aouina hamadi

Abonné·e de Mediapart

75 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 mars 2014

aouina hamadi

Abonné·e de Mediapart

« Austérité, austérité, austérité… tel fut le message de notre nouveau premier ministre.

aouina hamadi

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


De Total, filiale Hutchinson à la Kasbah
L’intervention du premier ministre Mehdi Jomâa ce lundi 3 mars 2014 sur deux chaînes de télé, la première chaine nationale, Watania 1 et Nessma TV (une télévision privée dont Silvio Berlusconi est un des principaux actionnaires) devait permettre, pour la première, fois d’écouter ce dernier, durant plus d’une heure, décrire le rôle qui sera le sien pour la dernière période de la phase transitoire issue des élections du 23 octobre 2011; celle qui a vu la victoire d’Ennahdha.
D’abord le personnage est conforme à ce que l’on pouvait deviner au vu de son CV. Un administrateur ayant fait une longue carrière dans un grand groupe Total et sa filiale Hutchinson. Il en possède les tics.
Sauf que là pour sa première prestation télévisée, il y avait quelque chose qui clochait.
Voir un premier ministre se faire souffler certains mots en arabe que ce dernier n’arrivait pas à trouver ou bien qu’il prononçait mal, par les interviewers est du plus mauvais effet.
De Jebali à Larayedh
On avait déjà l’habitude avec le premier premier ministre de la Troïka, Monsieur Jébali, de voir un responsable politique avoir du mal à maitriser une langue étrangère, le français en l’occurrence, dans une interview pour des chaines françaises où cherchant ses mots ce dernier demanda aux interviewers la signification de « Jabane » à propos de ces capitalistes tunisiens « frileux » et « hésitants » quant aux opportunités d’investissements, voir qui font carrément  la « grève de l’investissement ».
Nous commencions à nous habituer à ce timbre nasillard, sans oublier ces cheveux et cette barbichette passés très souvent par la case teinturerie, du ministre de l’intérieur, Ali Larayedh, devenu opportunément le second premier ministre de la Troïka et qui devait se pincer à chaque fois qu’il se trouvait en face d’une meute de journalistes. Celui-ci semblait se rassurer que lui, l’ancien prisonnier politique, aux quinze années de bagne, sous Ben Ali, le voici discourant des affaires de la maison dont il a connu les caves de la torture, dans ses années de jeunesse militante du mouvement de la tendance islamique (MTI ancêtre d'Ennahdha), le Ministère de l’Intérieur.
Cette maison dont il fut l’occupant de façade avant d’aller prendre place au palais de la Kasbah en tant que premier ministre sans réelles prérogatives, si ce n’est celles de se faire prendre en photo enfourchant des motos offertes, ainsi qu’un tas de quincaillerie par notre parrain turc et le « frère » de Larayedh en confrérie: Erdoghan.
Après les « politiques », un « administrateur »
Le troisième occupant du palais de la Kasbah tranche avec ses deux prédécesseurs pour avoir été parachuté directement à la tête d’un ministère de l’industrie sous Ali Larayedh en arrivant directement de la filiale de Total, Hutchinson, et être catapulté Premier ministre, six mois plus tard.
Cette nomination sortie du fameux dialogue national, sous la houlette du « Quartette » rassemblant le chef de file du syndicat ouvrier et la chef de file du syndicat des patrons, ainsi que deux autres figurants (l’ordre des avocats et la ligue des droits de l’homme) dans une ambiance de ferveur patriotique recherchée et orchestrée par les classes dominantes.
Celle-ci, cherchant à mettre fin au long processus d’instabilité qui faisait suite à l’assassinat d’un député de l’assemblée constituante, Mohamed Brahmi,  a vu la victoire du clan des « pétroliers ».
Rappelant que deux vieilles figures de la Destourie, Mohamed Ennaceur, candidat de Nidaa et ses alliés parmi lesquels on pouvait compter notre Hamma Hammami, porte parole du Front Populaire et Mohamed Mestiri, soutenu par Ennahdha et ses affidés, furent éliminés par le choix porté sur Mehdi Jomâa, candidat de la patronne des patrons: Mme Widded Bouchamaoui.
« La situation est pire que ce que j’imaginais »
Cela donne un aperçu des lignes de fractures qui traversent les classes dominantes quant aux procédures  de mise en place du plan de contre-réformes libérales sensés permettre de sortir de la zone de turbulence.
Maniant à la perfection la langue de bois, notre nouveau premier ministre a ménagé ses anciens employeurs de la Troïka en ne torpillant pas trop ses prédécesseurs.
Il s’est contenté d’affirmations générales sur les difficultés qu’il a rencontré à sa prise de fonction et qui seraient plus importantes que ce qu’il prévoyait. « La situation actuelle est pire que ce que j’imaginais »
En bon garde chiourme, il regretta qu’aucune des administrations dont il a la responsabilité n’était pourvu de « tableaux de bord » afin de suivre instantanément la marche des affaires.
Il s’est appesanti sur des demi-vérités: endettement de 25 milliards sur les dernières trois années, déficit de 12 milliards (son ministre de l’économie et des finances, Hammouda avance lui, le chiffre à 13 milliards…), le taux d’endettement atteingnant les 50% du PIB…

Selon Mehdi Jomaâ, il manquerait 4 milliards de dinars (1,8 milliard d'euros) au budget de l'État. "Nous ne savons pas d'où les ramener, il faut que nous trouvions les ressources. Nous avons l'intention de lancer une souscription pour financer les caisses de l'État mais ce n'est pas suffisant. J'ai l'intention d'aller dans les pays du Golfe, aux États-Unis et en France. Nous allons emprunter encore plus", a-t-il affirmé.
« Austérité, austérité… »
Pour ce qui est des prises de position actées: notre premier ministre découvre son jeu, celui de l’austérité. Au nom de « nous ne pouvons plus recruter dans le secteur public d’où le gel des recrutements ».
« Il faut que nous soyons sincères : pendant ces trois dernières années, nous n'avons pas travaillé. L'administration n'a pas travaillé, les compagnies n'ont pas travaillé, nous n'avons pas respecté les lois. Ce n'était pas ce que nous attendions de la révolution (...). Une autre révolution nous attend, celle des mentalités"
Lui et son ministre de l’économie et des finances enfourchent de nouveau le dada de la « valeur  travail » non respectée dans notre pays. Et terminent tous les deux par cette affirmation apprise en même temps: « un emplois crée revient à 15 000 dinars, un emploi maintenu dans le service public est estimé à 40 000 dinars! ». Tout un programme.
Nous n’étions pas de ceux qui dès l’annonce de la nomination de Mehdi Jomâa se laissèrent berner par la capacité de ce dernier de changer de cap par rapport à ses prédécesseurs.
Bien au contraire, indiquant dès le départ que cette nomination était le résultat de la « victoire » du camps des « pétroliers » parmi les couches dirigeantes, nous indiquions dès le départ que seule la bonne vieille recette de l’austérité et de l’endettement seront les leviers de fonctionnement du futur gouvernement.
Notre pronostic se révèle juste.
Hamadi AOUINA
4 mars 2014

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.