C'était il y a trente ans. La gauche allait enfin abroger la loi dite “sécurité et liberté” de février 1981 – legs encombrant du septennat de Valéry Giscard d'Estaing et de son garde des Sceaux Alain Peyrefitte, prêt à toutes les dérives malfaisantes pour accomplir sa carrière.
Les socialistes, parvenus au pouvoir, avaient porté place Vendôme un libéral (au bon sens – politique – du terme) : Robert Badinter. Mais nos excellences roses retrouvaient un prurit à leur flanc droit : l'obsession sécuritaire, mère de toutes les fautes morales et politiques, alors incarnée par le ministre de l'intérieur Gaston Defferre (écoutez-le, dans la vidéo ci-dessous, à 3'28", pointer « le nombre d'étrangers qu'il y a en France »...). Cet extrait du journal télévisé d'Antenne 2 du printemps 1983, présenté par Christine Ockrent, montre d'une part la dégradation intervenue en trente ans dans le traitement de la politique sur le petit écran (le sujet dure près de 5 minutes !), d'autre part l'extraordinaire faculté de la gauche française à patauger dans les mêmes contradictions indémerdables, d'un François (Mitterrand) l'autre (Hollande)...
Tout figure dans la vidéo ci-dessus. Il y a le clivage outrageusement personnalisé entre le ministre de la justice et le ministre de l'intérieur, qui désespère « le peuple de gauche » et mine l'action gouvernementale – la droite, dans sa grande férocité unanime, ne connaît pas un tel dysfonctionnement...
Il y a surtout cette incapacité française à intégrer que les peines ne sauraient être toujours fixes (les peines souples furent pourtant introduites dans le Code pénal en 1810 !). Comme si la justice devait être inflexible, comme si la souplesse était le laxisme. Comme s'il fallait être maximaliste, tel Gaston Defferre affolant son conseiller Maurice Grimaud en exigeant toujours plus de sécurité, au point de provoquer une vivre réaction de Robert Badinter ébranlant la solidarité gouvernementale, ainsi qu'en témoigne la une du Monde (17 avril 1982) : « M. Badinter indique que les propos de M. Defferre sur la sécurité n'engagent que lui. » Et le quotidien du soir de regretter de tels tiraillements, sous la plume d'Alain Rollat : « L'équipe de M. Mauroy a donné, ces derniers jours, l'image d'une pétaudière. »
Plus ça change, moins ça change. Aujourd'hui, Christiane Taubira reprend la partition d'un Robert Badinter rappelant à l'Assemblée nationale, en juillet 1982, qu'il fallait confier aux magistrats « la plus grande latitude possible, dans le cadre de la loi, pour déterminer dans chaque cas, au regard de chaque prévenu ou de chaque accusé, la décision la plus satisfaisante, tout simplement parce que l'homme est divers et que les situations sont multiples. Il n'y a pas là une sorte d'abandon du législateur, mais simplement la prise de conscience, plus forte au fil des années, que l'intérêt souverain d'une meilleure justice commande de laisser au juge cette liberté souveraine d'appréciation ».
À l'opposé mais en toute camaraderie, embusqué quoique dans le même camp, se place aujourd'hui, avec la rouerie d'un ripolineur de façade, Manuel Valls, fossoyeur de l'idée socialiste dont il se réclame pour la vider de son sens. On croit entendre, de sa bouche, le propos qu'Alain Peyrefitte opposait à Robert Badinter, en juillet 1982, dans l'hémicycle : « Il est très grave d'affaiblir ainsi la notion même de sanction, de banaliser la répression de la violence et surtout des délinquants endurcis et dangereux. »
On croit également retrouver, chez Manuel Valls, la brutalité de joueur de pocker dont faisant montre, à sa place, il y a trente ans, Gaston Defferre. Celui-ci réclamait haut et fort le droit pour les policiers de faire usage de leurs armes à feu après sommation, comme les gendarmes. À ses collaborateurs qui lui rappelaient que la police n'avait jamais revendiqué une telle possibilité, Defferre répliqua : « Il faut toujours placer la barre très haut pour obtenir quelque chose. »
L'origine ne protège de rien, quand un tel engrenage happe le titulaire socialiste de la place Beauvau. Defferre était issu d'un milieu protestant sensible aux injustices et à la violence d'État ; Valls vient d'une famille catalane marquée par les rigueurs du franquisme. Toutefois, en matière délictuelle, la paranoïa sécuritaire et la schizophrénie politique de certains ministres de l'intérieur de gauche les conduisent sur le chemin du lord psychotique campé par Peter O'Toole dans The Ruling Class (1972), fabuleux film britannique, noir, satirique et prophétique de Peter Medak.
Voici ce qu'il advient du politicien qui hurle avec les pire loups en réclamant, au nom de l'ordre souverain, la sévérité, la fermeté, l'intransigeance et tout le tremblement :