Dans la revue électronique « Contretemps », (qui fut, pour sa version papier lancée, par une équipe de militants internationalistes dont la cheville ouvrière n'était autre que le fondateur de la Ligue Communiste : Daniel Bensaïd...qui nous a quitté il y a quelques années) Sadri Khiari, l'un des animateurs du micro-parti des indigènes (PIR) revient sur son parcours de « trotskyste ». (1)
C'est probablement la première fois qu'un militant « trotskyste » tunisien se « raconte »...
Et comme pour tout interview, l’interviewer, n'éclaire du parcours qui fut le sien que ce qui peut le faire "briller" et le "mettre en lumière"....
Et notre Sadri qui est connu pour développer une "mégalomanie" qui frise parfois le ridicule, ne déroge pas à la règle.
Même s'il prévient ses lecteurs dès le début qu'il héritait "d’un certain « élitisme » dont je ne me suis pas vraiment débarrassé, le regard polarisé par la France, largement extérieur à la société tunisienne sinon comme résidu de la période coloniale"...
Après avoir par une pirouette : "c’est à travers un étudiant tunisien trotskyste – je pourrais le citer, mais je ne sais pas s’il en a envie," refusé de citer le rédacteur de ces lignes, qui le recruta au petit cercle trotskyste de militants tunisiens de la Ligue Communiste Révolutionnaire, il poursuit, après avoir très rapidement énuméré quelques anecdotes sur son séjour parisien, en évoquant son retour en Tunisie; " en 1981 (...) je suis rentré en Tunisie, pressé de participer à la construction de la section tunisienne de la IVe, toujours clandestine, dans un contexte que nous considérions très favorables".
Notre Sadri ne s'attarde pas trop sur son premier séjour parisien et ne dit rien sur l'activité, certes très limitée, du petit groupe de militants trotskystes. Cela s'explique par le fait que notre Sadri Khiari ne s'est, à proprement parlé, pas impliqué dans le militantisme qui touchait aussi bien le milieu estudiantin (les Comités d'Action et de Luttes de l'UGET) que le travail de terrain en direction de l'immigration dans le cadre des différentes organisations de luttes immigrés; avec entre autre l'Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens (l'UTIT, noyautée par Echoola, organisation marxiste-léniniste, tendance albanaise, dont l'un des animateurs n'était autre que Kamel Jendoubi).
Les militants maghrébins appartenant à la Ligue Communiste Révolutionnaire militaient au sein de l'UTIT (avec Abdelaziz Basti, je faisais partie de la commission administrative de cette organisation dès sa fondation au début de l'année 1975), au sein du Comité des Travailleurs Algériens (le CTA, dont les militants trotskystes algériens étaient les principaux animateurs ou bien l'Association des Travailleurs Marocains en France. Nos camarades sénégalais militaient au sein de l'Union Générale des Travailleurs Sénégalais ou bien au sein l'A.S.S.O.T.R.A.F (l'Association d'aide aux travailleurs africains.
Avec la CFDT qui occupait l'extrême gauche du spectre syndical, nous militions aussi bien à propos de la simple reconnaissance de droits démocratiques (droits syndicaux, droits sociaux, droit au logement, droit au regroupement familial...) que contre les dictatures néo-coloniales et la prédations des nouvelles classes dirigeantes africaines.
Au niveau du Cal-UGET, nous menions une bataille contre les différentes fractions du maoïsme tunisien qui avaient transformé l'UGET en terrain de jeu de leurs divergences, reflets des luttes de clans entre « Chinois » (partisans des Oukases du PCC) et « Albanais » (partisans d'Enver Khodja).
Nous réaffirmons la primauté de la démocratie syndicale et la défense des intérêts « moraux et matériels » des étudiants au fumeux débat idéologique « contre le révisionnisme de l'Union Soviétique » et ses représentants dans l'UGET: les quelques militants du groupusculaire Parti Communiste Tunisien.
Ce qui prêterait à rire, si ces querelles picrocholines n'avaient pas entrainé des règlements de comptes dont ont été victimes plus d'un jeune, qui ont connu les affres de la torture et des bagnes, c'est que les « leaders » de ces aberrations idéologiques se sont tous coulés dans le « Benalisme » après le coup d’État médical de ce dernier (ce sont les Moncef Gouja et ses compères de la théorie « des trois mondes »).
Pour les rescapés, les voilà promus par la grâce de la révolution, à chaussé le turban de « vizirs » d'un gouvernement cornaqué par l'une des plus vieille rombières de la Destourie : Béji Caïd Essebsi.... Tristes parcours.... pour des militants dont les livres de chevet étaient ceux du "Petit père des Peuples" Staline, de Georgi Mikhailov Dimitrov, de Mao Tse Toung et autre Enver Hodja....
