Antoine Perraud (avatar)

Antoine Perraud

Journaliste à Mediapart

Journaliste à Mediapart

177 Billets

1 Éditions

Billet de blog 7 avril 2008

Antoine Perraud (avatar)

Antoine Perraud

Journaliste à Mediapart

Journaliste à Mediapart

Sainte Thérèse de Kristeva

Antoine Perraud (avatar)

Antoine Perraud

Journaliste à Mediapart

Journaliste à Mediapart

Julia Kristeva vient de jeter un pavé incandescent dans la mare du désir de sainte Thérèse d’Avila (1515-1582), proclamée docteur de l’Église en 1970, considérée par d’aucuns telle une ardente vésanique, mais observée, au travers de ce roman touffus aux accents de traité ou de lettre ouverte, comme « un Montaigne des états limites ; la première théoricienne de l’imaginaire avec ses moyens mêmes » : Thérèse mon amour (Fayard, 768 p., 25 €).


Marrane — certains ont vu dans Thérèse un anagramme d’Esther —, puisque sa famille paternelle se composait de Juifs convertis de Tolède, la carmélite devait réformer son ordre en imposant une règle qui tînt compte des souffrances glorieuse du Christ : « Les peines sont pour moi remèdes et santé », écrivait-elle, ou encore : « Donne-moi des épreuves, Seigneur, donne-moi des persécutions. » Ennemie du relâchement, Thérèse n’avait cure des moniales qui transigent, pactisent, s’accommodent : « Mieux vaut que l’une d’entre elles meure, que de nuire à toutes les autres. »


Kristeva commente ainsi : « Sadisme ? Masochisme ? Désir de s’élever à la hauteur de Phallus humilié, souffrant/jouissant dans son humiliation même ? Les mots sont faibles pour ce sacrifice continûment loué qui vous permet de vous rêver unie à la Passion de l’Autre, et de vous juger à jamais insuffisante, car jamais à Sa hauteur. »


Julia se livre à un corps à corps avec Thérèse, pour passer du rugueux au fluide, à plus de quatre siècles de distance. Tout le livre vibre d’une empathie critique et d’une identification indocile assez fascinantes. Surtout, l’auteure dresse un parallèle intense entre la psychanalyse et le christianisme, non pour les opposer comme le pavillon de l’URSS et celui de l’Allemagne sur la colline de Chaillot lors de l’exposition universelle de 1937, mais pour les réunir, tel le lierre noué à l’arbre : « Vous l’avez compris, mon dialogue avec vous est aussi un dialogue avec Freud : l’« enfant battu » que nous serions dans nos fantasmes, selon le fondateur de la psychanalyse, trouverait (parfois) sa résolution paradoxale (comme chez vous) dans un autre fantasme : un fils-père supplicié. Ne serait-ce pas le socle du christianisme ? Un de ses socles, à tout le moins, à mes yeux d’athée ! »


L’athéisme de Julia Kristeva n’est-il pas son marranisme ? Il y a dans ce livre comme un « outing » crypté, qui semble remettre l’ancienne maoïste venue des confins orthodoxes de notre Europe (la Bulgarie), dans le bain bouillonnant de la chrétienté : « Chacun d’entre nous est le résultat d’un long « travail du négatif » : naissance, sevrage, séparations, frustrations, deuils. Pour avoir mis en scène cette rupture au cœur du sujet absolu qu’est le Christ, pour l’avoir présentée sous la figure d’une Passion, comme envers solidaire de la résurrection, le christianisme ramène à la conscience les drames essentiels internes au devenir de chacun. Il se donne ainsi un immense pouvoir cathartique… inconscient. »


Et si Thérèse mon amour s’avérait, pour Julia Kristeva, façon de revenir au giron de l’Église ? Affaire à suivre…