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Billet de blog 24 mars 2008

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J'te vendrai ! J'te vendrai !

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Au secours Balzac revient ?! Non, mais trois ventes récentes, dans la sphère politique, ont dû bousculer l'inconscient collectif des Français. Il y eut d'abord 368 objets ayant appartenu à François Mitterrand, écoulés aux enchères par sa veuve afin de renflouer la fondation France-Liberté (un chapeau partit donc à 7800 € ; à l'arrivée, près de 90 000 € pour la fondation).

Il y a, plus classique mais assez symptomatique, la fin de M. Giscard à Chanonat. L'ancien président de la République se sépare du château de La Varvasse. Son père, Edmond Giscard, avait acquis les 1200 m2 habitables entourés de 15 hectares en... 1936. Ce paternel fut l'auteur, dans les années 1940, d'un croquignolet Essai sur la seigneurie de soi-même. On y lit ceci, qui explique tout : « C'est dans l'élaboration d'une famille qu'il faut voir la naissance et les ramifications du nom. L'exemple de Michel de Montaigne est savoureux comme un fruit mûrissant. S'il avait continué à s'appeler Eyquem comme son père, qui ne voit qu'il ne serait plus lui-même et qu'il ne représenterait plus pour ses contemporains et pour nous cette sagesse française, dure et saine, bien plantée dans le sol et y tenant par toutes ses racines. » Edmond avait acheté le nom d'Estaing pour le rajouter à son patronyme (autorisation du Conseil d'État au début des années 1920) ; Valéry vend une gentilhommière restaurée à mort et donc capable de complaire aux nouveaux riches, histoire de restructurer son patrimoine (essayez de prononcer ces trois mots avec l'accent de la haute idoine !), suite à l'achat du château... d'Estaing dans l'Aveyron. Tout va bien, aucune inquiétude : d'un château l'autre.

Troisième vente : celle de la collection napoléonnienne de Dominique Galouzeau de Villepin, qui s'est fort bien passée, même si l'ancien Premier Ministre sembla s'ingénier, ces quinze dernières années, à illustrer une bonne et vieille expression française : « Payer la folle enchère », dans le sens d'être victime de sa propre imprudence.

Aucune de ces ventes n'était donc forcée, à la suite d'un jugement par exemple. Elles étaient volontaires. Et pourtant, elles intriguent, elles inquiètent, en ce pays de propriétaires sclérosés, où céder des actifs vous range parmi les humiliés et les offensés. Est-ce alors le signe d'une évolution ? Je vends donc je suis ?

Pour ceux qui n'ont que soi-même sous la main, aucun bien au soleil mais une solide carcasse, une solution pleine de panache existe grâce à la Toile : être à l'enchère (selon Littré, « se dit de l'homme prêt à vendre, sans tenir compte de sa conscience, ses services à celui qui les les payera le mieux »). Un site se prête à une telle fantaisie marchande, Humain à vendre, qui affiche déjà plus de 500 000 transactions et claironne : « Non, HumainAVendre.com n'est pas un site d'esclavage ! N'avez vous jamais voulu savoir combien vous valez d'euros ? C'est le moment de le savoir, avec HumainAVendre.com vous serez jugés sur vos critères physiques, mentaux, votre cadre de vie, votre comportement et même vos croyances ! Bien entendu cela n'a rien de scientifique et le résultat dépend entièrement des réponses que vous ferez sur le site, alors soyez le plus "honnête" possible. »

Voilà où devait conduire le grisant conseil de Guizot : « Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne. » L'historien louis-philippard ajoutait « et ainsi vous serez électeurs ». Il suffit désormais de remplacer cette proposition dépassée par une déduction d'avenir : « Et ainsi vous serez acquéreurs. »