Ils sont là, tous, mais ils ne sont pas venus de leur plein gré. Dire qu’il vous a fallu près d’un quart de siècle pour être autorisé à vous présenter devant eux pour subir la haine, le mépris, la peur parfois, rarement, et l’insolence de leurs regards fixés sur vous, dans le meilleur des cas, ou encore la complète désinvolture indifférente de leur bavardage et de leur bruyante installation, comme si vous n’existiez pas, la plupart du temps.
On parle beaucoup de violence aujourd’hui, pourtant il est assez rare que l'on associe ce terme à la pratique même d'enseigner. Lorsque c'est le cas, il faut qu’un chef d’établissement ou un professeur se soit fait empaler par une mère ou un père d’élève, violemment offensé ou névrosé, à la sortie du collège ou du lycée, pour qu’on associe ce terme à la pacifique pratique du métier d’enseignant.
Mais ne le sommes-nous pas chaque jour soumis à l’insidieuse et sournoise violence de nos élèves et de leurs parents, qui souvent la prolongent de leurs discours à notre encontre, à propos de notre incompétence ? Nos élèves qui bavardent lorsqu’on s’évertue à leur expliquer pourquoi « les » placé devant un verbe ne saurait absolument pas être un déterminant, ou qui se bombardent se boulettes de papiers, dès qu’on leur tourne le dos, pour illustrer, afin de rendre plus explicite, le problème qu’ils se fichent complètement de parvenir à résoudre mais dont on tient à tout prix qu’ils saisissent l’importance capitale ? Ne font-ils pas preuve d’une méprisante violence lorsqu’ils se chicanent, bruyamment, sous votre nez, pour un crayon qui appartiendrait à l’un plutôt qu’à l’autre ou que l’un d’eux répète ironiquement ce que vous venez de dire, tandis qu’une question urgente fuse dans la classe au sujet de l’heure ? D’ailleurs vous n’avez même pas le temps de houspiller l’auteur de cette interruption déplacée car Enzo se plaint que Guillaume lui a volé sa paire de ciseaux et Jeanne rappelle qu’elle aimerait finir de corriger l’exercice alors que Nathan lève la main depuis plus de dix minutes pour une raison que vous ignorez !
La classe est bruyante. L’heure tourne et vous aimeriez bénéficier d’une plus grande concentration de leur part et d’un relatif silence pour pouvoir achever le cours. Vous les priez donc de se taire. « Mais je ne parle pas ! » se lamente Isabelle qui s’est, on ignore pourquoi, sentie concernée. Tout comme Dylan qui surenchérit, au cas où vous l’auriez soupçonné de ne pas suivre, suscitant ainsi, à dessein, une nouvelle vague de bavardages où se mêlent réflexions, commentaires, considérations et ragots sur tous les sujets imaginables hors celui qui est censé retenir leur attention.
Et le cours s’achèvera de la sorte, sur un énième rappel à l’ordre de votre part, immédiatement suivi d’une nouvelle rafale de contestations outragées et sans fin de la bonne foi studieuse des bavards et agités en tout genre.
Et c’est avec un grand sourire béat de reconnaissance pour le savoir que vous ne serez pas parvenu à leur transmettre et la promesse d’être encore là aussi peu intéressés par le contenu de votre enseignement, le lendemain, qu’ils quitteront votre classe.