aouina hamadi

Abonné·e de Mediapart

75 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 mai 2023

aouina hamadi

Abonné·e de Mediapart

Où va la Tunisie? La panne

12 années de perdues à cause d'une multitude de trahisons.

aouina hamadi

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Où va la Tunisie? La Panne!

Première partie.

Ce qui caractérise la séquence qui va bientôt clôturer la douzième année qui nous sépare du grand chambardement de l’hiver 2010/2011, c’est cette sensation de panne, et son corollaire celui de faire du « sur-place ».

Inflation et envolée des prix.

Et cela confirme le fameux adage: « celui qui n’avance pas, recule! ».

Le résultat de ce recul, c’est l’envolée des prix et son ombre portée: l’inflation, qui cette année, a franchi allègrement la barre des deux chiffres. 

Sur la durée des douze années qui nous séparent de cette vague de fond qui fit prendre la fuite au dictateur, le panier moyen d’une famille ordinaire a vu son prix prendre au moins 50% d’augmentation.

Pas un fonctionnaire, pas un salarié au statut « régulier » pour ces catégories « privilégiées », qui ne soient endettés pour souvent plus de la moitié de leurs rentrées mensuelles. 

Nombreux sont celles et ceux qui sont pris dans cet engrenage infernal du crédit revolving. 

Voir pour certains, obliger d’acheter à crédit des objets type électro-ménagers, qu’ils remettent en vente sur des sites de ventes sur internet afin de disposer de cash pour parer au plus urgent.

A l’image aussi de l’Etat, qui en un peu plus d’une décade (avec cette gestion calamiteuse d’un personnel politique issus des rangs de ces pieds nickelés formant de pseudos « partis » -on en compterait plus de 200, inscrits au Ministère de l’intérieur…- qui se sont servis, en servant leurs « maîtres » aussi bien locaux qu’étrangers), a vu sa dette extérieur exploser littéralement, puisqu’elle fut multipliée par deux.

Les deux mamelles de l’endettement.

Endettement public et privé sont les deux mamelles auxquelles tout un chacun s’est accroché pour survivre.

Sauf qu’il y a des limites à l’endettement. 

Certains fonctionnaires ou salariés qui jusqu’à présent cumulaient jusqu’à deux métiers, voir trois métiers pour boucler les fins de mois, voient leur situation empirer jours après jours, mois après mois. Les découverts bancaires et les clients fichés sur liste rouge sont légion, à telle enseigne que même la multiplication des taxes sur toutes les transactions bancaires ne suffisent plus à maintenir à flot un système bancaire au bord de l’implosion. 

Les ruptures de stocks sur certains produits d’importation (café, riz, sucre, huiles végétales) ou médicaments (faute de devises suffisantes) deviennent monnaie courante.

Ce qui nous sauve pour le moment, à la différence de pays, telle la Grèce, qui avait fait le choix de l’intégration européenne, au point de se trouver littéralement étrangler par la banque centrale européenne, c’est que, grâce à notre monnaie, non convertible, nous avons encore ce privilège, énorme, de l’imprimer à la demande. 

Certains l’appellent, par euphémisme: « la planche à billets »; oublieux que sans cette manne céleste, c’est tout le pays qui pourrait s’effondrer faute d’argent en circulation. 

Subventions et planche à billets.

Beaucoup de secteurs ne tiennent que parce que nous continuons à « distribuer » les salaires (des secteurs « privilégiés ») et doper la consommation à coups de subventions qui, comme de bien entendues, profitent d’abord aux « riches » qui sont gagnant à tous les coups. 

Prenons les carburants, essence et gaz oil; c’est environ d’un dinar par litre que tout utilisateur d’un véhicule, bénéficie. 

