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Billet de blog 26 octobre 2016

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Hollande croqué par Tocqueville

Dans ses «Souvenirs», Alexis de Tocqueville (1805-1859) décrit le surgissement de la révolution de 1848 et l'apathie patente du roi Louis-Philippe, en des termes qui semblent crucifier l'actuel monarque républicain de notre système faisandé. Imparable...

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Pour la compréhension de ce qui s'est joué au XIXe siècle, Alexis de Tocqueville et son esprit de finesse rivalisent avec Karl Marx et sa puissance analytique. 1848 en propose le meilleur exemple, tant nous sentons sur nos nuques, en 2016, le souffle de cet événement matriciel. Nous sommes tous des « quarante-huitards » : l'Europe des peuples s'ébroue, sans que les oligarchies prennent la mesure de ce qui gronde.

Illustration 1
Charles Philipon (1800-1862) : « La Métamorphose du roi Louis-Philippe en poire »...

La France actuelle offre, sous nos yeux, un état d'esprit politique comparable à ce qui fermentait aux derniers jours de la monarchie de Juillet : la gauche de gouvernement semble coincée dans les ornières du « juste milieu » louis-philippard. Et le malheureux François Hollande, à défaut de se présenter, présente bien des points communs avec un Louis-Philippe caricaturé en poire inopérante...

En guise de « concordance des temps », voici un extrait éblouissant des Souvenirs de Tocqueville, rédigés en 1850-1851 (leur publication ne devait intervenir qu'en 1893), concernant cette France de 1848 qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celle d'aujourd'hui, jusqu'au sommet de l'État – tant qu'il y a encore un sommet et un État !

« Le pays était alors divisé en deux parts ou plutôt en deux zones inégales : dans celle d'en haut, qui seule devait contenir toute la vie politique de la nation, il ne régnait que langueur, impuissance, immobilité, ennui ; dans celle d'en bas, la vie politique commença au contraire à se manifester par des symptômes fébriles et irréguliers que l'observateur attentif pouvait aisément sentir. J'étais un de ces observateurs, et bien que je fusse loin d'imaginer que la catastrophe fût si proche et dût être si terrible, je sentais l'inquiétude naître et grandir insensiblement dans mon esprit, et s'y enraciner de plus en plus l'idée que nous marchions vers une révolution nouvelle. Cela marquait un grand changement dans ma pensée, car l'apaisement et l'aplatissement universels qui avaient suivi la révolution de juillet m'avaient fait croire pendant longtemps que j'étais destiné à passer ma vie dans une société énervée et paisible. Et qui n'eût en effet regardé que le  dedans de la fabrique du gouvernement en eût été convaincu.

Tout y semblait combiné pour produire, avec les rouages de la liberté, un pouvoir royal prépondérant presque jusqu'au despotisme ; et en réalité ce résultat s'y produisait sans efforts par un mouvement régulier et paisible de la machine. Le roi Louis-Philippe était persuadé que, tant qu'il ne porterait pas la main lui-même sur ce bel instrument et le laisserait opérer suivant ses règles, il était à l'abri de tous les périls. Il ne s'occupait qu'à le tenir en ordre et à le faire fonctionner suivant ses propres vues, oubliant la société elle-même sur laquelle cet ingénieux mécanisme était posé; il ressemblait à cet homme qui refusait de croire qu'on eût mis le feu à sa maison parce qu'il en avait la clé dans sa poche. »