La proposition de loi de réparation des condamnations pour homosexualité (désormais intitulée « portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 ») a été votée à l’Assemblée nationale hier, jeudi 18 décembre, à l’unanimité (114 votes pour). En deuxième lecture, les députés ont rétabli ce que les sénateurs avaient précédemment enlevé : l’inclusion des années 1942-1945 dans la période couverte par la loi et l’indemnisation financière des personnes condamnées. Un désaccord persistant entre les deux chambres, la ministre a annoncé la convocation d’une commission mixte paritaire pour trancher.
L’unanimité du vote final ne reflète ni la teneur des discussions, ni la diversité des positions, au cours d’une séance parfois un peu confuse. Cette unanimité a à peine impliqué un sixième des députés – il y avait très peu de monde dans l’hémicycle.
Pour le rapporteur, un « goût d’inachevé » et une « réparation imparfaite »
Celles et ceux qui, comme moi, soulignent depuis 2022 l’incomplétude et les lacunes du texte ont pu être surpris par la position du rapporteur. Le député socialiste Hervé Saulignac a ainsi insisté, dans sa déclaration introductive, sur les limites du texte. Je cite ses mots : « lacunes », « gigantesques trous dans la raquette », « goût d’inachevé », « réparation imparfaite ». Toutefois, contrairement à ce qu’il a avancé, il ne s’agit pas seulement d’une « amertume », mais bien d’un problème de justice, dû à l’arbitraire de la proposition de loi : un certain nombre d’hommes et de femmes, victimes de la répression de l’homosexualité, sont laissés à la porte. Certains élus socialistes semblent avoir découvert tardivement un certain nombre de failles (pourtant documentées et signalées depuis 2022-2023) ; pourquoi n’y ont-il pas prêté attention plus tôt ?
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Pour autant, il n’a pas été question de combler ces lacunes. Au point que le rapporteur Saulignac faisait un aveu d’impuissance, évoquant « ce que nous pouvons faire de mieux » – notamment parce qu’en seconde lecture, il n’est pas possible d’aller au-delà ce qui avait été validé en première lecture (article 45 de la Constitution). Cela ne fait que souligner la négligence et la légèreté du travail parlementaire de première lecture, au cours duquel ces problèmes avaient déjà été posés et décrits. À son tour, l’oratrice socialiste Marietta Karamanli a enfoncé le clou : elle a décrit des « mesures très inférieures à celles qui ont été prises dans plusieurs autres États » (en effet ! Il est temps de l’admettre !). Le tableau est saisissant : les parlementaires proposent et défendent une loi dont ils affirment en même temps, et si clairement, l’imperfection.
En l’état, la loi se contente de revenir sur les deux articles du code pénal qui mentionnaient explicitement l’homosexualité entre 1942 et 1982. Elle laisse de côté les pratiques pénales – pratiques des juges qui ont utilisé différents délits contre les comportements homosexuels, pratiques des policiers, pratiques administratives, etc. Le rapporteur Saulignac a tenté de le justifier par une drôle de pirouette intellectuelle : la discrimination serait constituée par l’existence d’articles du code pénal visant l’homosexualité ; seules des « dispositions » peuvent être concernées par la réparation, pas l’« usage ». C’est une aberration en droit de la discrimination qui ne se contente pas de regarder les textes. Quand, par exemple, la CEDH condamne la France pour des contrôles d’identité racistes « au faciès », ce sont bien des pratiques des services de police qui sont visées, pas un texte.
Mensonges et amendements
Du côté des opposants à la réparation, Sébastien Chenu a martelé : « La France n’a jamais été homophobe ». Le député du Rassemblement national a tout au plus concédé quelques « égarements ». En commission des lois, le Rassemblement national s’était déjà opposé aux indemnités pour les condamnés, affirmant que l’Allemagne, l’Espagne ou le Canada ne l’avaient pas fait. C’est un mensonge du Rassemblement national : ces trois États, qui ont inspiré la proposition française, ont précisément fait le choix d’indemniser les individus condamnés.
Du mensonge, il s’en est également trouvé chez Les Républicains : pour justifier la suppression des trois années couvrant le régime de Vichy, la député Virginie Duby-Muller a expliqué que les historiens et les chercheurs en sciences sociales avaient établi une distinction nette entre avant 1945 et après 1945. Non, c’est l’inverse qui fait consensus : en matière de répression de l’homosexualité, il y a une indéniable continuité entre Vichy et la République. L’exclusion des trois années de Vichy a également été défendu par Horizons .
Le Parti socialiste, LIOT, Ensemble pour la République et Les Démocrates (Modem) ont défendu le rétablissement du texte dans sa version votée en 2024 par l’Assemblée nationale. La France insoumise et EELV, principalement par les prises de parole d’Andy Kerbrat et de Sandra Regol, ont fait de même, en continuant d’essayer d’élargir le texte, comme ils l’avaient déjà fait en commission (je précise avoir échangé avec ces deux députés qui ont mené un travail précis en amont des discussions). Plusieurs de leurs amendements ont été déclarés irrecevables avant la séance (en vertu de l’article 40 de la Constitution), notamment au sujet de l’article 330 du code pénal sur l’outrage public à la pudeur (les personnes condamnées avant 1960 et entre 1980-1982 ne pourront, donc, obtenir réparation, comme je l’avais expliqué début 2023). Il faut souligner l’usage strict de l’irrecevabilité : un amendement précisant que la commission statuant sur les demandes d’indemnisation « participe à la recherche des personnes concernées toujours vivantes » a été rejeté.
D’autres amendements ont été écartés (parfois à quelques voix près), portant sur les territoires coloniaux (qu’en est-il des personnes qui ont été condamnées ou arrêtées par les autorités françaises dans ces territoires?), sur l’Alsace-Moselle (où s’est appliqué le paragraphe 175 allemand, du fait de l’annexion, et où certaines peines ont été validées et requalifiées par les juges français en 1945), et sur la prise en compte des poursuites et non des seules condamnations (par exemple, des hommes ayant passé plusieurs mois en prison pour homosexualité, en préventive, puis relâchés sans être jugés – il y en a eu). Une fois encore, le rôle spécifique et autonome de la police a été laissé de côté.
Un seul amendement a été adopté, reconnaissant les effets larges des dispositions répressives : il affirme que ces dispositions ont constitué « une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et une violation du droit au respect de la vie privée pour les personnes poursuivies sur leur fondement de manière discriminatoire ou contraintes de dissimuler leur orientation sexuelle afin d’échapper à leur application. »
Au sujet de l’Alsace-Moselle, la ministre a semblé affirmer que la commission chargée de statuer sur les demandes d’indemnisation pourrait faire preuve d’une certaine souplesse, reconnaître (et indemniser) des situations particulières. C’est une affirmation en demi-teinte : le propos n’est pas inscrit dans le texte, n’a pas valeur de loi mais pourrait être utilisé en cas de contentieux initié par des personnes exclues de la réparation.