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Billet de blog 20 décembre 2015

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Amnistie ou égalité fiscale ?

À rebours de la propagande galopante, retour sur le prétendu “amendement Mediapart”. Ce site d'informations, comme Arrêt sur images, a respecté la loi de la République, avec l'aval des pouvoirs publics. Tandis que Bercy, en tort et en porte-à-faux, menait un putsch fiscal et une vendetta politique...

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Nous assistâmes cette semaine à un bras de fer linguistique, à propos d’un amendement voté puis retoqué par le Parlement. Les uns, en petit nombre, disent amendement Spiil, acronyme du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne, qui regroupe 148 membres, dont deux sites importants directement concernés par l’amendement : Arrêt sur images et Mediapart.

Du coup, c’est devenu l’amendement Mediapart. Voilà pour la désignation. De quoi s’agit-il ?

Amnistie fiscale en faveur de ceux qui s’auto-appliquèrent un taux de TVA favorable, martèlent les grands moyens de communication.

En conformité avec la loi, rétablir l’égalité fiscale entre la presse en ligne et la presse imprimée, répliquent les sites en question.

Effectivement, tout procède d’une loi visionnaire votée en 1986. La presse est une et indivisible, imprimée comme télématique, stipule ce texte. La définition s’impose dès lors en toute matière, y compris en droit fiscal. Bon.

Premier hic : une directive européenne de 1991 est venue limiter aux seules publications faisant l’objet d’une impression papier le taux de TV1 à 2,1 %. Tout ce qui est sur écran relève, en revanche, d’une TVA à 19,6 %. Cela pour éviter que le taux réduit ne soit appliqué à des services fleurissant à l’époque sur le Minitel, toujours commerciaux et souvent roses, de surcroît...

Second hic : en France, le code des impôts reprend bêtement cette disposition d’avant l’arrivée massive des sites d’information sur la Toile. Avec Internet, ce ne sont pas seulement des services coquins qui se dématérialisent, mais la presse elle-même, qui découple l’écrit de l’imprimé.

Le 12 juin 2009, une loi de la République française confirme la loi de 1986 en l’actualisant : la presse désormais dite en ligne relève bien du même régime que la presse papier.

Mais ce point devait mettre un temps fou à trouver sa traduction fiscale, le code des impôts n’étant modifié à ce sujet que le 27 février 2014.

Partant du principe que le droit fiscal n’est pas autonome, Arrêt sur Images et Mediapart ont prétendu d’emblée, en 2008, se référer à la loi de 1986, sans tenir compte du contresens buté de Bercy suite à la directive européenne de 1991. D’autant que les États généraux de la presse, sous le président Sarkozy, en 2008, avaient affirmé l’égalité fiscale pour toute la presse.

Arrêt sur images et Mediapart ont donc appliqué le taux réduit de TVA à 2,1 %. C’était un moratoire de fait, avec l’aval des autorités. D’où l’absence de contrôle du fisc, dûment mis au courant. Bien.

La majorité des commentateurs parle pourtant d’« auto-application ». Cela sous-entend qu’il y eut coup de force, bluff, chantage sur le législateur. Or nous l’avons vu, le législateur s’était prononcé tandis que la seule administration fiscale se faisait tirer l’oreille, incapable de toiletter un code des impôts nécrosé.

C’est Bercy, État dans l’État, qui lança ensuite contrôles et pénalités, peut-être pour venger son héros tout juste foudroyé, Jérôme Cahuzac.

La situation est donc celle-ci : un pouvoir politique faible admet que des sites numériques d’informations bénéficient d’un faible taux de TVA ; avant qu’une administration des impôts forte ne décide de frapper fortement lesdits sites – coupables de ne pas avoir encouru le taux d’imposition abusif auquel ils étaient injustement et illégalement soumis.

Seul argument aujourd’hui avancé, le principe d’égalité devant l’impôt toujours agité par le Conseil constitutionnel : au nom de ceux qui acquiescèrent docilement face au fisc en tort, pénalisons ceux qui eurent l’outrecuidance d’avoir eu raison, avec la bénédiction tacite des pouvoirs publics.

N’est-ce pas alors, sous notre République, le règne du bon plaisir fiscal ?…

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