Qu’une famille aisée dispose, comme c’est le cas dans de nombreuse familles de ces catégories super privilégiées, de plusieurs véhicules pour madame, monsieur et leurs rejetons, et qu’ils consomment une moyenne de 500 litres de carburant mensuellement et les voilà touchant une subvention mensuelle de 500 dinars par mois et 6000 dinars l’année.(L'équivalent d'un salaire au dessus du SMIG)

Et l’on ne comptabilise pas encore les coûts que cette même famille provoquent en terme de dégradation de la chaussée, de pollution et ses ravages sur la santé publique, de nouvelles saignées en devises, sachant qu’un constructeur, quel qu’il soit, vend son véhicule avec des marges très serrées et compte sur les diverses pièces détachées, dont l’obsolescence a été scientifiquement calculée, donc programmée, pour se rattraper. 

Sans oublier les diverses dépenses dues aux huiles à changer, aux plaquettes de freins à renouveler, aux milles et un petits articles périssables qu’un véhicule consomme. 

Et tout cela est en grande partie importé.    

Voilà le véritable coût des importations de véhicules, clés en main, sur nos misérables devises pour lesquels on se saigne des quatre veines, en vue de les amasser. 

Choix politiques.

Voilà où mène un choix, délibéré politiquement, de privilégier le transport individuel au détriment d’un service public de transport dont on a assassiné à petit feu un fleuron: la Société Nationale des Transports (SNT).

Et le prix à payer, c’est cette privation, du commun des citoyens du meilleur de nos production agraires (huiles d’olive, agrumes, dattes) ou de nos productions halieutiques (poissons, crustacées etc…) vendus à prix cassés à l'export, ou notre malheureux phosphate dont les réserves s’amenuisent à vu d’oeil. 

De même que cette braderie de nos « nuités » de cette industrie hôtelière aux abois; n’ayant jamais eu à sa tête des hommes et femmes visionnaires capables de fonder une véritable stratégie tirant sa force des potentialités naturelles dont disposent le pays, loin de la mono-culture balnéaire ayant fait son temps.

« Ceux d’en bas et ceux d’en haut »

La deuxième leçon que l’on peut tirer de cette séquence couvrant les années 2011/2023, est une confirmation de cette déclaration de Vladimir Lénine concernant les périodes transitoires suivant une révolution: « Ceux d’en bas ne veulent toujours pas être gouvernés comme avant et ceux d’en haut ne peuvent toujours pas gouverner comme avant; s’ouvre alors une période, plus ou moins, longue de transition »…

Et son compagnon de lutte, Léon Trotsky, de formuler les grandes lignes directrices d’une révolution.

« Le processus essentiel d’une révolution est précisément en ceci (…) les masses s’orientent activement d’après la méthode des approximations successives. Les diverses étapes du processus révolutionnaire, consolidées par la substitution à tels partis d’autres toujours plus extrémistes, traduisent la poussée constamment renforcée des masses vers la gauche, aussi longtemps que cet élan ne se brise pas contre des obstacles objectifs. 

Alors commence la réaction: désenchantement dans certains milieux de la classe révolutionnaire, multiplication des indifférents, et, par suite, consolidation des forces contre-révolutionnaires. » (Histoire de la révolution russe). 

Au regard de ces deux formules synthétiques de deux révolutionnaires ayant à leur actif d’avoir diriger deux révolutions, celle de 1905 et celle de 1917, où en sommes-nous?

Trois séquences.

Les 12 derniers années peuvent se subdiviser en trois séquences: d’abord celle qui dura des élections à la Constituante d’octobre 2011 aux élections de 2014.

Vient ensuite la séquence 2014/2019 et enfin la séquence 2019/2023 et dont le terme sera la prochaine élection présidentielle de 2024.

1. La première séquence a vu la percée de l’organisations des Frères Musulmans: Ennahdha.

Celle-ci, outre le soutien sonnant et trébuchant de leurs mentors: les roitelets du Golfe, (et par là même de ceux qui les ont mis sur orbite: La Grande Bretagne et les Etats-Unis); a profité des nombreuses trahisons du camp de ceux qui s’affirmaient être: « les révolutionnaires ». 

La poussée des masses « vers la gauche » s’échelonna sur l’ensemble de l’année 2011 avec un début concret d’auto-organisation sur les lieux de travail et dans les quartiers (milices d’auto-défense des quartiers, un large mouvement de « dégagisme » qui a soufflé dans les administrations, les lieux de travail et même dans certains secteurs des forces de l’ordre et parmi le petit personnel de l’armée).

