“L’histoire a des mesures différentes pour les cruautés des sudistes et des nordistes dans la guerre de sécession des Etats-Unis. Que de méprisables eunuques ne viennent pas soutenir que l’esclavagiste qui, par la ruse et la violence, enchaîne un esclave est devant la morale l’égal de l’esclave qui, par la ruse et la violence, brise ses chaînes”.
Léon Trotsky: “Leur morale et la nôtre”
Dans une interview à une chaine de télévision du bourreau Assad, Amar Amroussia, l’un des dirigeants du Parti des Travailleurs et député Front Populaire, affirma publiquement que les dirigeants du Front Populaire ont tranché la question de la nature du conflit qui se déroule en Syrie depuis le démarrage du grand chambardement révolutionnaire de l’hiver 2010/2011. Pour Amroussia, c’est Assad et l’Etat syrien qui sont la cible d’une tentative de déstabilisation étrangère dont la force de frappe seraient les différents groupes « terroristes », selon Amroussia, financés par différentes sources étrangères.
En appui de son intervention, le député Front Populaire cite la déclaration du Front à l’occasion de la tumultueuse question du « retour des terroristes » qui agitent tant les réseaux sociaux que les chaines télé, les radios, toutes aux mains des nouvelles mafias qui gouvernent le pays et qui font la pluie et le beau temps en matière d’agitations propagandistes en défense de leurs intérêts bien compris.
Soutien à Assad après le massacre d’Alep!
Dans cette déclaration du 3 janvier intitulé: « Déclaration concernant la lutte contre le terrorisme et les terroristes; en défense des intérêts de la Tunisie et de son peuple », la direction du Front affirme que les «jeunes tunisiens embrigadés et envoyés par milliers en Syrie font partie d’un stratagème conduit par des forces régionales et internationales. Celles-ci visent à liquider les révolutions et les intifadas, à décomposer les Etats visés, dans le seul but d’imposer de nouvelles frontières basées sur des fondements religieux et idéologiques.
Cette entreprise vise à soustraire à ces peuples leur unité territoriale, la souveraineté sur leurs richesses nationales par l’organisation d’agitations sous la forme de guerres civiles."
En conséquence, poursuit la déclaration, le Front Populaire met en garde sur les conséquences de ce qui est présenté comme une nouvelle réorientation de ces « milliers de jeunes terroristes » vers d’autres parties du monde arabe afin de poursuivre l’oeuvre diabolique de déstabilisation.
La déclaration désigne « Qatar, l’Arabie Saoudite, la Turquie, l’entité sioniste ainsi que les puissances coloniales » comme représentant l’axe du mal et le cerveau des futures guerre civiles planifiées.
En guise de solution, la direction du Front réclame le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Etat syrien, le seul, à leurs yeux, qui est « légitime » puisque, en toute logique, défenseur de « l’unité du pays contre les ingérences étrangères » avec à sa tête celui qui, depuis 6 années bombarde, sans relâche, à coup de barils de poudre, sa population; nous avons nommé Bachar El Assad.
Reprendre langue avec ce dernier permettra selon la direction du Front Populaire de « convenir d’un plan commun d’actions » afin de combattre efficacement ce que le Front pointe comme le principal danger qui guette « la nation arabe : sa dislocation. Drôle de dialectique.
Alliance avec les forts du moment.
En fait le Front Populaire poursuit avec méthode une ligne politique qui est devenu son crédo depuis la liquidation des deux dirigeants: Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, de ce même front: s’allier au plus fort du moment.
Nos l’avons déjà vu à l’occasion de sa pirouette à l’occasion des dernières élections législatives et présidentielles en Tunisie ou le mot d’ordre de sa fondation: « Ni Nahda, Ni Nidaa » s’est transformé en alliance privilégiée avec le fondateur de Nidaa, Béji Caïd Essebsi, d’abord dans le cadre du fumeux « Front de Salut National », ensuite dans l’appel à voter « Béji » au second tour pour éliminer « l’homme de Nahda », le président temporaire sortant, Marzouki.
En guise de remerciement, la quinzaine de ses députes furent repêchés par le concours d’un mode de scrutin électoral permettant que les petits derniers ramassent les miettes et se font élire de manière honteuse, avec quelques pour cent de voix.
Le Front monte aujourd’hui au créneau pour affirmer son soutien à Assad, seul « légitime dirigeant garant de l’unité de la Syrie »…
Sauf que, comme pour leur positionnement local en Tunisie, c’est toujours en retard d’un coup.
