Antoine Perraud (avatar)

Antoine Perraud

Journaliste à Mediapart

Journaliste à Mediapart

177 Billets

1 Éditions

Billet de blog 18 avril 2008

Antoine Perraud (avatar)

Antoine Perraud

Journaliste à Mediapart

Journaliste à Mediapart

Quand le Président s'en mêle...

Nicolas Sarkozy ira donc présider les obsèques nationales d’Aimé Césaire. « Être mort, c’est être la proie des autres », estimait Jean-Paul Sartre. Aussitôt dit, aussitôt fait, le Président Valéry Giscard d’Estaing s’alla recueillir sur la dépouille du philosophe, à l’hôpital Broussais, en avril 1980.

Antoine Perraud (avatar)

Antoine Perraud

Journaliste à Mediapart

Journaliste à Mediapart

Nicolas Sarkozy ira donc présider les obsèques nationales d’Aimé Césaire. « Être mort, c’est être la proie des autres », estimait Jean-Paul Sartre. Aussitôt dit, aussitôt fait, le Président Valéry Giscard d’Estaing s’alla recueillir sur la dépouille du philosophe, à l’hôpital Broussais, en avril 1980. Et en bon prédateur, VGE, qui sait la valeur du coup double, s’approprie Sartre et Senghor en prononçant l’éloge d’icelui, auquel il succède sous la Coupole en décembre 2004 :


« La percée de l’idée de négritude s’effectue à partir de la publication de l’Anthologie de la poésie nègre d’expression française. Dans cet ouvrage, publié à l’occasion du centenaire des textes de 1848 abolissant l’esclavage, Senghor rassemble les écrits de treize jeunes poètes noirs, écrits brillants, et souvent violents, qui s’inscrivent, au sens propre, dans le combat pour la négritude.
Et il a l’audace de demander à Jean-Paul Sartre, alors en pleine ascension philosophique et littéraire, de rédiger la préface de cette
Anthologie. Celui-ci accepte, et compose une introduction qu’il baptise Orphée noir. Elle assure aussitôt la célébrité de l’ouvrage, et oriente dans un sens nouveau le débat sur la négritude.
Sartre met en garde les anciens colonisateurs, en leur disant :
«Qu’est-ce donc que vous espériez quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Ces têtes, que nos pères avaient courbées, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l’adoration dans leurs yeux ? Voici des hommes noirs, debout, qui nous regardent. »
Et il trace, dans son langage particulier de philosophe engagé, le parcours futur de la négritude :
« Elle apparaît comme le temps faible d’une progression dialectique : l’affirmation théorique et pratique du Blanc est la thèse ; la position de la négritude comme valeur antithétique est le moment de la négativité. Mais ce moment de la négativité vise à préparer la réalisation de l’humain dans une société sans races. Ainsi la négritude est pour se détruire, elle est passage et non aboutissement, moyen et non fin dernière. »
À partir de cette analyse, passionnément débattue à l’époque, on voit apparaître les deux natures, ou plutôt les deux vocations de la négritude. Elle peut être un socle culturel
« en soi », comme eût dit Sartre, composé de « l’ensemble des valeurs du monde noir ». C’est la définition de Senghor.
Ou bien elle peut être une démarche, visant à nier l’infériorité du Noir pour contester la supériorité du Blanc. Et elle devient alors un instrument de libération. »


Quel style appliqué ! Quelle glose étrangère et laborieuse ! Quelle absence de plain-pied ! Il y a chez Giscard et Sarkozy cette même suffisance dans l’insuffisance, en matière littéraire. Chirac tenait à se faire plus bête que nature, Mitterrand mimait à merveille, Pompidou ne manquait pas d’atouts et de Gaulle était écrivain.


Alexandre Duval-Stalla vient de publier une biographie croisée : André Malraux Charles de Gaulle, une histoire, deux légendes (Gallimard, 404 p. 24,50 €). Il y avait de l’amour entre ces deux êtres. « Que le vent souffle plus ou moins fort, que les vagues soient plus ou moins hautes, je vous vois comme un compagnon, à la fois merveilleux et fidèle à bord du navire où le destin nous a embarqués tous les deux », écrivait le chef de l’État à son ministre d’État le 8 janvier 1966. « Avoir eu l’honneur de vous aider était la fierté de ma vie, et l’est davantage face au néant. » (André Malraux, lettre du 15 septembre 1970).


Ce n’est pas tout. Adrien Le Bihan, dans Le Général et son double (Flammarion, 1996), explore la relation fabuleuse et méconnue qu’eut la fondateur de la Ve République avec Pierre Jean Jouve, auquel il écrivait, un mois avant de mourir : «Détaché de tout, je le suis moins que jamais de vous. » Puis, quinze jours plus tard : « Votre poésie qui est douce, vaste et profonde… »


De Gaulle aimait particulièrement ces vers de Jouve, qu’il faudrait psalmodier in petto lors des obsèques de Césaire en présence du président Sarkozy :
« Tu seras bienvenue ô Mort pleine de songe
Après cet infernal chaos. Tu dormiras
Tranquille à effacer l’ignoble qui triomphe
Par toute politique et basse œuvre et plaisir… »