Nous reviennent en mémoire les propos ineptes d'un homme politique bien connu qui s'était cru obliger de vanter les bienfaits de la colonisation, la nôtre bien sûr. Faire un tour au musée Paul Valéry à Sète pour admirer les 70 toiles représentatives de l'Art aborigène tord le coup à ces idées délétères.

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Les Aborigènes sont les primo occupants de l'Australie. Maltraités, décimés, spoliés, ils sont parqués dans des réserves dont les contours sont sans cesse remis en cause. Histoire d'enfoncer le clou anglo-saxon, les enfants leur ont été volés pour être confiés à des institutions qui allaient leur inculquer notre belle civilisation occidentale ; si on ne pouvait leur blanchir la peau, on tentait de blanchir leur âme.

Cette civilisation, vieille de milliers d'années, plus ancienne que la nôtre, les premières traces remontent à soixante cinq mille ans avant J.C (pour mémoire, Lascaux date de 17 000 ans avant notre ère), était en passe de disparaître. Culture de l'éphémère, peintures rituelles sur les corps, dessins dans le sable, fresques sur les rochers, tradition orale, elle allait doucement chavirer dans l'oubli. Au début des années 70, un mouvement fort constitué autour de fresques collaboratives a permis aux Aborigènes de se faire entendre et de récupérer une petite partie de leurs terres (20 % de leurs territoires à ce jour). Dans la foulée, des femmes décident de transcrire de manière pérenne cette histoire volatile que le Bush et la modernité engloutissaient peu à peu. Sur tissu, sur écorce et sur toile, à la peinture acrylique, elles ont transposé les mythes et les légendes qui constituent la base de leur civilisation. Celle-ci n'est pas uniforme, il existe plusieurs clans, chacun ayant sa langue et sa mythologie. Ces derniers se sont réunis pour définir, ensemble, ce qui pouvait figurer sur ces toiles. Il fut convenu que des petits points couvriraient en partie les éléments relevant du sacré, seuls les initiés pouvant y avoir accès. La technique de travail est curieuse, pas de chevalet ou de support, la toile est posée par terre et les peintres travaillent allongées ou à quatre pattes. Une survivance, sans doute, des fresques rituelles qui, jadis, étaient peintes à même le sol. Toutes ces œuvres racontent indéfiniment l'histoire de ce peuple intimement lié à la nature au travers de signes.

Chaque signe a des significations multiples. Deux crochets face à face sont entre autres des hommes assis, quatre demi-cercles représentent des femmes en palabre. Un cercle concentrique symbolise le lieu de passage d'un ancêtre vers l'au-delà, une ligne serpentine est tout à la fois l'eau ou le serpent. La richesse des interprétations laisse pantois. Il y a mille façons de regarder et de lire ces dessins et peintures. Tous ces éléments donnent des toiles étranges et colorées. Les symboles essentiels les ponctuent toutes, mais toutes racontent une histoire différente.
Nous devons cette exposition à Pierre Montagne, collectionneur tout d'abord touche-à-tout, qui, après avoir découvert la peinture aborigène, est devenu quasiment monomaniaque. Toutes les régions sont représentées et les femmes peintres constituent les ¾ de la collection.
Cette exposition est essentielle. Elle invite à regarder autrement la peinture et à voyager très loin dans une dimension spatio-temporelle, inconnue pour notre rationalité européenne.
Jusqu'au 26 septembre 2021
Musée Paul Valéry - Rue François Desnoyer
34200 Sète