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Billet de blog 17 mars 2008

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Comme la Corée, le XVIIe a son 38e parallèle

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Les scrutins électoraux sont-ils la mémoire d’une ville, comme les cicatrices sont la mémoire du corps ? Le XVIIe arrondissement de Paris offre une démonstration en ce sens. Les suffrages s’y partagent selon une ligne qui épouse celle du chemin de fer (reliant à l’origine l’embarcadère de la place de l’Europe à Saint-Germain-en-Laye, conformément au plan des frères Emile et Isaac Pereire).
À l’ouest des rails, qui coupent l’arrondissement en deux à partir de la gare Saint-Lazare, s’étend la plaine Monceau, avec ses meilleurs résultats en faveur de Françoise de Panafieu au détriment de la socialiste Annick Lepetit (643 voix contre 232 rue Ampère ; 583/229 au lycée Carnot).
À l’est de cette ligne, figure l’ancienne circonscription Missoffe, du nom du papa puis de la maman de Françoise de Panafieu, qui récupérèrent puis tinrent ces quartiers des Batignolles et des Épinettes, à la faveur du retour aux affaires du général de Gaulle en 1958. Ces anciens faubourgs étaient jusqu’alors détenus par le parti Communiste, dont la figure tutélaire avait pour nom Prosper Môquet (le père de Guy).
Mais lors des élections législatives de juin 2002, Françoise de Panafieu, sentant le vent du boulet, abandonna ce coin oriental du XVIIe pour aller déloger le vieux Bernard Pons de ses terres droitières par excellence, à l’ouest du chemin de fer, où la rue Fortuny, l’avenue Niel et tutti quanti éliraient une bûche, à condition qu’elle fût estampillée UMP ou tout autre sigle rassurant…
Cependant les Batignolles, sinon les Épinettes, garantissaient tout de même de belles poches de résistance en faveur des néo-gaullistes. Or tout cela est terminé depuis ces municipales de mars 2008. Les quatre premiers bureaux de vote, autour de la mairie et de l’école de la rue Truffaut, ont réalisé un « coming out » socialiste sans faille. Aujourd’hui, aucun bureau à l’est du chemin de fer n’offre plus le moindre sursis à la droite. Cette partie du XVIIe, naguère populaire et désormais emplie de classes moyennes et supérieures dynamiques et modernes (besoin de crèches), apparaît comme le miroir inversé de la plaine Monceau, où niche la grande bourgeoisie assoupie (besoin de maisons de retraite). Les scores se retournent comme un gant au détriment de Françoise de Panafieu et en faveur d’Annick Lepetit (230 voix contre 562 rue du Capitaine Lagache, au métro Guy Môquet).
Cette empreinte du chemin de fer n’est pas une scarification anodine. Si Paris devait un jour être divisé comme le furent certaines villes en Afrique du Sud au moment de l’apartheid, en raison par exemple d’un état d’urgence ou plus paisiblement d’un programme de circulation bannissant l’automobile dans certaines zones, un plan de la capitale permet, d’un coup d’œil, de distinguer les frontières qui (re)surgiraient. L’ancien mur des fermiers généraux (que suivent, en gros, les lignes de métro n° 2 au nord et n° 6 au sud) séparerait le Paris « protégeable » de celui qui ne le serait plus. Et l’espace compris entre les lignes de chemin de fer de Saint-Lazare et celles de la gare de l’Est pourrait former un cône d’entrée dans la capitale, pour accueillir et filtrer les citoyens débouchant de Seine-Saint-Denis. Une telle ligne de démarcation séparerait définitivement le XVIIe arrondissement en deux, épousant une brisure que ces élections municipales ont révélée aussi nette et précise qu’un acte chirurgical…