Au Bourget, pour relever le défi, François Hollande a travaillé notre au-delà-de-l'imaginable. Qu'est-ce qu'un discours fondateur ? La rencontre d'un corps et d'un verbe : une pulsation qui fait signe.
Le modèle demeure Charles de Gaulle, sur le forum d'Alger, le 4 juin 1958, transformant son grand corps sanglé d'un uniforme en lettre « i » – le képi marquant précisément le point sur le i –, tout en jouant sur les assonances propres à cette voyelle : « Je vous ai compris ! Je sais ce qui s'est passé ici ! » Il y avait enfin une direction verticale, après que la IVe République se fut noyée dans l'horizontalité chaotique...
François Hollande sembla d'emblée s'y référer, avec tous ces « i » qu'une France dégradée n'a heureusement pas perdus : « Mes chers amis, vous qui êtes ici », aussitôt repris par un « je le fais ici, en Seine-Saint-Denis »...
Mais le candidat socialiste s'est surtout attaché à nous offrir la dignité bonhomme, la hauteur près de chez vous, la paix des cimes ; censées nous consoler de la rage de vaincre « avec les dents » d'un petit président propulsé en 2007, qui lui-même nous vengeait de ce grand languide traité de « roi fainéant », Jacques Chirac.
Durant toute son intervention, François Hollande a fait chanter son discours, avec des jeux de mots à peine enfouis : la « circulaire » qui empêche de « circuler », « la stigmatisation, la division, la suspicion, les oppositions », les résistants corréziens qui ne demandaient pas « des stocks-options pour leurs actions », ou encore la menace de la finance, «emprise devenue un empire ».
La péroraison, avec ce « rêve français », qui nous « ressemble » et nous « rassemble » pour produire un « ensemble », s'avère du cousu main. Nous voilà réunis, reliés, tenus, par une chaîne sémantique subtilement rythmée.
Le « récit républicain » de François Hollande, dans le plus pur style de ce qu'Edouard Herriot appelait « à gauche toute, mais pas plus loin ! », est émaillé d'un sous-texte glissé pour rassurer à droite : « Mon père, parce qu’il avait des idées contraires aux miennes et qu’il m’a aidé à affirmer mes convictions. » En particulier cette perle, qui assimile la révolution à une calamité : « La France a traversé dans son histoire bien des épreuves, bien des crises, des guerres, des révolutions, elle les a toujours surmontées. »
Sans oublier cette façon, au nom de « l'égalité, l'égalité toujours », de proposer des droits aux homosexuels (désignés par une périphrase pudique) aussitôt assimilés aux... handicapés : « Ce sont les mêmes droits pour tous, quels que soient son sexe et son orientation, c’est le droit de pouvoir se marier, d’adopter, pour les couples qui en décident ainsi. C’est le droit, pour les personnes handicapées, de vivre la vie la plus normale possible. »
Ce candidat socialiste brouille admirablement les pistes, tel un de Gaulle en 1958, ou un Mitterrand en 1988, capables de rebattre les cartes. Les commentateurs n'ont relevé qu'une allusion directe au fondateur de la Ve République, mais elles sont légions. Ainsi, ce procédé oratoire : « Je vais vous confier mon secret », qui se réfère à la harangue du général, le 23 juillet 1967, sur le balcon de l'hôtel de ville de Montréal : « Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas. »
François Hollande, c'est l'art du tout et de son contraire poussé à la perfection. Il réussit ainsi à donner l'impression d'un retour au « nous », tout en se livrant, jusqu'à la limite du ridicule, aux rodomontades du « je » : « Je n’accepterai pas que la monnaie chinoise soit encore inconvertible. »
« Je l'ai choisie, je l'ai aimée, je l'ai rêvée », dit l'orateur de son rapport à la gauche. Son discours sécrète une hypnose obéissant à ce rythme ternaire : choisir, aimer, rêver. Tout devient alors possible, jusqu'au renversement, au profit de la patrie, de la fameuse formule de Ronald Reagan en... 1981 (« Government is not the solution to our problem, government is the problem ») : « La France n'est pas un problème. La France est la solution ! »
Hollande joue avec le feu tout en déminant au scalpel. L'exemple parfait concerne la culture. Il cite Baudelaire : « Le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité. » Habilement tronqué, de la part d'un candidat qui brandit un renouveau laïc. En effet, le Poëte, dans cette ultime strophe des Phares, s'adresse rien moins qu'à Dieu, en une forme de prière:
Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
Point fixe protéiforme et donc capable de nous apparaître rondouillard malgré son minois émacié à coup de régime protéiné, François Hollande rassure les uns sans inquiéter les autres ; à l'heure où Nicolas Sarkozy, au bout du rouleau présidentiel, inquiète les uns sans rassurer les autres.
Le candidat socialiste résume le tragique de l'Histoire en une formule qui trotte gentiment dans les têtes – là où d'autres assènent brutalement leurs slogans : « Comment peut-on accepter que cette chance devienne une charge ? » Tout est dit mais rien n'est clarifié. Du grand art : l'enthousiasme sédatif, la plasticité passionnée, la transe pondérée...