En juin 2018, lors d'une promenade au Quartier Latin avec Jean-Marie Borzeix – ancien directeur de France Culture –, nous avions eu un choc en découvrant, rue Victor-Cousin, un pochoir révolté, révoltant, de Banksy, ce quadragénaire originaire de Bristol, qui s'impose en étoile mondiale et clandestine de l'art urbain.

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Il s'agissait d'un chien amputé d'une patte et recevant un os de la part d'un homme qui s'avère de toute évidence l'“amputeur” (le terme n'existe pas) dudit animal, gratifié du reliquat de sa mutilation. On ne pouvait imaginer métaphore plus crue, plus violente, plus aigüe, du capitalisme et de son système d'exploitation.
Banksy avait débarqué, incognito comme d'habitude, pour, selon l'expression malrucienne, « laisser une cicatrice sur la planète ». Son intervention harponnait le regard, la conscience et, selon les individus, le cœur...

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En octobre 2019, à Paris toujours mais sur la rive droite, non loin des grands boulevards, l'Espace Lafayette-Drouot organise une sorte de rétrospective forcément franglaisante (« The World of Banksy »), vite faite mal faite, livrant en vrac des reproduction torchonnées, sans la moindre contextualisation et avec des cartouches indigents. Cette entreprise de “cochonnisation” de Banksy, ainsi massacré, expose l'homme et le chien qui, dans ces conditions, ne suscite aucune émotion et tue même l'art, voire l'amour d'icelui.
De même que le McDonald du boulevard Saint-Michel, en face du Luxembourg, magnifie, dans une fresque à l'intérieur du restaurant, le quartier même que ce “néfaste-food” contribue à bousiller par sa seule présence, l'Espace Lafayette-Drouot écrase l'art qu'il prétend servir – mais dont il se sert éhontément.
Un tel lieu, qui fausse, érode et abaisse le goût comme le jugement du public, arrive à ses fins : « C'est tout de même mieux que Bacon », s'extasiaient de malheureux jeunes gens, face à ces sous-Banksy sur-exposés.
Le scandale est triple. Premièrement, enfermer un art fait pour l'air libre dans un affreux espace confiné – en ajoutant de surcroît des cadres carcéraux à une œuvre affranchissante ainsi enchaînée. Deuxièmement, faire payer 14 € – pour mémoire, l'entrée du Louvre, gratuite pour les moins de 18 ans, est à 17 € –, transformant l'acte gratuit par excellence de Banksy en machine à cash carnassière (avec vente de sacs et autres produits dérivés). Troisièmement, agir contre la volonté de Banksy en ajoutant, comme un codicille à ce forfait accapareur, que l'artiste « n'est pas associé » à l'événement. Comment pourrait-il l'être, sinon à se symboliquement suicider ?
Baudelaire fustigeait les marchands tenant boutique et comptoir : il en cauchemardait, l'Espace Lafayette-Drouot l'a fait ! La récupération vénale de toute subversion apparaît sans limite. Jusqu'où devrons-nous consentir à une humiliation pareille, qui doit faire se retourner Banksy dans ses catacombes ?

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