« Elections, piège à cons! »

Quelle fut la réponse des organisations de « gauche » à cette radicalisation? 

Ramener le flot remuant des masses réclamant des « têtes » vers les cieux clément des urnes et du « piège à cons » que furent les nombreuses stations électorales.

Et comble de la bêtise; dans une joute électorale où, contraints et forcés, il fallait concourir, les fameuses organisations de « gauche », en lieu et place d’un « front uni » électoral, facilitant le choix à des électrices et des électeurs attentifs à des messages politiques clairs et sans équivoques visant à améliorer leur existence; ont donné à voir un éparpillement criminel et une chance complètement ratée de damner le pion aux intégristes d’Ennahda.

Tout le monde se souvient du sobriquet: « Sfir Facel » (Zero virgule) que les intégristes, arrivés bon derniers, dans le mouvement, accolèrent à la gauche, eux qui jusqu’à l’automne 2010, étaient en pleine négociation avec Ben Ali pour amadouer ce dernier, permettant à leurs dirigeants emprisonnés d’être relaxés et ceux en exil de pouvoir enfin rentrer au pays. 

Tout le monde se souvient comment les intégristes d’Ennahda ont raflé la mise avec la complicité des  représentants du camps des « modernistes modérés et/ou radicaux»: Moncef Marzouki qui a négocié son parachutage pour la présidence « provisoire » et Mustapha Ben Jaafar qui s’est contenté d’occuper le maroquin de président de l’Assemblée Constituante avec l’assentiment du guide des intégristes. 

Tous deux après avoir vu les effectifs de leurs écuries gonflées à l’image de l’histoire de la grenouille qui s’est crue plus grosse qu’un boeuf, ont quasiment disparus corps et biens entre deux élections.

Sans oublier cet ectoplasme de Néjib Chebbi qui fut de toutes les « combinaziones » et son alter égo: Hamma Hammami, timonier d’un squelettique « Parti des Travailleurs », qu’aucun travailleur n’a rejoint, et surtout désireux de continuer à tenir la barre d’une organisation fantôme, jusqu’au dernier souffle, grâce aux miettes récoltés auprès de généreux donateurs locaux ou étrangers.

Et bien entendu l’UGTT; dont les cadres intermédiaires, dont personne ne peut contester, qu'ils furent l’embryon d’un proto-parti dirigeant, dans la séquence 2008/2011, tous les mouvements de résistances et de luttes contre la dictature de Ben Ali. En particulier autour du bassin minier de Gafsa où jaillit l’étincelle, en janvier 2008, mettant le feu qui allait embraser le pays et emporter la dictature. 

La direction de l’UGTT, recrutée dans les rangs des organisations politiques du large spectre « patriote » nationalitaire (véritables mercenaires de la pieuvre baathiste dans ses déclinaisons dictatoriale syrienne ou irakienne, voir accessoirement mercenaires du dictateur Kadhafi) et la nébuleuse «stalinienne» s’intitulant « marxiste-léniniste » et qui se trouvait à des années lumières et de la tradition critique marxiste ou la tradition stratégique léniniste; cette direction de l’UGTT a choisi de servir de baudet à toutes les compromissions sous couvert de « dialogue national ». 

Son seul fait d’arme est de recevoir, pour prix de sa trahison de la révolution, en bonne et due forme, le fameux « Prix Nobel ».

Cette première séquence se termine par l’assassinat de deux dirigeants de l’éphémère « Front Populaire » sensé regrouper les forces dispersées de la « gauche »: les martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

Et qu’alors ces odieux assassinats redonnaient espoir de voir les revendications d’égalité sociale et de dignité de la révolution reprendre le devant de la scène, Hamma Hammami, le porte parole du Front Populaire trahissant le mot d’ordre fondateur du Front: « La Dessetra Ou La Khaouanjia » (Ni destouriens, ni intégristes ») offrit sur un plateau d’argent au représentant des revanchards de la Destourie, le nonagénaire Béji Caïd Essebsi, une élection présidentielle et un fauteuil inespéré de Bey de Carthage à un âge canonique.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.