« Je me suis toujours considéré comme un Français juif ou un Juif français, les deux qualités étant en moi indissociables », a pu dire Robert Badinter. Mais les plus hautes autorités de la République admettent difficilement que l’on puisse être Français ET Juif, Juif ET Français. Après la bombe qui avait explosé devant la synagogue de la rue Copernic à Paris le 3 octobre 1980 (quatre morts), le Premier Ministre Raymond Barre avait déclaré : « Cet attentat odieux a voulu frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue, il a frappé des Français innocents qui traversaient la rue. »
François Mitterrand, interrogé par Jean-Pierre Elkabbach le 12 septembre 1994, commet une erreur lourde de sens :
« — Et pourquoi, alors qu’il y a le gouvernement de capitulation, qu’il y a eu les lois anti-juives, vous allez à Vichy, pourquoi vous n’allez pas à Londres ou à Alger ? Je vous pose la question.
— Vous me dites les lois anti-juives. Il s’agissait — ce qui ne corrige rien et ne pardonne rien — d’une législation contre les juifs étrangers, dont j’ignorais tout. »
Rappelons qu’il y eut bien, le 4 octobre 1940, une « loi sur les ressortissants étrangers de race juive » consacrée à l’internement « dans des camps spéciaux » des populations concernées. Mais le 3 octobre 1940, la « loi portant statut des juifs » concernait tous les Juifs de France et stipulait : « L’accès et l’exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après sont interdits aux juifs. » La liste allait de « chef de l’État » à « rédacteurs de journaux », avec cette précision : « À l’exception de publications de caractère strictement scientifiques. » « Ou confessionnel », devait rajouter le décret du 2 juin 1941, remplaçant celui du 3 octobre. Bref, la législation concernait les Français juifs ou les Juifs français.
Jacques Chirac devait déraper le 14 juillet 2004 : « Nos compatriotes juifs, musulmans, ou d’autres mêmes, tout simplement parfois des Français, sont l’objet d’agression au seul motif qu’ils n’appartiennent pas à telle ou telle communauté. » Tout simplement des Français…
Nicolas Sarkozy, le 13 février 2008, lors du 23e dîner du Crif, commet l’erreur inverse, en voulant que « tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah ». Le chef de l'État, aujourd'hui promoteur de la chasse aux « sans papiers », offre ainsi, rétrospectivement, la nationalité française à des enfants arrêtés, déportés, exterminés, alors qu’ils étaient étrangers ou apatrides. Comme l'a noté l’historien Jean-Pierre Azéma : « Vichy livre à partir de l’été 1942 des juifs étrangers, au nom de la xénophobie, puis surtout à partir de 1944, des juifs français. »
« Juger, c'est classer. Juger exactement un individu, c'est le classer correctement » (Gabriel Marcel, Journal métaphysique, 1919, p. 161).