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Billet de blog 11 janvier 2016

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Bowie, prophète de l'Apocalypse bien tempérée

David Bowie fut, en quarante-cinq ans, un prophète de malheur poussant l'élégance jusqu'à le cacher, ou plutôt le crypter. “Five Years” en offre le meilleur témoignage.

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Son premier titre, en 1969, Space Oddity, se terminait ainsi : « La Terre est bleue et je n'y peux rien » (« Planet Earth is blue/ And there's nothing I can do »). Tout est devenu noir, l'espace comme le temps, dans son dernier album, Blackstar, qui commence par une exécution dans une ville imaginaire de ce qui pourrait bien avoir été le Croissant fertile. Ne reste qu'une bougie solitaire et une invocation lancinante : « Tes yeux. » David Bowie, avec un bandeau tenant de bandelettes le momifiant, apparaît privé de vue, comme pour accentuer l'importance du regard.

Le regard de Bowie. Prophétique. De bout en bout. Du frémissement métaphysique et cosmique conjugué aux paradis artificiels de Space Oddity, jusqu'à l'acuité déjà lointaine – legs d'une “longue maladie” – sur ce monde qui trébuche dans l'horreur, la terreur et la confusion : Blackstar. Entre les deux, brille un titre prémonitoire du chamane Bowie, un titre testamentaire, un avertissement à la planète : Five Years.

La fin du monde est avancée. Lisez plutôt : « La place retentit du soupir des mères depuis que la nouvelle est tombée : il ne nous reste que cinq ans pour pleurer. Le kiosquier, en larmes, nous répétait que la terre allait mourir. Et j'ai su qu'il disait vrai à la vue des sanglots inondant sa face. »

Pushing throught the market square, so many mothers sighing

News had just come over, we had five years left to cry in
News guy wept and told us, he said earth was really dying
Cried so much his face was wet, then I knew he was not lying

© lovelyshoes94

Five Years aurait dû être l'hymne de la COP21, si cette conférence des Nations unies sur les changements climatiques, tenue à Paris le mois dernier, ne s'était pas payée de mots. Les mots de David Bowie, divinateurs et inspirés, n'auraient jamais dû nous laisser le moindre répit, le moindre repos. Éternel Bowie, qui nous fit découvrir, de son vivant, que nous sommes des morts en instance, faute d'oreilles pour entendre ni d'yeux pour voir.

« Trop vieux pour détruire, trop jeune pour choisir » (« You're too old to lose it, too young to choose it »), nous avait prévenus l'artiste avant de parvenir au seuil sévère du tombeau, dans l'un de ses plus beaux messages d'action, d'anticipation, mais aussi de fraternité, de réciprocité :
Don't let the sun blast your shadow
Don't let the milk float ride your mind
They're so natural, religiously unkind
(...)
Oh no, love, you're not alone
No matter what or who you've been
No matter when or where you've seen
All the knives seem to lacerate your brain
I've had my share, I'll help you with the pain
You're not alone

© whizz2781