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Billet de blog 12 juin 2016

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Du libéro et des libéraux

Si le libéro est dispensé du marquage individuel, les libéraux devraient se soumettre à quelques contraintes, comme le rappelle Alain Madelin, retrouvant ainsi l'acception originelle du mot libéral, fondée sur la mesure...

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Libéro n’est pas forcément le pluriel de libéral. Avec un o final, libéro, comme nous l’allons entendre plus que de raison à l’occasion d’une compétition européenne de balle aux pieds, libéro désigne l’ultime défenseur, affranchi du marquage individuel. Libéro signifie libre en italien, nation d’où vient ce néologisme introduit dans les années 1960 par un journaliste sportif de la péninsule et qui s’imposa, au cours de la décennie suivante, dans l’idiolecte footballistique.

Télescopage lexical piquant, cette semaine a vu le premier des libéraux français, Alain Madelin, défendre sa vision libérale ; contre les programmes économiques de ses amis de la droite française en vue des primaires de l’automne prochain, où M. Madelin ne distingue que purge patronale et austérité à tous les étages.

Voici donc l’occasion de revenir sur le mot libéral, à la fois changeant et incompris au cours des siècles. Commençons par son acception contemporaine. Dans le Trésor de la langue française, la première définition est celle-ci : « Qui ne rencontre pas ou qui ne s’impose pas de contraintes, de limites. »

Selon le Grand Robert, libéral, au sens ancien du terme(« vieux ou archaïsme littéraire », précise d’emblée l’entrée), désigne « qui donne facilement, largement. »

On en retient donc : munificence, d’une part, sans entrave, d’autre part.

Or quand notre idiome fut fixé, au Grand Siècle, furieusement absolutiste mais si subtil, le mot libéral était nanti d’un système de freins.

Pour preuve, le Dictionnaire de Furetière, publié en 1690. Observez la finesse définitionnelle déployée à propos de libéral : « Qui donne avec raison et jugement, en sorte qu’il ne soit ni prodigue, ni avare. » Et le Dictionnaire de Furetière poursuit : « Il y a bien des gens qui donnent beaucoup et qui ne sont point libéraux. On n’est libéral que quand on donne sans intérêt. » Conclusion d’Antoine Furetière : « On confond souvent l’inclination libérale avec l’humeur dépensière. »

Certes, nous sommes dans une société d’Ancien Régime. Et l’exemple qui vient très vite dans l’entrée libéral met la puce à l’oreille : « Dieu est libéral de ses grâces à ceux qui le prient. »

Retenons cependant qu’existait, au XVIIe siècle, une conscience très nette des modérations nécessaires : des justes bornes.

La Rochefoucauld, dans ses Réflexions ou sentences et maximes morales (1665), écrit ainsi : « Ce qu’on nomme libéralité n’est le plus souvent que la vanité de donner. »

La Bruyères, dans ses Caractères (1688), y va de la plus pénétrante notation : « La libéralité consiste moins à donner beaucoup qu’à donner à propos. »

Il y a donc quelque  perspicacité, chez Alain Madelin, quand il remarque, à l’endroit de ses anciens compagnons de route de la droite française, que le libéralisme consiste moins à prendre beaucoup qu’à prendre à propos…

C’est que le libéralisme, entretemps, a viré de la notion de bienfaisance éclairée à celle de tolérance politique. On est alors passé, du XVIIe au XIXe siècle, des largesses aux idées larges.

Ce libéralisme politique s’est lui-même accompagné d’un libéralisme économique. Celui-ci fut d’abord, sous l’influence des physiocrates, une réaction à l’encontre des contraintes du colbertisme. Puis à l’encontre de l’étatisme – donc, plus tard, opposé au socialisme, ou tout simplement à l’ardente obligation du plan.

Dans Le Dictionnaire culturel en langue française d’Alain Rey publié en 1992, on trouve, sous forme d’encadré, un long texte consacré au libéralisme et à ses métamorphoses. Il se conclut ainsi : « Le mot libéralisme, dans un contexte où la seule économie est un capitalisme libéral mondialisé, vise l’exercice incontrôlé de cette liberté du marché. Tout comme pour capitalisme, un terme technique de théorie politique et économique, après la victoire de ce qu’il désigne sur les systèmes concurrents ou hostiles, devient la cible de critiques visant son excès de puissance et les faiblesses ou les erreurs de ses applications. »

Car libéralisme sans contrôle n’est que ruine de l’âme…

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Chronique diffusée sur France Culture dimanche 12 juin 2016 à 12h45 :
http://www.franceculture.fr/emissions/le-monde-selon-antoine-perraud/le-monde-selon-antoine-perraud-dimanche-12-juin-2016