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Billet de blog 22 mars 2008

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Grands mots et petits remèdes

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C'est bien connu, mai 68 commence le 22 mars (et pourquoi pas le 20 février, lors de la manifestation à la Cinémathèque pour protester contre l'éviction d'Henri Langlois ?)... Et comme il faut avoir un peu d'avance, le coup d'envoi du Jamboree mémoriel fut donné le 21.

Déjà, en 1992, Jean Daniel, dans Le Nouvel Observateur, s'étonnait que le cinquantenaire de la rafle du Vel' d'Hiv' eût donné lieu à des évocations en pagaille non pas le 16 juillet, mais des semaines auparavant, à l'occasion d'un magnifique documentaire de William Karel et Blanche Finger diffusé à la télévision, par La Marche du siècle.

Mai 68, pour son quarantenaire, va provoquer une telle cataracte de publications, que foncer tête baissée dès mars n'empêchera pas d'avoir encore des biscuits (pour ne pas écrire des munitions) deux mois plus tard...

Parmi les perles rares que nous vaut l'occasion, un petit livre de Maurice Tournier : Les Mots de mai 68 (Presses universitaires du Mirail, 126 p., 10 €). Tournier, aujourd'hui retraité actif à Plaisir dans les Yvelines, dirigea le Laboratoire de lexicométrie politique de l'ENS de Saint-Cloud et son ouvrage est ainsi dédicacé : « En l'honneur de quelques morts non identifiés de Mai 68 et en souvenir du militant Omar Diop, élève à l'École normale supérieur de Saint-Cloud, compagnon de Daniel Cohn-Bendit à Nanterre, expulsé de France et suicidé à 24 ans dans une geôle sénégalaise. »

À l'origine de ce mai singulier, y eut-il le Verbe ? La belle épigraphe du livre donne un début de réponse : « Les révolutionnaires de Mai ont pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789. » (Michel de Certeau). Le cheminement lexical proposé par Maurice Tournier, avec ces occurences rétro (blousons noirs, Katangais), follement exotiques (prolétarien), revivifiées (Grenelle), simplement datées (récupération, récupérer, récupérateur), ou à jamais folkloriques (chienlit), nous remet littéralement dans ce bain bouillonnant.

Certaines entrées renseignent sur les sigles en vogue à l'époque, et notamment sur ces organisations militantes qui fleurirent l'espace d'un matin (ainsi en alla-t-il de la FER, Fédération des étudiants révolutionnaires, qui remplaça le CLER en avril 1968 : tendance trotskystes lambertistes). Mais d'autres ravivent le vibrato du temps. Il y a « la base », Graal d'alors. Il y a l'inconditionnel soutien à « la victorieuse guerre révolutionnaire du peuple vietnamien ». Il y a le repoussoir suprême : les laquais, les larbins, les chiens de garde du capitalisme et de la bourgeoisie. Il y a la fête permanente : « Prolétaires de tous les pays, amusez vous ! », « Autrefois, nous n'avions que le pavot. Aujourd'hui, nous avons le pavé », ou encore, dans le grand hall de l'Odéon : « Quand l'Assemblée nationale devient un théâtre bourgeois, tous les théâtres bourgeois doivent devenir des assemblées nationales »...

Et puis, à l'entrée « Conscience », se tapit ce legs anti-autoritaire par excellence de notre joli Mai, quadragénaire d'ici quelques semaines : « L'obéissance commence par la conscience et la conscience par la désobéissance. »