Loin de moi l'idée de faire du prosélytisme. Je ne veux convaincre personne de la beauté intrinsèque de cet art qui met la vraie mort au cœur du spectacle, drame et fête à la fois. La grande faucheuse est superbement ignorée dans notre société, pire encore, des charlatans font croire à une possible vie éternelle sur terre. Les êtres humains ne meurent plus chez eux, ils le font dans des mouroirs appelés pudiquement soins palliatifs. L'antichambre du mouroir, c'est l'EPHAD. Avec la pandémie, la France entière a réalisé qu'elle avait des vieux qui tombaient comme des mouches, car plus sensibles au COVID que la moyenne. Qui s'en était soucié jusque là (plus précisément depuis 2003, date de la grande canicule et première alerte sur la vulnérabilité des personnes âgées) ? Les parkings de ces lieux ne se remplissent ni en semaine, ni le dimanche. Le vieux est seul, sauf quand on ne peut pas le voir. En revanche, les arènes se remplissent d'une foule bigarrée et mélangée pour regarder la mort en face. Situation complètement anachronique et décalée, où chacun a un rôle à jouer, le toro que l'on souhaite beau, brave et noble, le torero que l'on désire vaillant, technique et artiste, et le public, jeunes et vieux, riches et pauvres confondus, supportant le couple qui se livre à un étrange ballet sur le sable. Quand la faena a été mémorable, le toro grand, il faut entendre les gradins debout ovationner la bête et crier «Torero, torero, torero ».
En ces premières années du 21 e siècle, qui ne sont pas avares en guerres et massacres en tout genre, la sensiblerie va bon train. On oublie les vieux, devenus le temps d'une pandémie « nos seniors », mais on gémit sur le sort de toutes les bêtes à quatre pattes, sauvages, domestiques ou de compagnie. Pour ces dernières, on s'empresse de les abandonner quand elles deviennent trop encombrantes. Pour mémoire, 1000 toros tués dans les arènes, 100 000 animaux de compagnie abandonnés et euthanasiés, chaque année. Sans compter les chats rejetés à l'état sauvage qui occasionnent de nombreux dégâts. La maltraitance animale, mantra de notre époque, commence pour moi avec la chosification des animaux, les bains de boue pour les chiens et le shampouinage des chats, par exemple. On a perdu de vue depuis belle lurette la cruauté de la nature, qui sait se régénérer sans état d'âme, à la condition qu'on la laisse faire. L'élevage extensif du toro, qu'il soit de race espagnole, camarguaise ou landaise, préserve la biodiversité, faune et flore confondue, de ces grands espaces, zones humides pour les manades du pourtour méditerranéen, ou garrigues arides de l'intérieur. Un exemple parmi d'autres, il existe un oiseau qui se nourrit exclusivement des parasites qui s'incrustent dans le pelage des bêtes à fourrure. Il a certainement un nom scientifique, mais je l'appelle l'épouilleur du toro.
Le campo est très loin de Dysneyland. Ce ruminant qu'est le toro bravo semble placide à première vue, mais, sans raison apparente, il peut entamer un combat mortel avec un de ses congénères. Une histoire de susceptibilité ou un vizir qui veut être calife à la place du calife, nul ne le sait. Mais la bagarre est féroce, sans aucune limite. Que le meilleur gagne, que l'autre meurt.
Ne nous leurrons pas, cette loi n'est que le début d'un long processus qui vise à supprimer toute exploitation de l'animal au profit de l'homme. En résumé, je ne comprends pas cette alliance contre nature des animalistes et anti-spécistes avec les écologistes. Le combat n'est clairement pas le même. S'il advenait que la corrida soit interdite, les élevages disparaitraient. Et ces grands espaces où le toro vit en liberté pendant 4 ou 5 ans s'évaporeraient en faveur de cultures plus ou moins raisonnées, dans l'hypothèse optimiste. La pessimiste verrait ces espaces recouverts de serres en plastique pour produire des fraises en décembre, ou pire encore de grands centres commerciaux.
Pour celles et ceux que cela intéresserait (et qui lisent l'espagnol), je les invite à lire un article d'El Mundo, consacré à Frank Cuesta, journaliste de la télévision espagnole, animaliste et anti-taurin. C'est l'histoire d'une démarche intelligente qui pourrait servir d'exemple à toutes celles et tous ceux qui éructent des insultes à longueur d'articles, d'émissions de radio ou télé sans aller au fond des choses.
https://www.elmundo.es/television/momentvs/2018/10/15/5bc46d7b46163f324e8b4587.html