Le satrape Assad ne les pas attendu pour tenter de reprendre pied en s’alliant jusqu’à en devenir leur « pion » aux deux « puissances régionales » qui n’ont rien d’ « arabes »: l’Iran des Mollah et la Russie du nouveau Tsar: Poutine. Ces derniers utilisant leurs supplétifs parmi lesquels on compte le fameux Hezbollah, le parti des Mollahs libanais, ainsi que des chiites accourant de tout l’arc chiite régional: Irak, Afghanistan, Pakistan etc…
Et comme la politique à horreur du vide, voilà que notre Assad reçoit un appui inespéré de son voisin mais néanmoins ancien « ennemi »: le Frère Musulman et sunnite Erdogan.
Ce dernier espérait longtemps, tirer les marrons du feu d’un rôle d’intermédiaires en « bizness » de guerre: fournitures d’armes et de munitions, sans oublier toute la panoplie économique qui va avec, échange de pétrole « daechien » contre quincaillerie turque en tout genre (le propre fils d’Erdogan fut un moment pointer du doigt dans ce trafic juteux).
Guerre civile et inversion des alliances.
C’était sans compter que les guerres civiles ne se contrôlent pas, qu’elles ont leur dynamique propre imposée par les armes.
Que les fameuses « frontières » turques du sud du pays, comme d’ailleurs les frontières syriennes du nord ne sont rien d’autres qu’un héritage du découpage colonial initié par les puissances coloniales franco-anglaises et dont les noms de Sykes-Picot en sont la marque infamante.
A cette occasion, le pays kurde est morcelé, depuis ce découpage, entre plusieurs Etats de la région: la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran.
Les kurdes de Syrie, à l’image des autres minorités qui peuplent ce pays, ont pris part à la guerre civile en cherchant, par tout les moyens, de défendre leurs intérêts. Ils ont fini par trouver un appui auprès de leurs compatriotes vivant sous la botte militaire turque.
Erdogan, dans un premier temps, tout à son action éradicatrice des militants kurdes, en particulier de l’organisation PKK d’Abdullah Osalan, a fini par voir dans la disparition de son voisin Assad, une opportunité de mettre la main sur une partie frontalière, empêchant l’unification des territoires kurdes de Turquie et de Syrie.
Mais au vu des derniers chamboulements de la guerre civile, la seule conclusion logique, en conséquence du renversement des rapports de forces par l’intervention massive de l’aviation russe, est de repenser son alliance régionale en revenant dans le sillage de la puissance tutélaire de la région: la Russie.
Il est encouragé dans cette décision par le peu d’empressement que mettent les autorités américaines à extrader celui qui est devenu l’autre bête noire d’Erdogan: Fethullah Gülen. Celui-ci est considéré, par le président turque, comme le principal fomentateur du coup d’Etat manqué de l’été 2016. Coup d’Etat qui donna l’occasion à Erdogan de tomber le masque et d’apparaitre au grand jour comme le caudillo désireux d’écraser sous une chape répressive tous les opposants « religieux » et « laïcs ».
Cette réorientation de sa politique est dictée par la crise que la guerre civile syrienne fait subir à l’économie turque, les attentats n’étant qu’un aspect de ce retour de boomerang. En complément, vient la crise qui frappe l’un des principaux débouchés de l’économie turque, l’économie européenne dépressive. Voilà le cadre général qui explique le changement brusque d’alliances géo-politiques.
Russes et Iraniens, des alliés?
Question aux dirigeants composant le mystérieux « conseil central » « Majliss Markazi » (rappelant que depuis sa mise sur pied, en 2012, aucun congrès n’est jamais venu fonder les bases du Front tant aux niveaux de ses directions toujours « auto-proclamées » qu’aux niveau de ses bases militantes fantomatiques).
- Est-ce que les « puissances régionales » russe, iranienne et maintenant turque avec leurs armadas, leurs conseillers militaires, leurs fantassins au sol ainsi que leurs supplétifs en tout genre, est-ce que ces derniers ne sont pas porteurs d’une stratégie visant à « recomposer » la région selon leurs intérêts et à imposer des dirigeants à leurs bottes.
- Qu’est-ce qu’un dirigeant, tel le bourreau Assad, qui est responsable des massacres de masses, la déportation de plus de la moitié de sa population, en défense de son oligarchie minoritaire alaouite; peut accomplir comme miracle pour rétablir ne serait-ce qu’un semblant d’ « unité nationale » en vue de reconstruire un pays qu’il a dévasté.
- Peut-on considéré le nouveau Tsar Poutine comme « l’ami des arabes »? Alors qu’il est responsable avec ses bombardements de la mort par dizaines de milliers de nos compatriotes syriens.
- Peut-on considérer l’Iran des Mollah, qui a déjà la main mise sur l’Irak voisin avec les résultats que l’on connait, et qui avec ses supplétifs libanais du Hezbollah et de tout l’arc chiite ont sauvé le trône chancelant de leur ami Bachar, comme nos alliés, nous les « arabes »?
- Peut-on considerer qu’Erdogan en tombant le masque avec son repositionnement dans la guerre civile syrienne est notre « allié »?
