Ce 11 septembre 2011, comme la veille au soir, le Théâtre de la Ville, à Paris, propose une représentation de 11 septembre 2001 de Michel Vinaver. France Culture, ce dimanche soir, traite également l'événement monstre, inaugural du XXIe siècle, à partir de la pièce du dramaturge, aujourd'hui âgé de 84 ans, qui n'a a pas écrit d'autre œuvre conséquente depuis cet accomplissement réalisé à chaud.
Sa composition, aussi moderne qu'archaïque, obéit à la musique étrange, lancinante et violente du copier-coller; comme deux silex s'entrechoquant à l'époque préhistorique. Michel Vinaver a en effet choisi de faire se répondre ou s'interrompre les propos qu'il a récoltés dans les journaux aux lendemains des attentats menés, depuis les airs, contre New York et Washington. Paroles s'échappant des avions et des tours de contrôle, paroles de victimes anonymes en devenir ou de rescapés des tours jumelles, gloses des commentateurs, harangues des politiques, sans oublier des bribes ahurissantes du testament rédigé cinq années auparavant par le terroriste Mohamed Atta...
Le spectacle accueilli par le Théâtre de la Ville, mis en scène par Arnaud Meunier avec sa Compagnie de la mauvaise graine, embarque quarante-quatre lycéen(ne)s de Seine-Saint-Denis, dans le sillage du travail pionnier longtemps mené par Armand Gatti, avec ses «loulous» de Toulouse, de Marseille, ou de Los Angeles.
Le résultat, hélas!, ne parvient pas toujours à s'inscrire dans la pulsation de l'heure H captée par l'énergie d'une écriture théâtrale, qui vise à faire griller, comme sur une chaise électrique, la conscience des spectateurs. Cette pièce, en forme de rapt et captation, appelle une hardiesse hachurée. Ceux qui vont mourir parlent une dernière fois. Ceux qui continueront de vivre ne parleront plus que de cela. L'origine et l'éternité se télescopent dans 11 septembre 2001 de Michel Vinaver.
Tel un chant contrapuntique fondé sur la «tension-détente», la pièce adopte une échelle chromatique dont les barreaux seraient les étages des tours jumelles, entendus comme des notes sur une partition désespérée: «Au 78e étage, j'ai vu une femme en flamme.»
Très vite, à cette impression spatiale, s'ajoute l'étouffement temporel: «Il était 8h48 quand notre bâtiment s'est penché.» Avec des échappées que le spectateur reçoit comme des pépites d'existence: «Et nous avons débouché dans la rue au bout de dix-huit minutes.» «L'extase d'être vivant», selon le mot d'un sain et sauf (on répugne à écrire «tiré d'affaire» malgré le World Trade Center), touche au paroxysme à la fin de la pièce. Voici l'odyssée des occupants d'un ascenseur bloqué au 50e étage, qui s'échappent in extremis sous la conduite, en ces Enfers, d'un passeur agent de nettoyage. Homère semble alors souffler sur nos nuques.
Avec un côté voyant, qui fait basculer la pièce hors de l'instant pour atteindre l'universel. Dix ans après, la peur panique montant de Wall Street à propos d'un autre «effondrement», économique et financier, nous transplante aujourd'hui, avec ces cris de traders ou de «responsables», au milieu des ruines et des cadavres: «Il est vital de continuer à consommer.»
La discordance des temps s'avère la force et la leçon d'une telle pièce. Ceux qui périront ou survivront de justesse parlent au présent et à l'imparfait. Les commentateurs parlent au passé simple et au passé composé. La classe politique parle au futur: «À la fin, ils s'effondreront de l'intérieur. C'est cela qui constituera la victoire» (Donald Rumsfeld).
L'ultime scène de 11 septembre 2001 campe deux rivaux mimétiques rageurs plus souvent qu'à leur tour: Bush et Ben Laden. L'un tire les conséquences de l'événement, l'autre en tire profit. Et vice versa. Contre les abîmes qui s'ouvrent sous nos pas, Bush réplique par une impossible cautérisation temporelle. Il baptise sa prétendue réplique: «Liberté immuable.»
Robert Schumann avait appelé l'une de ses plus belles pièces pour piano L'Oiseau prophète. Michel Vinaver fait surgir, in fine, Oussama Ben Laden et George Bush tels deux roquets prophètes.