Sur un mensonge par omission - 2
Trois ans après l’assassinat terroriste de Samuel Paty et trois jours après celui de Dominique Bernard, ce lundi 16 octobre était consacré au recueillement dans les collèges et lycées. Les cours prévus avant 10 heures du matin ont été annulés et une minute de silence a été observée à 14 heures dans tous les établissements scolaires et les rectorats. Mais, à ce jour, l’usage des termes « terrorisme » ou « terroriste » continue d’être évité par les plus hauts responsables de la France insoumise, en opposition avec toutes les communications d'EELV, du Parti socialiste, du Parti communiste français, de Génération.s, de la REV et de la Gauche écosocialiste...
« La terreur est la méthode la plus efficace en politique. »
Adolf Hitler cité par Hermann Rauschning dans Gespräche mit Hitler (Zurich, 1940)
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Il y a tout juste trois ans, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, 47 ans, professeur d’histoire à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), était assassiné puis décapité à la sortie de son collège par un jeune islamiste radicalisé. Vendredi 13 octobre, Dominique Bernard, 57 ans, professeur de français à Arras (Pas-de-Calais), a été tué à coups de couteau en s’interposant face à un autre jeune islamiste radicalisé.
Dès l’après-midi de ce vendredi 13, la députée LFI Sophia Chikirou prenait la parole à l’Assemblée nationale, « au nom du groupe [parlementaire] insoumis » : « Nous savons ce que cherchent les terroristes chaque fois qu’ils frappent, semer la discorde et la guerre. Nous devons résister comme nous avons toujours résisté. Nous devons refuser à l’ennemi commun, celui qui sème la terreur et la mort, celui qui amène les larmes et la douleur, à celui-là, nous devons refuser la moindre victoire. Jamais nous ne céderons à la haine. Jamais, jamais nous ne céderons à la peur. Nos morts sont nos héros, mais aussi nos maîtres. (…) Au nom du groupe insoumis, je dis notre détermination sans faille à nous dresser face au terrorisme. »[1]
Ce discours a impressionné. D’autant qu’il comprenait les mots « terroristes » et « terrorisme » [2], imprononcés - jusqu’à aujourd’hui - par les premiers membres de la direction de la France insoumise, Mathilde Panot, présidente du groupe parlementaire insoumis à l’Assemblée nationale, et Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, notamment, comme je le relevais, le 13 octobre, ce qui a d’ailleurs suscité quelques réactions déraisonnables… Notoire exception, bien entendu volontaire, François Ruffin, député insoumis de la Somme, écrivait, dès 13h02, le 13 octobre, sur X (ex-Twitter) : « Encore l’horreur, encore l’abjection. Un enseignant a été lâchement assassiné au couteau ce matin, dans son lycée à Arras. Plusieurs blessés. Trois ans après le meurtre de Samuel Paty, le terrorisme islamiste frappe de nouveau au cœur de notre République… »
« Aux idiots utiles… »
Du 7 octobre, jour des attaques terroristes du Hamas en Israël, jusqu’à aujourd’hui, la fracture entre celles et ceux qui qualifient ces atrocités préméditées [3] de « terroristes » et celles et ceux qui refusent obstinément de le faire n’a cessé de s’aggraver. La persévérance et l’insuffisance des arguments des Insoumis qui ont campé sur la seule dénonciation de « crimes de guerre » n’est pas pour rien dans cette aggravation.
