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Billet de blog 28 mars 2008

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Fourniret prend la plume

Le meurtrier Michel Fourniret, jugé à Charleville pour une série de crimes, a fait parvenir au début de son procès une longue missive au tribunal, dans laquelle il résume sa position, qui, écrit-il, « tient en 6 mots : procès sans huis clos = bouche cousue ! » (l'image de la bouche cousue est bien entendu loin d'être neutre).

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Le meurtrier Michel Fourniret, jugé à Charleville pour une série de crimes, a fait parvenir au début de son procès une longue missive au tribunal, dans laquelle il résume sa position, qui, écrit-il, « tient en 6 mots : procès sans huis clos = bouche cousue ! » (l'image de la bouche cousue est bien entendu loin d'être neutre). Une telle épître apparaît certes supérieure aux bafouilles du toulousain Patrice Alègre, mais Fourniret n’en devient pas pour autant le génie vite vanté par certaines gazettes. « Après que » gouverne fautivement le subjonctif, il orthographie « concluerai » tel un verbe du premier groupe et persiste à écrire « boy-cott » et « boy-cotter », comme si le mot garçon en anglais (« boy ») était mis en exergue ; à moins qu’il ne faille y déceler quelque chose comme bécotter.


L’obsession sexuelle du manipulateur sadique transparaît dans son exigence itérative de rencontrer les familles de ses victimes, comme un prédateur rencontre une proie. Il réclame un tête à tête avec insistance : « Ce que je vois, moi, dans un tête à tête, c’est l’importance fondamentale du courant de sincérité spontanée propre au caractère absolu d’une face à face les yeux dans les yeux. » Il faut que dans le huis clos, il remette cela, symboliquement, sans être surpris dans sa besogne par, écrit-il en soulignant ces mots, un « procès ouvert aux quatre vents ». La métaphore du huis clos devient explicite : « Les sentiments, eux, face à une situation que préside la relation humaine, obéissent moins spontanément à une résolution qu’au jaillissement de la sincérité. Jaillissement qui, lui, ne se domine pas. »


Obsédé de soi-même, dont il se fait une haute idée, Fourniret, paraphrasant Euripide (« Parle si tu as des mots plus forts que le silence ou garde le silence »), souligne d’emblée dans sa lettre : « Difficile de prendre la parole, quant tout ce que l’on a à dire n’est pas plus beau que le silence. » Mais il prend donc la parole et ne la lâche plus durant huit feuilles interminables. Altissime idée de sa littérature. En revanche, il ressert, à la fin du feuillet 6, la même citation sur le silence qui s’impose, aux avocats, leur intimant l’ordre de se taire désormais, comme si cette sagesse proverbiale était une donnée valable pour autrui mais dont lui, Fourniret, pouvait s’affranchir. Tel le viol, tel le crime. Le fait de s’exprimer, dans cette lettre en forme de défi, apparaît donc comme la continuation du meurtre par d’autres moyens…


Méprisant à l’extrême tant il se sent supérieur, il a l’arrogance pour fidèle compagne : « Ce n’est pas aux gloussements d’un public avide de cinoche que je me dois. » Monsieur s’immole, Monsieur se voue, Monsieur est consacré : « S’il ne s’agissait que de me couper la tête, le narcissiste (sic) manipulateur que d’aucuns, virtuoses en la matière, voient en moi ne pourrait qu’être flatté du privilège d’être offert rituellement en pâture à la vindicte collective. C’est qu’une fois décollée, ma tête découvrirait les bienfaits de la quiétude. » Bref, Christ aux outrages, Fourniret devient le garant sacrificiel de la quiétude du bon peuple, de la canaille…


Il y a là quelque chose de sardonique, dont n’est pas éloigné le démoniaque : « Ma réelle appréhension de laisser un legs maudit aux générations à venir. » Ainsi donc, si la justice ou ceux qui sont censés la rendre (« happés qu’ils sont par un quotidien consacré, en vrac, à la lecture des journaux, aux contrariétés dues à la réforme de la carte judiciaire, et au programme TV du soir »), si cette justice exercée par des sots n'a pas la « sagacité » (Fourniret se repaît de ce mot) d'accéder aux désirs de ce roi du crime, la malédiction retombera sur nos enfants. Ultime tentative de manipulation irrationnelle d'un rat aux arrêts, qui se rêve toujours lion tout puissant. Piteux mais instructif. Voilà pour la prose. Et, sans être aussi monomaniaque que Fourniret, « prose », en argot, nous ramène à cette idée fixe : « Fesses (dargeot, dargif, dargiflard, derche, joufflu, meules, miches, noix, pétard, pétrusquin, train, valseur) »...