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Billet de blog 5 avril 2017

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L'ENIGME DU BONHEUR

Annie, ou comment un accident de la vie peut bouleverser l'existence d'une femme et la contraindre à revoir ses priorités et à s'interroger, tout partiulièrement, sur la nature même du bonheur...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elle avait supporté, enduré, la fatigue, les malaises, cette toux qui ne la lâchait plus jusqu’au sang qu’elle avait craché un jour dans les toilettes du lycée. Alors, elle avait consulté son médecin et suivi son conseil,  affolée, d’arrêter de fumer en attendant les résultats des multiples examens et analyses prescrits. Elle s’était cru toujours jeune, immortelle, belle éternellement, inaltérable. Elle savait qu’elle avait vieilli, qu’elle était en train de traverser sa vie mais elle feignait de l’ignorer. L’idée de ne pas s’en rendre compte la confortait dans la conviction que le vieillissement était un processus naturel qui ne la concernait pas. Et puis la vérité lui avait été assénée. ALÊTHEIA lui aurait dit Arnaud s’il elle s’était ouverte à lui de cette information qu’elle était atteinte d’une tumeur cancéreuse au poumon. Ce qu’elle n’avait pas fait, gardant pour elle et ses médecins, le secret sur sa désormais mortelle destinée.

-Ne t’inquiète pas Kévin…Elle se voulait rassurante. Tout va bien. Je suis surmenée c’est tout. Tu sais bien que j’ai toujours du mal à finir l’année, plaisanta-telle encore ! Etait-il dupe de ses mensonges ? Elle en doutait. Ça lui était égal. Elle voulait que tout entre eux demeurât inchangé.

Pour passer à autre chose, elle lui demanda si le roman qu’il composait pour faire concurrence à Arnaud dans leur manière de cerner la réalité progressait. Il eut un mouvement de la main signifiant que pour l’heure il s’en fichait et qu’elle ne le trompait pas avec ses airs de tragédienne au cinquième  acte. Elle le rabroua. S’il était venu pour lui gâcher la fin de cette splendide journée pleine de clarté…Il prit alors le parti de l’imiter avant qu’elle ne le renvoyât chez lui.

-Oui et non. Son livre stagnait. Il avait trop de travail, était préoccupé, il s’inquiétait. Il ne précisa pas le sujet de cette inquiétude indéterminée. Elle le savait très bien qu’il était mort d’angoisse à son sujet. Cela faisait plus d’une semaine qu’elle était absente et n’avait répondu à aucun des coups de fil qu’il lui avait passés. D’où sa venue jusqu’à chez elle, forçant les règles, sans l’avertir. D’où sa présence têtue et taciturne, sa mauvaise humeur, son besoin de comprendre ce qu’il se passait, qu’elle infirmât ou confirmât les rumeurs qui circulaient dans tout le lycée et qu’il ne pouvait brutalement lui balancer. Ce n’était pas la première fois que sur elle on jasait mais cette fois-ci le mélange de commisération, d’apitoiement et de perfidie qu’il avait décelait dans les ragots l’inquiétait. Une intuition mauvaise le tenaillait. La méchanceté n’était pas franche. Il lui semblait que ses collègues le considéraient avec pitié. Avec contentement, méchanceté et pitié. C’est ainsi qu’il aurait défini le ton de leur voix lorsqu’ils lui parlaient, l’insistance fielleuse de leurs regards et la nature du sourire contraint qu’ils lui adressaient dans les couloirs. Il avait passé toute la semaine à éviter Arnaud. Ils ne pouvaient se mentir et finalement, il préférait sa suspicion aux confidences d’un ami qui devait ne pas être mieux informé que lui mais dont les questions, l’angoisse peut-être ou la volonté de dédramatiser l’auraient ébranlé, forcément.

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