Dans le communiqué du groupe LFI à l’Assemblée nationale, publié dès le samedi 7 à midi, il n’est pas question de condamnation ni de terrorisme. Le bureau du groupe LFI a alors choisi de parler de « l’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas » et de l’expliquer, dans la même phrase, par « un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ». Le même jour, Jean-Luc Mélenchon évitait lui aussi toute qualification terroriste et omettait même de citer le Hamas, dans un message publié sur X (ex-Twitter) : « Toute la violence déchaînée contre Israël et à Gaza ne prouve qu’une chose : la violence ne produit et ne reproduit qu’elle-même. »
En conséquence de quoi, le député socialiste de l’Essonne Jérôme Guedj, pourtant fervent partisan de la NUPES, se disait, dès le lendemain, « abasourdi, dégoûté, effrayé de voir que dans un tel moment, on pouvait avoir une relativisation, une explication, que l’on pouvait chercher des circonstances, des explications à l’intervention des terroristes », après avoir déjà réagi à chaud, via X (ex-Twitter) : « Aux idiots utiles des terroristes du Hamas qui les exonèrent en relativisant au nom de l’impasse politique du conflit israélo- palestinien, de la poursuite de la colonisation, de Netanyahou… Vous me dégoûtez. Qu’on en trouve à gauche est insupportable. »
« Cette attaque terroriste du Hamas »
Dès le samedi 7, EELV condamnait « l’attaque terroriste du Hamas contre Israël et appel[ait] à des solutions politiques et diplomatiques pour faire cesser la violence ».[4] Le lendemain, le Parti socialiste faisait de même : « Le Parti socialiste condamne sans réserve l’attaque terroriste du Hamas contre Israël. Il adresse son soutien à la population israélienne qui subit les tirs de roquettes, les meurtres de masse et les prises d’otage de civils (hommes, femmes, enfants, personnes âgées), les mises en scène odieuses de meurtres ou de détention. » Pour sa part, la Ligue des droits de l’homme (LDH) publiait, le même jour, un communiqué au titre explicite : « Halte au terrorisme et à l’escalade sans fin de la violence ! » Tandis que Denis Lefebvre, rédacteur en chef des publications de l’Office universitaire de recherche socialiste (OURS) et directeur de la revue Histoire(s) socialiste(s) répondait au quotidien La Dépêche : « Chacun a le droit de critiquer la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens depuis des décennies, mais en arriver à une situation comme celle de ces derniers jours où on égorge des enfants et où on viole des jeunes filles, et ne pas dire que c’est du terrorisme, c’est presque excuser l’attaque. » Le communiqué du PS, daté aussi du 8 octobre, adoptait une position très proche et qui tranchait nettement avec celle des Insoumis : « La politique du gouvernement Nétanyahou ne saurait être mise en avant pour relativiser l’agression terroriste dont est aujourd’hui la cible la population israélienne. Rien, jamais, ne saurait justifier des actes terroristes. »
Le lundi 9 octobre, Génération.s publiait à son tour un communiqué sans ambiguïté : « L’attaque terroriste déclenchée par le Hamas à l’aube du samedi 7 octobre 2023 a créé la stupeur au sein de la population israélienne et au-delà. Nous condamnons sans réserve et de façon inconditionnelle cette attaque terroriste du Hamas qui a fait des centaines de morts. Nous condamnons, dans les mêmes termes, les prises d’otage pour servir de boucliers humains et de monnaie d’échange en violation du droit international. Condamner ces crimes de guerre ne nous exonère pas de chercher à analyser et combattre les raisons profondes d’un conflit qui plonge depuis des années des millions de Palestinien·nes et d’Israélien·nes dans l’horreur. » Le 10 octobre, le Parti communiste français faisait de même : « Chaque jour aggrave l’horreur éprouvée par l’opinion internationale devant le massacre de centaines de civils israéliens par les forces du Hamas. Rien ne justifiera jamais un carnage aussi contraire aux valeurs de la dignité humaine et du droit international. Le Parti communiste français réitère solennellement sa condamnation totale de ces actes terroristes qui, en visant des hommes, des femmes, des enfants et même des bébés, ont ensanglanté la société israélienne… »
Le lundi 9 octobre encore, dans un texte adressé (sur la boucle de messagerie interne du groupe LFI à l’Assemblée nationale) à ses collègues insoumis, le député de Paris Rodrigo Arenas critiquait clairement les propos tenus par le leader et la direction de LFI au sujet de l’attaque du Hamas contre Israël : « La justesse des causes anticoloniales et du refus des oppressions perdent leur légitimité le jour où elles acceptent les massacres de civils et le terrorisme aveugle comme des stratégies militaires acceptables. Si les victimes perdent leur humanité à nos yeux parce qu’elles seraient du mauvais côté de la frontière entre oppresseurs et opprimés, alors c’est toute l’humanité qui est assassinée... » Le même jour, Clémentine Autain (LFI), dans un billet de blog, réprouvait également les « monstruosités » du Hamas et soulignait que « le terrorisme n’est en aucun cas une solution libératrice pour les peuples ».