Notre petit groupe publiait une revue intitulée : « Révolution Socialiste Arabe ». Malgré le caractère épisodique de sa publication, nous avions une cohérence dans notre appréhension des dynamiques à l’œuvre dans la région arabe. A la relecture des quelques numéros publiés, on se rend compte que le fait d'avoir appartenu au courant de la Ligue Communiste Révolutionnaire (de Krivine, Henri Weber, Bensaïd etc...) et de vivre parmi la profusion de débats démocratiques qui traversaient cette organisation nous a évité les « délires » des autres sectes « trotskystes » (Lutte Ouvrière, Organisation Communiste Internationaliste) ou maoïstes....
De tout cela notre futur dirigeant « trotskyste » ne souffla mot pour la simple raison qu'il ne s'y impliqua pas.
Un dernier mot sur cette période correspondant aux années 1975/1985.
Le groupe se réclamant du trotskysme à Paris comptait à peine cinq militants : Mohamed S, Halima k, Khémaïs T, Sadri K et moi-même. Nous avons été rejoins par un militant français Frédéric B qui avait des affinités avec la Tunisie, ayant vécu quelques années sur place, son père exerçant le métier de professeur de philosophie à Tunis... Après un bref passage chez les Verts, ce dernier a fini par faire ses "adieux au marxisme".... mais ça c'est une autre histoire.
Revenons à notre Sadri Khiari, le voilà donc de retour à Tunis...
Là encore pas un nom des "militant"e"s qui accueillirent le preux chevalier de la militance qui ne va tarder à prendre "la direction effective de notre organisation (...) rompant avec la timidité des anciens dirigeants" toujours anonymes.
"Nous étions extrêmement gauchistes, mais cette ouverture sur l’extérieur a permis d’enrichir la gauche radicale tunisienne d’une tradition marxiste qu’elle rejetait depuis les délires vaguement trotskisants d’une frange du groupe « Perspectives »."
Donc, c'est après avoir pris "la direction effective" que "l'organisation" se noya dans le gauchisme.
Après nous avoir prévenu que tout cela, finalement, n'était plus qu'errements de jeunesse, il s'adresse à celle d'aujourd'hui pour préciser "au risque de décourager les militants les plus jeunes, l’expérience du groupe auquel j’ai appartenu est loin d’avoir été un succès."
Et le voilà qui bat sa coulpe: "pour les années où j’ai dirigé cette organisation, jusqu’aux alentours de 1993, la responsabilité de cet échec m’incombe. Il a bien fallu que je me rende à l’évidence : j’ai été un mauvais dirigeant."
Remarquez que même en faisant son "auto-critique", dans un style digne des séances de la période maoïste d'auto-flagellation des dirigeants chinois, le supplice n'est porté que par l'unique "dirigeant". Point de responsabilité collective du travers "gauchiste" de la petite troupe de "trotskystes". Quel rôle a joué tel ou tel militant(e)s dans l'échec? On n'en sera rien. L'anonymat permet toutes les légèretés avec le déroulement des faits...
Il finira par lâcher le nom complet d'un autre "dirigeant" de la troupe: Abdelaziz El Basti. Pourquoi? Parce qu'il est bien obligé de reconnaître qu'il n'était pas le seul "dirigeant" et de surcroît, c'est à l'occasion de la création du Rassemblement Socialiste Progressiste, où le Basti en question, représentait le petit noyaux d'activistes "trotskystes", "officieusement" à la direction du RSP. Il nous révèle à cette instant "avoir beaucoup appris auprès de ce dernier".
Mais il y a une autre raison plus pernicieuse.
A ce moment de l'interview, Sadri évoque la fondation du RSP et là il ne se refuse pas de nommer quelques uns parmi ces derniers: Néjib Chabbi, Sihem Ben Sedrine, Salah Zeghidi, Omar Mestiri, Cherif Ferjani, Noura Borsali. Comme il a toujours une mémoire sélective, il oubli d'évoquer le rédacteur de ces lignes qui fut aussi "fondateur" du RSP. Il oubli sciemment Farhat H et sa future épouse Aicha HT qui furent des "fondateurs" du RSP au nom de la petite troupe d'activistes... Ainsi que le sulfureux Khémaïs T...
Finalement, il sait tendre la perche à ceux qui, comme lui, ont depuis belle lurette fait leurs adieux "à leur engagement gauchiste de leurs vertes années". Ça ne mange pas de pain et peut toujours servir pour la suite des "carrières" respectives...
