Aperçu David Rieff, le fils de Susan Sontag, de passage avant la publication en français du livre qu’il vient d’écrire sur la fin, en 2004, de celle qui lui donna le jour : Mort d’une inconsolée (Ed. Climats). Il parle un excellent français, comme feu sa mère, enterrée au cimetière Montparnasse (juste derrière la Coupole où nous déjeunons) ; comme sans doute sa fille, qui vit actuellement à Paris. Son espagnol est aussi de parfaite facture et il part la semaine prochaine en reportage pour le New York Times en Colombie, histoire de se pencher sur le Président Uribe.
David Rieff n’est pas du genre tonitruant, ni à l’écrit, ni à l’oral. Il ne haussera pas le ton dans son prochain article depuis Bogota — élue, comme chacun ne peut que l’ignorer, capitale du livre 2007 par l’Unesco. Nul besoin de commencer tous ses papiers par « Je », aucune raison de parler de lui et même une curieuse répugnance à donner son avis sur tout sujet qui viendrait à se présenter. Non, il en convient volontiers, il n’a rien d’un journaliste à la française — comme il existe des cabinets d’aisance à la turque, ou du lapin de garenne à la hongroise. Il s’estime libéré de cette malédiction qui pèse sur notre engeance dans l’Hexagone : se prendre pour un intellectuel ; avoir l’impression, même à propos du moindre chien écrasé, de pondre son petit « J’accuse »…
Dans son livre, il commet un excès de modestie proche de l’amputation à nos yeux effarés : il laisse accroire à ses lecteurs qu’ils ont tout compris à sa place, à propos de ce qui se joue avec la leucémie de sa mère et le refus d’icelle de mourir. C’est bien évidemment grâce à l’auteur que chacun est en droit de tirer des conclusions, alors qu’un écrivain français n’aurait pas résisté au plaisir délicat de tirer lui-même les enseignements idoines, comme on tire un tapis sous les pieds de ses invités. David Rieff n’est pas un écran mais un passeur.
Il se dit « cynique », ce qui dans sa bouche signifie plutôt détaché. Les Clinton l’ont invité à la Maison blanche puis le snobèrent. Il ne s’est pas réjoui de la première occurrence, pas plus qu’il ne fut affecté par la seconde. Il se moque gentiment du décorum de La Coupole : « On se croirait un peu à Dubaï, vous ne trouvez-pas ? »
Aux aguets mais désillusionné, il répliqua dernièrement à un activiste du Hamas, qui montait sur ses grands chevaux à Naplouse en l’assurant qu’Israël serait bientôt vaincu : « Oui, oui, je sais, votre père m’a déjà dit la même chose voilà quinze ans. » À propos de Shimon Peres, aux impressionnantes poses de prophète, dévoré par un amour des livres qui n’atteindra jamais sa passion du pouvoir, il joue à saute-génération pour tenter de déceler qui réalisera enfin la paix.
Bref, un Américain à Paris, puisque le poème symphonique de George Gershwin fut composé voilà exactement quatre-vingts ans, l’année de la naissance de Mickey, l’année de l’élection du républicain Hoover à la Présidence. Tiens, à propos : « Ah non, vous n’allez pas vous aussi m’interroger sur Barack Obama », coupe court l’œil noir et goguenard de David Rieff, où l’on retrouve cette lueur ironico-cosmique si particulière, naguère, à la prunelle de Susan Sontag…
Billet de blog 18 mars 2008