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Billet de blog 20 janvier 2009

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Conchions le roi de Thaïlande, foutre !

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Le 20 janvier 2009, une dépêche d’agence annonce l’inculpation d’un universitaire thaïlandais, Giles Ji Ungpakorn, pour insulte à la monarchie.

Ce professeur de sciences politiques à l'université Chulalongkorn est poursuivi pour son essai A coup for the Rich (Un coup d'État pour les riches). Publié en 2007, l’ouvrage analyse le pronunciamiento de septembre 2006, qui vit des généraux féaux de la couronne renverser le Premier ministre Thaksin Shinawatra.

La veille de ces poursuites, un écrivain australien de 41 ans, Harry Nicolaides, a été condamné à trois ans de prison à Bangkok, où il était sous les verrous depuis son arrestation le 31 août 2008, à l’aéroport, alors qu’il s’apprêtait à quitter le pays en toute innocence. Son crime? Lèse-majesté.


Dans un roman publié en 2005, Verisimilitude (les 226 p. en anglais et en PDF sont atteignable à partir d'ici) l’auteur brossait, tout en égratignant la Thaïlande actuelle, le portrait d’un prince ne manquant pas de vie privée: offensant pour la famille royale, considéra tardivement le pouvoir, qui engagea, en mars 2008, des poursuites visiblement aussi confidentielles que les tirages de l’auteur en question.

«Ça tient du mauvais rêve», a déclaré Harry Nicolaides, les larmes aux yeux. Il a présenté ses excuses tout en plaidant coupable et n’a écopé «que» de trois ans de prison pour un délit, le blasphème à l’encontre de la monarchie, qui peut en valoir quinze. Selon son avocat cité par le Christian Science Monitor, la procédure entamée trois ans après la sortie du livre reflète les efforts entrepris par le nouveau gouvernement pro-Thaksin pour apparaître loyal envers la couronne. Sans jamais l’avouer, les esprits politiques sont hantés par la succession de moins en moins lointaine du roi Bhumibol Adulyadej. Âgé de 81, aussi délicieusement francophone que la reine d’Angleterre, il s’avère le plus ancien monarque à régner en ce monde, puisque son accession au trône date du 5 mai 1950.

Ses sujets se prosternent à ses pieds avec une ostentation écœurante. Gare à ceux dont la souplesse d’échine ferait défaut ! Un citoyen suisse avait passé un mois en prison en 2007 — avant d’être discrètement exfiltré grâce à une diplomatie qui n’ignore point les dessous de table —, pour avoir, un soir d’ivresse, esquinté l’effigie du roi (lui-même assez dégradé).

En 2008, le correspondant de la BBC à Bangkok, Jonathan Head, fut poursuivi par trois fois — il s’agissait de broutilles publiées sur le site de la chaîne de télévision britannique —, pour crime de lèse-majesté.

Le nouveau gouvernement, dans sa névrose obsessionnelle d’offrir des gages à la couronne, vient d’annoncer son intention de bloquer l'accès à 3 800 sites Internet considérés comme insultants pour la monarchie.

Mediapart se dévoue pour être le 3801e.

D’abord en rappelant qu’au lendemain de la victoire de Valmy, lorsque Kellermann enfonça les armées prussiennes le 20 septembre 1792, à Paris, la nouvelle assemblée décréta une excellente chose, qui pourrait prochainement toucher de sa grâce la Thaïlande : la République ! Dans son numéro 51, la Feuille Villageoise annonçait ainsi : «Le 21 septembre, la Convention nationale s’est constituée. Elle est assemblée dans une crise révolutionnaire ; elle est assemblée sans la présence du roi ; elle est assemblée pour former un plan nouveau de gouvernement. Le président a déclaré qu’il faut abolir la race funeste des rois, qui sont dans l’ordre moral ce que les monstres sont dans l’ordre physique. Les cours sont l’atelier des crimes…»

Il faut que le citoyen Bhumibol, peut-être un jour ci-devant roi, sache qu’à trop jouer à ceci...

...on finit comme Capet:

Alors sans être un nostalgique de la machine à raccourcir les autocrates...

...la vision d'un auteur australien de 41 ans derrière les barreaux, fait comme un rat au nom d'un despote à propos duquel fonctionne encore le crime de lèse-majesté...

... soulève, en France, une colère un peu plus que bicentenaire.

On se souvient soudain que se rencontrait, au début des années 1790, un attentat plus insoutenable que tout crime de lèse-majesté: le «lèse-peuple». «Souverain» était devenu un substantif collectif: «L'universalité des citoyens est le souverain.» Certes, «lanterner» ne marquait plus seulement l'irrésolution pour désigner la pendaison à la lanterne des fripons à talons rouges, mais il existait des vexations moins dévastatrices, dans la bouche du Père Duchesne, cette figure burlesque incarnant la langue du Peuple, émotivo-exclamative et farcie de jurons: «Faites beau cul, vous n'aurez qu'une claque!»

Alors, bordel de Bhumibol, ces sacrés mille millions de policiers et de juges cabaleurs, brouillons, hypocrites, fanatiques, enragés, diaboliques, furieux, corrupteurs, vindicatifs, entêtés, dévergondés, cafards, perturbateurs, charlatans, ennemis des lois, ennemis de Dieu, des hommes, et qui plus est, une véritable peste publique vomie par Lucifer pour tourmenter, embêter, vexer, brouiller tous les citoyens de ton royaume, vas-tu enfin, vil coquin couronné, les empêcher de joliment clabauder, foutre?!

Reçois en plein dentier ma lettre bougrement démocratique. Comprendras-tu un jour, pendard, peut-être à l'heure de la boufaille, quand ton cerveau accède à la moindre raison, que les foutus aristocrates qui t'ont tiré du fumier pour te mettre sur le pinacle sont des petits chiens qui veulent, comme les gros, pisser contre les murs!

Toi et ta lignée de butors, cessez d'attiser la grande colère du Père Duchesne, sinon les Sans-Culottes de Paris se mettront en quatre pour venger ceux qui se trouvent enfermés et avilis au nom d'un âne couronné, foutre.

Vous pouvez frémir de rage et scruter la Toile qui allume le flambeau de la sédition, les trônes des despotes, déjà ébranlés, seront renversés. Vive la Sans-Culotterie, vivent les sujets du Siam qui sauront juillettiser et républicaniser contre ceux qui prétendent les ébêtir et les deshumaniser. Nous n'irons plus à Bangkok, le roi n'est point notre cousin. Il n'est pas plus un réprésentant de la Thaïlande qu'un chat est représentant des souris, mille foutre !