Le 30 mars 2009 au soir, à la Scam (société des auteurs multimédias), le réalisateur et ancien directeur de la Villa Médicis Jean-Marie Drot, 80 ans, s'échauffe: «Quelque chose me dit que tout cela se finira avec des fourches.» De quoi s'agit-il? Les chaînes de télévision de service public ont refusé, sans même y jeter un œil, un film réalisé en 2003 par Robert Bober, à l'occasion des cinquante ans de l'émission «Lectures pour tous», créée en 1953 et passée à la trappe en 1968, dans la foulée des événements.
Robert Bober a procédé à une magnifique mise en abyme: Dumayet se regardant, en 2003, regarder avec Marguerite Duras à Trouville, en 1992, leur «Lectures pour tous» de 1964...
Derrière ses rides — il est né en 1923 et avait donc 80 ans lors de cet hommage dont ne veut aucun écran —, Pierre Dumayet ne dit pas un mot, s'effaçant derrière des archives comme déjà rejointes, mentionnant juste ses compères de «Lectures pour tous», Pierre Desgraupes, Max-Pol Fouchet, Nicole Vedrès, tous disparus, avant de constater: «Et moi, je suis là, comme un con de vivant.»
Alors le film fore dans l'essentiel patrimonial, notamment les entretiens avec Mauriac. Vous noterez ici que Pierre Dumayet lui donnait du «maître», comme à tout Immortel se transportant jusqu'au studio pour y être fixé par la réalisation de Jean Prat.
Pas de «maître» pour Jean Paulhan, reçu en 1962 à la télévision mais élu l'année suivante seulement sous la Coupole. En revanche, remarquez comme l'écrivain, tel un hibou mal luné, détourne la tête, ne prête pas un regard à Pierre Dumayet, pour, au fil de l'entretien, finir par aviser enfin sur sa gauche, son interlocuteur, qui l'apprivoise petit à petit, graduellement, par ses questions: douze minutes fascinantes, littéralement astronomiques, comme une rotation de planète.
«Relectures pour tous» de Robert Bober multiplie les découvertes, parfois d'ordre végétal, comme le poète Jules Supervielle, dont les mains s'agitent à l'unisson des feuilles d'un arbre derrière lui: nous n'étions plus, exceptionnellement, en studio.
Ces 58 minutes (il existe une version longue mais n'abusons pas!) apparaissent vitales. Ce documentaire qui revisite une émission culte transmet l'amour des livres et des écrivains. «Rien à faire!» (ce sont les premiers mots d'En attendant Godot), la télévision, devenue supermarché qui ne pense qu'en termes de «têtes de gondoles», a eu la peau du livre. La culture au bout de l'écran? «Ceci tuera cela», comme l'écrit Hugo dans Notre-Dame de Paris.
Peu avant cette projection, pour un public choisi et digne des chrétiens des catacombes ou des dissidents d'ex-démocraties populaires, Pierre Dumayet, devenu écrivain trop méconnu, était élevé, par l'historien Emmanuel Leroy-Ladurie, au rang de commandeur dans l'ordre du mérite. À 86 ans, ce vétéran qui publia en 1964 un Vu et entendu en souvenir des écrits posthumes de Victor Hugo, se lança dans un discours désopilant et précis, sur le mérite. Il évoqua les débuts de la télévision, quand chacun avait la liberté d'inventer ce qui n'existait pas et ne pouvait donc encore être confisqué. Le pétillant burgrave, avec des souvenirs remontant à deux générations (le journal télévisé fut créé par Pierre Sabbagh en 1949), nous décrivait Internet...
(PS: les mots en gras recèlent donc un lien menant, par la grâce d'un «clic», à des archives en forme d'offres de preuves ou à des textes équivalant à des notes en bas de page...)