ou encore René Girard (1923-2015), Régis Debray défend une telle anthropologie des religions, en penseur du théologico-politique. Et ce dès 1981, dans un essai dont le titre tirait à hue et à dia (à Kant et à Sartre) : Critique de la raison politique ou l'inconscient religieux (Gallimard).

Debray se concentre sur le culte, c'est-à-dire les rituels rassemblant ces animaux symboliques que sont les humains. D'où une religiosité capable de mettre en signe des réalités brutes, pour renvoyer à un ailleurs manifeste notre pauvre ici et maintenant. Plus besoin de Dieu : un prophète de rencontre suffisamment démagogue fera l'affaire, en captant à son profit politique immédiat le dessein eschatologique de la religion. Le paradis cesse de lambiner jusqu'aux fins dernières : il n'attend plus que l'âge d'or promis, dès l'élection acquise. Le salut est à portée de bulletin.

Quant à l'assemblée convoquée, l'ekklêsia, elle devient champ de bataille identitaire : le prophète de rencontre propose de faire un « nous » en cassant des « eux » diabolisés. Voilà où campe Donald Trump, qui tire les marrons du feu sacré. Et ce, en imposant sa personne sacralisée compensant ainsi un reflux de sacralité. L'ont déjà compris et instrumentalisé, jusqu'à plus soif (de transcendance), Modi en Inde, Poutine en Russie, Xi en Chine, Netanyahou et ses alliés ultra religieux en Israël, etc.

Les démocrates (dignes de ce nom) de tous les pays ne savent s'unir face à un tel chamboule-tout planétaire. Les voici minoritaires : électoralement, culturellement, psychiquement. Les Lumières, la pensée, la distance critique se heurtent aux murailles de foi dévoyée qu'élèvent Trump et consorts : « Ce qui sépare “la famille de pensée” de l’affiliation religieuse, c’est que la seconde qualifie le sujet comme acteur d’une histoire dotée de points cardinaux (un lieu de prières est orienté, mais non une usine ou un siège d’entreprise). Une philosophie analyse, une religion polarise. La première est une vision du monde, la seconde est un monde. » (Régis Debray, Le Feu Sacré. Fonctions du religieux)

Résurrection expresse

Donald Trump, vu comme « réincarnation de Jésus », s'est imposé en point de sacralité porté par des intérêts aussi furieux que contradictoires. La résurrection expresse du personnage après une tentative d'assassinat ne fera pas déciller son monde de sitôt. Le deus ex machina protectionniste de la superpuissance technologique est avancé. La construction mythologique bat son plein, bivouaquant sur l'assèchement mythologique d'un Occident fourbu sur sa litière.

Face à ce dieu de carnaval qui flirte avec l'instinct de mort, d'où nous viendront les torchères à même d'éclairer la sortie de telles ténèbres ?