« Comment expliquer cette absence de condamnation claire des actions du Hamas ? », se demandait France Info, toujours le 9 octobre. Rémi Lefebvre, professeur à l’université et à l’Institut d’études politiques de Lille, n’y voyait aucun mystère : « LFI cherche à ménager son électorat de confession musulmane. »
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement »
Mais la direction de LFI n’a pas été ébranlée par ces premières réactions. Ainsi, le mardi 10 octobre, devant la presse, la cheffe des députés de La France insoumise (LFI), Mathilde Panot, a affirmé que son parti ne changerait pas « d’un iota » sa position consistant, comme l’avait déclaré son leader, à mettre en parallèle « l’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas » et le « contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem ». Pourtant, au sein de LFI, les députés François Ruffin et Alexis Corbière avaient condamné, dès le samedi 7, sans ambiguïté, l’acte « terroriste » du Hamas.
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François Ruffin enfonçait même le clou, dans un entretien publié par Le Monde du 10 octobre. Détaillant son désaccord avec la direction de LFI, il disait, à propos du Hamas : « C’est une organisation fanatique, terroriste, qui a toujours été l’adversaire des progressistes au Proche-Orient, hostile à tout compromis de paix, qui veut la fin de l’État d’Israël (…). Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement : samedi, le Hamas a commis des abominations. » Sa critique se faisait alors plus vive : « On doit mettre des mots forts sur des actes horribles, sinon notre parole est discréditée, moquée, enlisée dans des justifications byzantines, pas à la hauteur de la gravité des événements. Nous ne sommes pas le point de repère politique, diplomatique, moral, que nous devrions être. »
De même, Aymeric Caron, député de la Révolution écologique pour le vivant (REV), apparenté LFI de Paris, vice-président du groupe d'amitié France-Israël, invité du 19/20 Info le 11 octobre, assurait que "le Hamas a commis des actes atroces, ignobles" et que, "évidemment, ce sont aussi des actes terroristes", avant d'insister : "On ne peut pas nier que le Hamas agit comme une organisation terroriste."
Pourtant, le même jour, lors d’une conférence donnée à Bordeaux, Jean-Luc Mélenchon tentait à nouveau de convaincre, par un argument pseudo-juridique, que l'usage du mot "terrorisme" est une erreur : « Si nous acceptions de caractériser comme terroriste une action de guerre, nous la soustrayions au droit international. » Avant de s’en prendre avec colère aux « bandes de phraseurs », aux « occupants de plateaux à perte de vue » et aux « commentateurs de leur nombril »… Le problème, c’est que son argumentation biaisée n’a fait que jeter un peu plus d’huile sur le feu.
« Une ligne rouge a été franchie »
Aussi, dès le lendemain, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste se révoltait de façon plus explicite que jamais, dans les colonnes de Libération : « Les prises de position de LFI et de Jean-Luc Mélenchon – je le déplore – ont obscurci ce que doit porter la gauche dans ce moment : un message de solidarité avec le peuple israélien victime d’une attaque terroriste d’une ampleur et d’une nature inédites ». Avant d’estimer « inacceptable » le fait que LFI refuse de qualifier le Hamas d’organisation « terroriste » et d’évoquer une « faute politique et morale ». Comme en écho, la présidente des Jeunes socialistes, Emma Rafowicz, considérait de même qu’« une ligne rouge a été franchie » et que « le triumvirat Mélenchon-Bompard-Panot a complètement perdu la raison »…
Le 13 octobre, la Gauche écosocialiste (Clémentine Autain) publiait un communiqué particulièrement vif (republié par le mouvement Ensemble !) et peu avare du mot tabou chez LFI : "Depuis samedi dernier, les informations se succèdent sur les crimes atroces commis par les combattants du Hamas contre des civil·es israélien·nes, notamment dans les villages communautaires proches de la frontière sud de Gaza. Le bilan humain de ces actions terroristes approche aujourd’hui 1000 victimes. Le massacre d’hommes, de femmes, de jeunes gens et d’enfants, les prises d’otages, y compris encore d’enfants, sont des faits impardonnables qui nous glacent d’effroi. Rien ne saurait justifier ces actes de terreur contre les civil·es. Nous les condamnons avec la plus grande fermeté. Cette attaque terroriste, menée par des groupes armés dirigés par le Hamas, est un crime de guerre totalement abject." Une sorte de désaveu ?
