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Billet de blog 13 mars 2008

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Un Président furieusement Club Med

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Le 22 octobre 2007, dans les écoles de France, a vibré à 95 % (source : ministère de l’Éducation nationale) l’ultime lettre adressée à sa famille par le jeune communiste Guy Môquet en 1941 : l’intense émotion présidentielle, lors d’une cérémonie au bois de Boulogne le 16 mai, en était la cause. Une telle opération ne s’apparente-t-elle pas aux tocades d’un chef de village du Club Med qui, de Vittel à Djerba, décide des moindres détails décoratifs du lieu sous sa coupe ?


Souvenons-nous du 14 juillet dernier. Microphone en main sur la pelouse du palais de l’Élysée, le Président assurait lui-même l’animation. Avec une prestance d’étalagiste, notre camelot de la République vantait la beauté de « Cécilia » et se retenait, in extremis, de retirer sa cravate. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy jouissait pleinement de ses pleins pouvoirs en incarnant, à l’échelle de l’Hexagone, le chef de village.


Chez lui, tout exsude les valeurs communes avec le Club Med, où la vie est là, simple et festive, où la raison du plus riche est toujours la meilleure. Pourquoi faudrait-il s’excuser envers la canaille — ils ne sont rien soyons tout ! — de savourer des vacances dispendieuses ? Finie la discrète bourgeoisie de naguère, qui chérissait la civilisation de l’écrit et se ménageait du temps libre pour se cultiver (l’otium des Anciens). On est passé du jardin secret à la garden party, de la retenue de bon aloi à la pulsion sans vergogne.


Le Club Med et la « Sarkozy attitude » donnent en effet libre carrière au triomphe du parvenu. Chacun semble émaner d’une série télévisée. On y croise ordinairement des French Winners à la Jean Réno, ou de joyeux pragmatiques dans le genre de Christian Clavier. On y pratique la loi de la jungle, mais avec le sourire. Le tutoiement y est facile. Tout est compris (comme dans un « paquet fiscal »). La musique, débitée à destination des gentils membres (GM) ou stockée dans l’Ipod présidentiel, plonge dans l’inanité régressive. Beaucoup de bruit, toujours sur le pont ; si bien que reprocher à Nicolas Sarkozy sa surexposition médiatique équivaudrait à intenter un procès au Club Med pour tapage nocturne !


Ces gesticulations s’avèrent pourtant factices. Derrière les changements de décors, les soirées à thèmes, les tenues de parade du Club, nonobstant les apparitions frénétiques et frimeuses du Président, s’impose la même vision statique de la société, à rebours de cette dynamique honnie qui, de 1789 à 1968, engendra des chamboulements qu’un dirigeant ne saurait digérer.


D’où les feintes analogues et les impostures symétriques pratiquées par le Club Méditerranée et Nicolas Sarkozy de Nagy Bocsa, nés quasiment la même année, aptes à transmuter une frange de privilégiés en écrasante majorité, capables de vitrifier les classes et de ravaler la lutte au rang de vieille lune. Le Club Med, quoi qu’en dise la pub, n’est-ce pas l’art de faire payer à prix d’or des vacances de beaufs à des bourgeois ? Nicolas Sarkozy, sous couvert d’ouverture et d’opiniâtreté, n’est-ce pas le génie de pendre le dernier socialiste avec les tripes du dernier gaulliste ? Décomplexés, cyniques, rusés, narcissiques, l’un et l’autre nous embarquent dans une tyrannie décontractée, à l’américaine. Un tel modernisme réactionnaire, aussi trompeur que tapageur, revigore l’axiome de Condorcet, qu’Élisabeth et Robert Badinter placèrent en épigraphe à leur biographie de l'encyclopédiste (Fayard, 1989) : « Toute société qui n’est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans. »