Au Théâtre de la Madeleine à Paris, lundi 26 octobre, Bérangère Bonvoisin a donc hissé sur scène, comme annoncé, le déroulé des commentaires qui firent leur chemin à la suite de l'article en forme de «parti pris» de Gérard Desportes, «La laïcité est-elle soluble dans le sarkozysme?», mis en ligne sur Mediapart le 22 août 2008. Une quarantaine d'acteurs amicaux donc bénévoles, la plupart issus du Conservatoire (citons Christine Brücher incarnant Vancouver alors avatar numérique de Mlle Bonvoisin), se sont déployés pour un soir singulier, dans et malgré le décor du Voyage de Victor, où s'illustrent en ce moment, les jours ouvrables, Guy Bedos et Macha Méril.
En dépit de l'effet statique ainsi obtenu — le handicap fut transformé en concept et les blogueurs entassés sur scène semblaient (ne pas) sortir de la caverne platonicienne —, l'activité intellectuellement capricante que constitue la rédaction de commentaires sur un site participatif indépendant et de qualité sautait à l'ouïe sinon aux yeux. Bérangère Bonvoisin a réussi son «geste artistique, civique et burlesque».
Il y a une sorte de vivissection-resurrection de la parole dans cet acte de porter en scène ce qui gisait ailleurs. Jean-Louis Benoît, voilà une quarantaine d'années, s'était ainsi emparé de l'enregistrement clandestin d'Un conseil de classe très ordinaire, avant de clouer sur les planches des mots voletant sur le petit écran (La Nuit, la télévision et la guerre du Golfe), ou, l'an dernier, de fondre sur le Journal de Jacques Foccart (De Gaulle en mai).
Par-delà le comique (in)volontaire ou l'indignation prophétique de commentaires soudain sous les projecteurs, le spectacle acclimaté au Théâtre de la Madeleine diffusait le meilleur de la Toile, sourcilleuse, avisée, humaine et incantatoire. Ces internautes, en août 2008, refusaient le sarkozysme tout en l'analysant, le rejetaient tout en le définissant. L'exaspération n'était pas à son comble. L'invective ne tenait pas lieu d'argument massue. En ce sens, Bérangère Bonvoisin et ses comédiens offrirent à méditer sur la grâce précaire d'une réflexion menée en commun dans la précipitation numérique. Des noms d'abonnés infléchissant ce débat d'alors sont gris devenus, sur Mediapart (Joël Martin, Bonne-Voglie...), et les échanges d'aujourd'hui sont parfois trustés par des trolls, ces mouches du coche digitales infécondes...
Le spectateur en venait donc, lundi soir, à distinguer un âge d'or vieux de quatorze mois sur Mediapart, qui n'en a pas vingt-quatre ! Vertu vertigineuse d'un art bientôt trimillénaire et siamois de l'agora, cette chambre d'écho de nos rêves, de nos désirs, de nos frustrations personnelles ou politiques: le théâtre...