Dimanche 15 octobre, le Conseil national du Parti communiste français tirait une conclusion politique de sa divergence avec LFI, dans une déclaration substantielle : « La gravité de la situation internationale, comme en France, appelle la gauche à être à la hauteur de ses responsabilités. Malheureusement, elle ne l’est pas. La Nupes, telle qu'elle a été constituée pour les élections législatives sous la volonté hégémonique de LFI, est devenue une impasse. (…) Dans la dernière période, les insultes de dirigeants de LFI, comparant la direction du PCF à des collaborationnistes nazis sont à ce titre inadmissibles et ont indigné largement, car elles banalisent l’extrême droite et cherchent à diviser la gauche. Et le refus récent de qualifier d’actes terroristes les atrocités commises par le Hamas, délibérément à l’encontre de civils, affaiblit les rassemblements nécessaires pour la paix au Proche-Orient et la lutte contre les crimes de guerre de l’armée israélienne… »
À cette occasion, le PCF a aussi adopté une résolution particulièrement solennelle : « Les communistes, réunis en conseil national, éprouvent l’horreur qu’a constitué la journée du 7 octobre qui restera gravée dans nos mémoires. L’horreur devant le massacre de centaines de civils israéliens par les forces du Hamas, devant des actes terroristes qui, en visant des hommes, des femmes, des enfants et même des bébés, ont ensanglanté la société israélienne mais aussi toute l’humanité. Nous les condamnons avec la plus grande fermeté sans ambiguïté. Rien ne peut les justifier. Nous exprimons notre solidarité avec le peuple israélien et exigeons la libération immédiate des otages détenus par le Hamas. Ce n’est pas un acte de résistance qu’à commis le Hamas, c’est un acte de barbarie. Un acte de barbarie qui a visé les juifs, comme à l’occasion des pogroms qui ont tragiquement marqué le siècle dernier. Jamais nous ne confondrons la résistance avec un carnage aussi contraire aux valeurs de la dignité humaine et du droit international. Face à de telles attaques, dont la sauvagerie ébranle le monde, c’est toute l’humanité qui doit se mobiliser contre le fléau du terrorisme, contre ceux qui alimentent leur discours, les arment, les financent, en s’appuyant sur toutes les règles du droit international et la coopération totale de tous les pays dont celle de la France. »
[1] Pour mémoire, il y a trois ans, dès le 17 octobre 2020, lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, Jean-Luc Mélenchon avait appelé à « une répression ciblée du terrorisme islamiste ».
[2] Depuis octobre 2022, Manuel Bompard est président de l’association La France insoumise avec, comme secrétaire, Mathilde Panot et, pour trésorier, Maxime Charpentier.
[3] Au moins 1 400 personnes, pour la plupart civiles, ont été tuées en Israël depuis l’attaque, lancée samedi 7 octobre, par le Hamas, près de 200 otages ont été capturés et sont toujours détenus (bilan au 16 octobre). Le bilan, pour les ressortissants français, atteint 19 morts et 13 disparus. Lire, dans The Times of Israël du 16 octobre : « « Jamais vu ce degré de barbarie » : Israël montre les corps massacrés par le Hamas. »
[4] « Ce matin, le Hamas a lancé des attaques et commis des actes terroristes contre Israël faisant plusieurs centaines de victimes civiles et militaires ainsi que de nombreux blessé•e•s. Les écologistes condamnent ces événements particulièrement effroyables sans aucune ambiguïté, rien ne justifie jamais d’attaquer délibérément des civil•e•s. »