Ce n’est pas pour se vanter, mais ce journaliste possède un assez vaste cabinet d’aisances, qu’il a transformé en musée de l’horreur et de la connerie politiques au XXe siècle.
Il y a une immense affiche du lieutenant Jean Droit (le papa de feu Michel), du 226e : « Debout dans la tranchée que l’aurore éclaire, le soldat rêve à la victoire et à son foyer. Pour qu’il puisse assurer l’une et retrouver l’autre, souscrivez au 3e emprunt de la défense nationale. »
Il y a un portrait de Paul Déroulède, avec sa signature et ce mot d’ordre : « Tant que je respirerai, j’espèrerai », plus cette indication mystico-temporelle : « 1870-19… ». Comme quoi le rossignol du carnage avait des rêveries prémonitoires. Il y a aussi, à côté de la chasse d’eau, Pétain : « Suivez-moi, gardez votre confiance en la France éternelle. » Avec deux bâtons étoilés qui se croisent et des initiales qui donnent envie de suivre et de garder confiance : PP.
On voyage dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, dans l’Argentine de Peron, dans les anciennes démocraties populaires d’Europe centrale et orientale, dans ce qui fut l’URSS (avec une plaque récupérée dans un immeuble de Kiev indiquant le milicien le plus proche). Il y a Le Grand Livre des journalistes de Kim Jong-il. Scritti e Discorsi de Benito Mussolini (Editzione Definitiva). Benoît-Méchin : Éclaircissements sur Mein Kampf (Albin Michel). Vizita oficiala de prietenie a tovarasului Nicolae Ceausescu, Impreuna cu tovarasa Elena Ceausescu, in Republica Populara Democrata Coreeana (18-21 octombrie 1988). Mao Tsetoung : Cinq essais philosophiques. Quotations from President Ron (avec toutes les gaffes de Reagan !). Un leaflet de l’Institut François Mitterrand : «L’œuvre de François Mitterrand continue avec vous. Ensemble…»
Il y a un plan détaillé : « Organisation des obstacles à la frontière de la RDA. » Des catalogues d’expositions, à Vienne (Kunst und Diktatur), à Londres (Art and Power, Europe under the dictators 1930-1945). Jozef Pilsudski, Charles Maurras, Pie XII, Salazar, Lénine, Staline, Thatcher, Pinochet, Hiro-Hito et bien d’autres exposent leur bobine. Une carte postale intitulée «Inégalité – Iniquité – Stérilité», en faveur du vote familial, montre une « balance électorale », avec, sur un plateau, un homme seul, visiblement ivrogne et débauché, tenant un bulletin de vote dans sa main ; sur l’autre plateau, un pater familias, sa femme et leurs huit enfants, donc cinq garçons de moins de 21 ans : un seul bulletin de vote en tout et pour tout !
Il y a ce livre des éditions Chronique, datant de 1996, consacré à Joseph Staline. La quatrième de couverture précise : « À paraître dans la même collection Les grands hommes : Hitler, Churchill, Mao Tse Toung, Fidel Castro, Boris Elstine, De Gaulle, Mussolini, Franco, François Mitterrand, Ronald Reagan, Napoléon, etc… » Chez Hachette, on a Bigeard : Ma guerre d’Algérie.
Encadrée, une lettre d’avertissement d’un Président-directeur général à ce journaliste, datée du 15 novembre 1994 :
« Antoine,
L’article que tu avais consacré à Bigeard à Dien-Bien-Phu dans le numéro du 9 novembre m’avait échappé. Plusieurs lecteurs m’alertent — de vive voix ou par lettre — et protestent.
Je ne peux que leur donner raison. Je suis en effet scandalisé par ce petit papier où le mépris le dispute à l’anachronisme. Traiter Bigeard de « baderne » parce qu’il est âgé et général, et brosser de lui un portrait physique qui le ridiculise (« en short et le ventre en avant »… « la recherche d’une larmichette ») relève de l’habituelle polémique de droite, sinon d’extrême droite, et pas du tout du journalisme.
Si les mots ont un sens, on peut attribuer à Bigeard beaucoup de qualificatifs, mais sûrment pas celui de baderne. Il est indigne de s’attaquer aux personnes de cette manière et de se gausser des larmes d’un officier qui fut fait prisonnier à Dien-Bien-Phu et revient sur les lieux.
Si tu avais pris la peine de te renseigner un peu, tu saurais que cette baderne est entrée dans l’armée comme sous-officier et que, de la guerre de 40 aux ultimes conflits coloniaux, il a participé à tous les combats et qu’il a été blessé 5 fois. Tu saurais aussi qu’il a toujours été un officier républicain.
Certes il a aujourd’hui près de 80 ans. Est-ce une raison pour le brocarder ? Ce n’est pas la première fois que je constate dans tes papiers cette dérive grave contraire à l’éthique du journalisme et à l’esprit de Télérama. J’ose espérer que cet avertissement y mettra un terme définitif.
Je demande que désormais la Rédaction en chef lise tes papiers, quels qu’ils soient, avant publication. »
En aval, ce journaliste signifia juste à son PDG que baderne n’est pas un qualificatif, mais un substantif. En amont, ce journaliste avait ainsi accueilli ledit PDG : « J’ai constaté dans le Who’s Who que vous aviez la Croix de la Valeur militaire. Puisque vous êtes né le 21 juillet 1930, vous deviez être un très jeune et très vaillant résistant. » L’homme avait blêmi : « Non, il s'agit de la guerre d’Algérie. »
À SUIVRE...