http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&id_notice=I00006245
En activant le lien ci-dessus, vous serez le 18 juin 1958. Vous noterez l'audace formelle (le sein photographié par Lucien Clergue) d'une télévision encore libre, expérimentale, avant le corsetage (en 1964, Noëlle Noblecourt, présentatrice de Télé Dimanche, sera chassée pour avoir montré ses... genoux !). Lors de ce numéro de Lecture pour tous, émission qui prit son envol en 1953 et qui fut canardée après mai 1968 (l'unique survivant de cette aventure cathodique, Pierre Dumayet, vient de dépasser les 85 ans), Max-Pol Fouchet parle admirablement de Paul Éluard (1895-1952). Parce qu'il parle aussi de lui (1913-1980). L'un est mort à 57 ans, l'autre à 67 ; le premier a écrit « Je serre la forme de l'amour » (Corps mémorable), le second :
« Être assez lourd
Assez lourd d'amour
Du poids d'un ramier
Pour ne pas briser
Les plus hautes branches »
(Règles de vie).
La poésie de Max-Pol Fouchet avait fini par disparaître de nos catégories mentales. Et voici qu'émerge un recueil publié chez Actes Sud : Demeure le secret (18 €).
Dans son introduction, Marie-Claire Bancquart rappelle ce qu'il en coûte au Voyant. Tout petit déjà, en Algérie, Max-Pol s'était créé un camarade imaginaire, tapi sous la table : « Monsieur Linquiétude ». Le 7 janvier 1942, il voit sa femme embarquer sur le « Lamoricière » et songe avec insistance : « La mort ici erre. » Le nauffrage a lieu, Jeanne périt. Max-Pol écrivait en octobre 1941 (Les limites de l'amour) :
« Il suffit d'un mort
Pour savoir en secret
Les machines de l'oubli
Les pièges du souvenir »
Ou bien :
« Je te prolonge tu me limites
Ta frontière est en moi
Ta vie se fait de la mienne
Serais-je si tu n'étais pas ? »
Ou encore et surtout :
« Vestiges des naufrages
Témoignages d'écume
Tout nuage est au ciel
Et vous secrets de la vie
N'êtes-vous pas seulement
Analogies de la mort ? »
Si bien que le recueil suivant, La mer intérieure, « À Jeanne, noyée », n'a pas, dans son hébétude, la force prémonitoire du précédent :
« La mer t'a prise où tu baignais ton corps
Que m'enseignes-tu morte impitoyable
À ton doigt passée la couronne de sauvetage
Tu m'ancres vivant dans le perdurable
Et donns à ma vie le flux intarissable »
Demeure le Max-Pol Fouchet qui fut, à la télévision, l'incarnation du partage culturel avec quelques autres de nos instituteurs nationaux des étranges lucarnes. Il semblait l'avoir prévu, aussi, dans un poème de jeunesse (Corps perdus) :
« Le visage de l'ami
Je le prends le reprends
L'anime et le pétris
Le rivage de la vie
Le poursuis le harcèle
Je le pétrifie »
Alors lisons notre futur dans un poème tardif, Tristesse du Minotaure :
« J'avance nous avançons tels des sacrificateurs
Nous ignorons pour quels dieux nous allons immoler
Les instants vécus parmi la promesse des herbes dures
Nous entendrons à peine le rire des fenaisons.
De quoi saignes-tu, dis-le, ma nuit profonde ? »