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Billet de blog 8 avril 2008

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Ariane Mnouchkine, encore et toujours

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Hier soir lundi, en assistant aux lectures par les comédiens du Théâtre du Soleil des lettres envoyées au ministre Hortefeux par des citoyens que scandalisent les expulsion d'étrangers, on pensait au spectacle au long cours qui se joue ici, à la cartoucherie de Vincennes, jusqu'au 20 avril (avant une halte, du 22 mai au 8 juin, à la Comédie de Saint-Étienne) : Les Éphémères.

Après Le Dernier Caravansérail, une épopée de sans-papiers, Ariane Mnouchkine a conçu avec sa troupe un spectacle collectif, qui se déroule comme un chapelet de souvenirs, à première vue anecdotiques, insignifiants, passagers, mais que la magie du théâtre rend saillants, bouleversants, mémorables. Le spectacle est divisé en deux recueils, chacun ponctué d'une quinzaine d'épisodes. Au bout de sept heures (quand on a la chance de pouvoir suivre intégralement Les Éphémères, le week-end), des coïncidences, des correspondances et des cercles se sont formés, reliant les fragments d'existence qui dérivèrent sous nos yeux.

Les séparations, les accidents de la vie, les havres de tendresse, les escales de joie, la violence qui revient, la déréliction, le père incestueux qui meurt en lapant sa soupe sous le non-regard de sa fille tout occupée à s'arroger la tarte qui s'offre désormais à elle seule dans le four de la cuisinière Chappée : tant de destins se croisent, se frôlent, s'entremêlent, alors que s'égrène la musique lancinante de Jean-Jacques Lemêtre, grand barde barbu dont les pizzicati feraient tressaillir le marbre.

Hier soir, Jean-Jacques Lemêtre a lu une lettre, visiblement écrite par un vieux Parigot du IIIe arrondissement de Paris, qui prend la défense de Yang Yang : « Il s'appelle Yang Yang, il vit, il travaille, il respire. » En s'adressant au ministre de l'immigration, de l'identité et d'autres choses encore Brice Hortefeux, l'homme dit sa honte de voir Yang Yang en « prochaine victime » traquée comme une bête enfumée dans son terrier. Jean-Jacques Lemêtre donnait les larmes aux yeux par sa diction bouleversante et bouleversée. Il assurait le lien entre les comédiens et le public, de même que cette lecture du lundi 7 avril assurait le lien entre Les Éphémères et Le Dernier Caravansérail, de même qu'Ariane Mnouchkine assure, depuis bientôt quarante-cinq ans (elle a cofondé le Théâtre du Soleil en 1964), le lien entre les planches et la politique, l'art et la morale.

Quand le pélerin spectateur arrive pour un spectacle et que Dame Ariane, en mère aubergiste, lui déchire son ticket d'entrée, le souvenir de Jouvet (1887-1951) ou de Dullin (1885-1949) s'impose. Tous les deux sont morts à 64 ans. Mnouchkine en a aujourd'hui 69 et c'est son ami Patrice Chéreau qui va sur ses 64 ans. Ils sont les équivalents de ces maîtres d'autrefois, on finit par l'oublier.

Mnouchkine et Chéreau étaient ensemble au Théâtre de l'Odéon, le 27 février dernier, pour dénoncer le climat de méfiance culturelle et l'ambiance anti-intellectuelle venue d'en haut, se traduisant par des baisses de crédits et de subventions qui étouffent le spectacle vivant. Ariane Mnouchkine avait pris la parole, refusant la société d'adoration mutuelle et provoquant quelques grincements de dents : « Nous n'aurons de chance d'avancer que si nous arrivons à nous faire comprendre, y compris en procédant à une part d'autocritique. Laissons de côté le corporatisme, ne nous contentons pas d'une victoire qui ressemblerait à celle des chauffeurs de taxi. Trop de gens ont encore le sentiment que nous formons une caste de privilégiés. J'aurais aimé que le public soit ici, ce matin, à l'Odéon. Il nous faudrait établir une charte entre le public et les citoyens. »

Cette charte, sous forme d'une lecture de lettres civiques valant pacte, elle a eu lieu au Théâtre du Soleil, où le public répondit présent hier au soir ; c'est ce qu'a tenté de montrer l'article Lire contre les expulsions dans Mediapart.