Toute publicité pour un fameux estaminet des environs de Lille, qui recèle «des jeux traditionnels tels que le billard Nicolas (à soufflette), les toupies, le marteau, la boule à rouler, le massacre…», serait une fausse piste. L'affaire est grave, politique. Tout a (re)commencé par une dépêche de l’AFP: «Martine Aubry a rappelé mardi en Bureau national du PS sa volonté de construire la "maison commune de la gauche", "sans préalable et sans hégémonie à l'égard des partenaires" du PS, a indiqué Benoît Hamon, porte-parole du PS, à l'issue de cette réunion.»
La «maison commune», en politique, c’est ce qui reste quand on est sur le point de tout perdre. Mikhaïl Gorbatchev en fournit la plus cuisante illustration. Il brandit cette idée comme un rameau tendue à l’Europe occidentale en général et à la France en particulier, pour tenter de les découpler des Etats-Unis d’Amérique. Nous sommes au milieu des années 1980, l’Union soviétique joue sa dernière carte. À la fin de cette décennie devaient triompher «les forces antisocialistes» dans les démocraties populaires d’Europe centrale («Gorbatchev ne peut prétendre qu’à fonder une maison commune asiatique», grincent les dissidents de Tallinn à Sofia). Le rêve de maison commune européenne allait s’effondrer. Il y aurait bien découplage: celui de la Russie et de son glacis européen…
Gorbatchev avait pioché l’expression dans un vocabulaire chrétien, orthodoxe en l’occurrence.
Martine Aubry, issue, de par son père, Jacques Delors, d’un terreau catholique fort fertile, retrouve, en parlant de «maison commune», la veine chrétienne de son mentor Pierre Mauroy. Celui-ci, également très marqué par la religion, évoquait effectivement, en 1981, «le peuple de gauche», expression calquée sur «le peuple de Dieu».
La maison, qui renvoie également au temple, est une métaphore biblique ayant fait ses preuves. La maison est aussi une parabole néo-testamentaire fort efficace. Jésus en use, notamment à propos de ce qui fait actuellement souci au parti Socialiste, c’est-à-dire comment bâtir un asile pérenne (Matthieu 7: 24-27):
«C’est pourquoi, quiconque entend ces paroles que je dis et les met en pratique, sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc.
La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont jetés contre cette maison : elle n’est point tombée, parce qu’elle était fondée sur le roc.
Mais quiconque entend ces paroles que je dis, et ne les met pas en pratique, sera semblable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable.
La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et ont battu cette maison : elle est tombée, et sa ruine a été grande.»
Non contente de puiser son inspiration dans le substrat chrétien, Martine Aubry fore dans l’imaginaire de l’Ancien Régime, puisque la maison commune, avant que la Révolution n’imposât la maison républicaine, témoignait au Moyen Âge de l’émergence du pouvoir municipal face au pouvoir royal ou seigneurial. La maison commune devenait le siège des échevins ou des consuls en des cité prospères, avec leurs marchés et leurs foires, dotées de leurs clefs et de leur sceau.
Bref, quand on parle de maison en politique, on se projette moins dans l’avenir qu’on ne lorgne le rétroviseur : tous aux abris !
Léon Blum, en décembre 1920, dans la salle du Manège à Tours (elle-même détruite durant la seconde guerre mondiale), a évoqué la maison alors que scissionnaient les communistes tentés par les desiderata moscoutaires. Resté fidèle à la SFIO fondée quinze ans plus tôt sous l’égide de Jaurès, Blum terminait ainsi son adresse: «Nous sommes convaincus, jusqu’au fond de nous-mêmes, que, pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison.»
Ses ultimes mots continuent de hanter la gauche française: «Allons-nous passer notre temps devant la bourgeoisie à nous traiter les uns de traîtres et de renégats, les autres de fous et de criminels ? (…) Sachons nous abstenir des mots qui blessent, qui déchirent, des actes qui lèsent, de tout ce qui serait déchirement fratricide. Je vous dis cela parce que c’est sans doute la dernière fois que je m’adresse à beaucoup d’entre vous et parce qu’il faut pourtant que cela soit dit. Les uns et les autres, même séparés, restons des socialistes ; malgré tout, restons des frères qu’aura séparés une querelle cruelle, mais une querelle de famille, et qu’un foyer commun pourra encore réunir.»
Quatre-vingts neuf ans plus tard, la politique spectacle ayant tout piétiné sur son passage, il ne reste qu’un PS(DF) grelottant à l’heure de l’ouverture et entonnant une supplique vaguement marquée par quelques références, qui surnagent comme certains morceaux de viande dans un pot-au-feu :