La publicité travaille l'inconscient collectif, tout en s'en repaissant. Elle reflète le fond de l'air qui l'inspire. Elle vaut tous les sondages insidieux, manchettes retentissantes, essais distanciés ou pamphlets éruptifs. La tentation est grande – et souvent opérante – de réduire une époque à un slogan. Ainsi l'ascension politique d'un maréchal revanchard (à l'encontre du seul ennemi intérieur) trouva-t-elle son symbole dans le titre d'un libelle, publié en 1936, par un rouge devenu brun : Gustave Hervé.

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Extrait révélateur : « On peut, à la faveur de l’inquiétude et de l’indignation générales, balayer le régime parlementaire qui est devenu pour la France l’obstacle à tout redressement durable : on le peut à la condition d’avoir un nom à panache – et pas réactionnaire – pour couvrir cette grande opération de salut public. Sans nous décourager, nous recommençons aujourd’hui notre campagne révisionniste, assurés cette fois que, devant l’évidence de la menace et l’imminence de la catastrophe, nous ne parlerons plus dans le désert. Plus que jamais, nous crions à toute la nation : “C’est Pétain qu’il nous faut !” »

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En 2014, à mesure que François Hollande donne des signes – ou des preuves – de sa pusillanimité politique, la France est tenaillée par le prurit de l'homme (voire de la femme) fort(e), providentiel(le) et sauveur (pas de féminin répertorié !). Rien ne pourra mieux en rendre compte, aux yeux des historiens de demain, que cette campagne des supermarchés Leclerc aperçue à Paris, dans les couloirs du chemin de fer métropolitain :

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Le message essentiel d'une telle réclame se réfère, consciemment ou inconsciemment, au triomphe (sur fond de défaite) d'un césar français. Une autorité galonnée (gâteux comme pas un et soumis aux nazis), Philippe Pétain, auquel furent donc votés les pleins pouvoirs, le 10 juillet 1940 :

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Les pleins pouvoirs relèvent de l'indice toujours néfaste. Jean Giraudoux, en 1939, avant la déclaration de guerre contre l'Allemagne hitlérienne, avait donné ce titre énergique à un recueil d'articles et de conférences. Il prônait ce qui venait au prétexte de l'éviter : un racisme français, à même de faire pièce à la haine xénophobe nazie. Extrait symptomatique : « Notre État n'a jamais été guidé que par des considérations matérielles. D'abord, alors qu'il pouvait choisir parmi les races les plus voisines de la nôtre, il a favorisé l'irruption et l'installation en France de races primitives ou imperméables, dont les civilisations, par leur médiocrité ou leur caractère exclusif, ne peuvent donner que des amalgames lamentables et rabaisser le standard de vie et la valeur technique de la classe ouvrière française. L'Arabe pullule à Grenelle et à Pantin (...) Le pays ne sera sauvé que provisoirement par les seules frontières armées : il ne peut l'être définitivement que par la race française, et nous sommes pleinement d'accord avec Hitler pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme supérieure que si elle est raciale, car c'était aussi la pensée de Colbert et de Richelieu. »
En 2014, les fils de pub sont gens roués. Tout en actant et arborant un désir d'airain dans le tréfonds des tripes françaises, les “créatifs” renifleurs de l'agence de communication mercantile ont voulu se garder à gauche. Sous le cri de ralliement flattant l'extrême droite qui couve, de petits signes clignotent en direction d'une forme de résistance anticonformiste, démocrate, attachée à la diversité, protectrice des différences que menace forcément le “plein pouvoir”.

Le clin d'œil sémiologique casse des briques. Il s'adresse à deux minorités visibles du moment : les blacks et les gays, comme on dit. Les Noirs n'auront rien à craindre de la main de fer propre au “plein pouvoir” et pourront donc profiter du gant de velours, suggère le message, qui atteint ici le summum de la médiation.

La conciliation, le raccommodement et la pacification se surpassent, sous couvert de résolution véhémente, avec la pastille du duo de bidons de lessive. Comme deux saints auréolés (Cyrille et Méthode ? Côme et Damien ?), ce couple de récipients rabiboche les pro mariage pour tous (omo) et les anti mariage pour tous (offre familiale). Voilà, de toute évidence, une synthèse pacificatrice, peut-être conçue après une longue gestation au sein du parti socialiste, lui-même hériter des « motions nègre-blanc » des congrès radicaux d'avant-guerre... L'affiche des établissements Leclerc propose donc, avec une maestria ensorcelante, une jonction entre la poigne menaçant de sujétion et l'aménité pleine de tolérance. Du grand art propagandiste, offert aux Français des sous-sols guettés par le trente-sixième dessous !