A ces mêmes dirigeants auto-proclamés d’un Front qui se dit « populaire » cette question: vous réclamez un rétablissement des relations diplomatiques entre l’Etat tunisien et le chef d’une faction guerrière, Assad, après que ce dernier ait donné son accord pour que son ami Poutine nettoie Alep, à coup de bombardements ininterrompus, après les massacres sans nombre que la coalition terroriste pro-Assad a fait enduré au peuple syrien. Avec ce type de raisonnement, pourquoi ne pas réclamer que les autorités saoudiennes nous rendent notre « réfugié politique » de dictateur: Ben Ali. Qu’est-ce qui différencie fondamentalement le général Ben Ali, du successeur de la monarchie instaurée, suite à un coup d’Etat, par le père Hafedh El Assad? Expliquez-nous.
Et que réclame le Front une fois les relations diplomatiques rétablies, rien de moins que de collaborer avec le bourreau Assad pour mettre sur pied, dans le cadre d’une commission bipartite, un tribunal visant à juger sur place les « terroristes » tunisiens.
Tout cela au nom de la sauvegarde des intérêts bien compris « du peuple, de l’Etat et des institutions tunisiennes ».
Idéologues des couches moyennes!
On voit, dans les périodes où la réaction triomphe, des organisations politiques sécréter de la morale en grande quantité, un peu à l’image des gens qui transpirent davantage quand ils ont peur.
Cette prédisposition est le reflet social des couches intermédiaires dont le Front Populaire est devenu le parangon. Elle dénote au plan politique une impuissance et un désarroi face à la réaction qui marque un peu partout, à l’échelle du monde arabe, d’incontestables avancées.
C’est en idéologues des couches moyennes craignant de tomber, dans les guerres civiles, entre deux feux, que les dirigeants « frontistes » excellent.
Derrière leur pathétique appel à l’ « unité arabe », les « frontistes » préfèrent s’acoquiner avec les puissants du moment. Essebsi, en Tunisie, les généraux et leur momie « boutefliflikienne » en Algérie, Haftar et ses mercenaires en Libye, le sanguinaire maréchal Sissi en Egypte et last but not least, le bourreau Assad en Syrie.
C’est en compagnie de cette belle brochette de dictateurs ou d’apprentis dictateurs sanguinaires que nos « frontistes » voudraient contrecarrer les visés déstabilisatrices des monarchies rétrogrades du Qatar, Arabie Saoudite ou Emirats arabe unie. Autant préférer la peste au choléra!
N’ayant jamais compris, ni saisis la dynamique d’émancipation des masses arabes peuplant des Etats, tous issus de processus « thermidorien » (coup d’Etat), civil ou militaire, les « frontistes », en bon moralisateurs, cherchent à trier le bon grain de l’ivraie en réduisant le formidable souffle d’émancipation au sempiternel complot « sioniste » et « impérialiste ».
Ils ne veulent surtout pas voir dans le déroulement du nouveau cycle révolutionnaire qui ébranle les piliers de toutes les dictatures arabes, une des caractéristiques propres au cycles de crises qui frappe l’accumulation capitaliste et son pendant: l’accaparement par des minorités de plus en plus réduites de l’essentiel des richesses produites dans ces Etats/nations.
La Tunisie n’est-elle pas tenue en laisse par une petite oligarchie qui ne compte pas plus de 75 milliardaires en dollars. (ceux dont la fortune équivaux à un milliards de dollars, c’est-à-dire environ 2200 milliards en monnaie locale.)
De cela, ils n’ont que faire, certaines organisations parmi celles composant le Front Populaire, en sont encore à théoriser que nous sommes toujours dans le cycle de domination exogène. Que la prochaine « étape » serait celle d’une hypothétique construction d’un « capitalisme national ». Et cela à l'époque du "Troisième âge du capitalisme"! (Ernest Mandel)
D’où la nécessité de s’adosser dans cette période intermédiaire aux régimes, qui selon les théoriciens du Front Populaire, formeraient un bloc « patriote ». Le régime de nos généraux algériens voisins, ce qui reste du régime militaire syrien en sont les derniers exemples vantés par nos "frontistes".
Ce faisant, ils trahissent, mais ce ne sera pas la première fois, la lutte d’émancipation des masses arabes en cherchant à s’allier aux puissants du moment.
Le Front Populaire avait déjà su donner des gages aux nouveaux maitres de la transition en Tunisie. Il ne se défausse pas en apportant son appui public, tout honte bue, au bourreau des masses syriennes. Ses dirigeants, dont l’ineffable porte-parole qui ne se dépare plus de son nouveau look: costume-cravate, comme pour mieux signifier qu’il sait dorénavant, s’intégrer à la classe des dominants, au point de leur piquer jusqu’à leur tenue de cérémonie; ces dirigeants, ils y a longtemps qu’ils n’ont plus le sens de l’honneur.
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