L’art est le don que fait la vie aux êtres auxquels elle n’a rien offert d’autre.
Il est assez curieux que nous ne parvenions pas à trouver un réel accord unanime et pertinent sur la définition d’une œuvre d’art. Science, philosophie, psychanalyse, histoire tiennent un discours sur le sujet qui en montre la nature versatile et la volonté de la circonscrire vaine. Nous pourrions penser que les artistes sont les mieux à même d’expliciter l’essence de leur création. Parmi eux non plus, nous ne parviendrions pas à trouver de réponse définitive et unique à la question : « qu’est-ce que l’art ? ».
Il semble que pour s’approcher du problème que pose cette question, il faille porter un regard mouvant et circulaire de façon à tenter de distinguer l’œuvre, le créateur, ses moyens de production, les récepteurs de l’objet inventé et donc de nous intéresser à la fois aux notions de beauté, de sensations, de perception, de sensibilité, d’intelligence et de génie.
Nous savons que l’étymologie du mot « art « est le terme latin « ars » qui traduit lui-même le grec « teckné ». Il n’est pas inutile de rappeler que l’art est avant tout le fruit de l’apprentissage d’un métier permettant la maîtrise des techniques qui le constituent. Ce n’est certes pas inutile de rappeler la proximité initiale de l’artiste et de l’artisan, néanmoins elle est loin d’en exprimer l’essence.
En effet, à la différence de l’artisan, l’artiste n’a pas à créer un objet dont l’usage doit-être pratique, un objet facilitant la vie au quotidien, utilitaire et fonctionnel. Pas plus que son travail ne consiste, uniquement, en la stricte application des règles acquises d’un savoir-faire.
La distinction entre l’artiste et l’artisan est nettement délimitée par la relative et pragmatique inutilité de l’œuvre d’art. Une œuvre d’art n’est pas destinée à satisfaire ou faciliter les nécessités organiques ou la vie sociale de l’homme.
Quelle serait donc la fonction de l’œuvre d’art ?
Là encore les avis divergent…
Définie comme simple imitation de la réalité, elle se voit largement détrôner par la photographie et tous les multiples capteurs et enregistreurs modernes du monde audio-visuel.
A l’inverse, détourner l’homme d’une réalité, vécue comme contraignante, pénible, monotone ou frustrante, et considérée comme un simple moyen d’évasion, elle est bien loin du plébiscite réalisé par toutes les autres productions à vocation divertissante et, dans la majorité des cas, abrutissantes et démagogiques.
Interprétation plus pertinente est celle d’être un moyen d’expression et de communication. Là encore, l’œuvre d’art est en concurrence avec l’apprentissage du langage ordinaire, quotidiennement employé, afin de remplir ces missions.
Le rôle historique attribué par Hegel à l’art eu égard à l’évolution de l’humanité, au développement de plus en plus complexe et subtile des facultés humaines est très intéressant. Cependant, l’art cesserait d’exister dans sa tentative d’aider l’humanité à progresser dans la mesure même où l’histoire atteindrait, selon Hegel, sa fin : l’évolution et la perfection continues de l’homme démontrent le caractère erroné de cette thèse.
Faut-il alors adopter le point de vue de la psychanalyse sur l’art, plus ou moins anticipé par les conceptions de Schopenhauer et de Nietzsche au 19è siècle ?
Schopenhauer voit en l’art une échappatoire possible au « vouloir-vivre » qui se manifeste sous la forme du désir de persévérance et de perpétuation animant le monde vivant dans sa globalité. Dissimulé derrière le voile de l’illusion de la représentation que j’en ai, le réel, masque son absurdité, son absence de cause, autrement dit, sa raison d’être. L’art permet à l’homme d’échapper à l’omnipotence de cette volonté aveugle de la nature, dans la mesure où il la suspend dans la contemplation esthétique et désintéressée d’une réalité qui s’offre dans sa transcendance et sa vérité.
Nietzsche, pour sa part, rejette le pessimisme passif qui caractérise la thèse de Schopenhauer. Il lui substitue donc la « volonté de puissance », cette force vitale qui traverse le monde en un renouvellement perpétuel des êtres que l’artiste représente, dans son œuvre, privilégiant le foisonnement et l’ivresse dionysiaque du réel au détriment d’une métaphysique trompeuse qui met le corps à mort afin de mieux affirmer l’éternité de l’idée.
La psychanalyse, quant à elle, focalise l’intérêt sur le potentiel créatif des forces pusionnelles refoulées dans notre inconscient et elle en fait la source intarissable des productions artistiques individuelles d’hommes qui possèdent le talent de les donner à voir par une métamorphose esthétique apte à séduire la conscience.