Concernant le RSP, Sadri qui a décidément la mémoire sélective, il le reconnaît d'ailleurs, en était un bout-en-train. Il signait ses articles dans l'Hebdo du mouvement « El Maoukef » par un fier « Sadri Khiari, marxiste révolutionnaire ». Ce qui nous faisait sourire, Mohamed S, et moi-même sur l'égo surdimensionné du bonhomme.
Ce qu'oublie de raconter Sadri, c'est le contexte dans lequel nous nous sommes inclus dans la fondation du RSP avec un large spectre de l'extrême gauche tunisienne.
Au Brésil, Lula venait de créer le Parti des Travailleurs. C'était l'expérience modèle. Nous nous en inspirions. Nous voulions rassembler la gauche radicale à l'exemple du PT brésilien.
Nous nous retrouvions avec d'anciens maoïstes venant d'El Amal Ettounsi, d'anciens baasistes venant du groupe El Hakika, de Hafnaoui Ameriya et beaucoup d' « indépendants ».
Nous sommes dans cet entre-deux du point de vue politique. Bourguiba dont la vieillissement accéléré durant ces années 1980, le faisait ressembler à un zombie, est devenu le hochet des luttes de la nouvelle bourgeoisie nomenklaturiste qui désirait préparer l'après Bourguiba en plaçant leurs jokers.
C'est aussi une période qui a été marqué par le formidable cycle de luttes qui a accompagné le virage libérale sous la férule du milliardaire Hédi Nouira.
- Février1972, le Mai 1968 de la jeunesse tunisienne avec une intifada de la jeunesse des lycées et des facultés dont l'onde de choc se répercutera dans les grands moments de l'histoire sociale et syndicale.
- 26 Janvier 1978 : grève générale à l'appel de l'UGTT de Habib Ben Achour et répression féroce du pouvoir destourien.
- 6 Janvier 1984, intifada du pain et de nouveau répression aveugle. Les victimes de ces deux mouvements se comptent par centaines. Les prisonniers par milliers.
Ce fut un véritable traumatisme pour la jeunesse et pour les travailleurs.
Une résistance a pu se constituer surtout dans l'immigration avec la constitution du Collectif du 26 janvier qui fut le cadre au sein duquel nous avions appris à travailler ensemble en rompant avec la tradition du sectarisme.
C'est cette résistance à l'intérieur et à l'étranger à l'offensive répressive qui obligea le régime à faire machine arrière et à accepter une timide libéralisation. C'est à cette époque qu'une série de nouvelles organisations voient le jour.
C'est d'abord l'ancien micro Parti Communiste qui reçu l'autorisation à l'été 1981 d'avoir de nouveau une activité légale après avoir été interdit par Bourguiba en 1963.
Nous avions le Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS) d'Ahmed Mestiri (une dissidence du Parti unique de Bourguiba) qui obtient l'autorisation de publier un journal « Démocratie », le MUP d'Ahmed Ben Salah est concurrencé par une scission provoquée par le régime en son sein et la création par Bel Hadj Amor d'un MUP II. Ce dernier aura l'autorisation de diffuser un journal « Al Wahda », ce qui revenait à une reconnaissance de facto de l'activité du groupe dissident du MUP.
C'est en 1983, que le RSP voit le jour et obtient lui-aussi l'autorisation de diffuser un journal : « El Maoukif ».
Voilà la trame historique qui explique la fondation du RSP.
Le reflux provoqué par le raidissement du nouveau dictateur, Ben Ali et sa féroce répression des militants de la mouvance MTI, qui avait un lien direct avec la triple crise économique, sociale et politique qui frappa nos voisins algériens, et la décennie sanglante qui suivra vient confirmer le principe des vases communicants qui va nourrir les deux décennies de soubresauts liés aux drames qui vivent nos voisins algériens et libyens.
Le long règne de Ben Ali ne peut s'expliquait autrement que par cette donnée géo-politique. Il est le résultat de cet adage populaire qui dit que: « le malheur des uns, fait le bonheur des autres »... Dans le cas d'espèce, le malheur qui frappe la population algérienne avec la décennie sanglante qui verra la fraction « Hizb França », représentée par les ex-officiers de l'armée française, prendre leur revanche en accédant aux leviers du pouvoir. Celle-ci va semer une décennie de terreur pour briser les reins d'une société civile en ébullition.
Ce malheur fit le bonheur de la "Lumpen bourgeoisie" tunisienne qui profita durant la décennie 1990-2000 à la fois des capitaux algériens qui ont trouvé refuge en Tunisie et de l'épouvantail « islamiste » pour étouffer toute contestation du régime et ses frasques.
Bien entendu, Ben Ali sut amadouer les « classes moyennes » en favorisant la politique du « Enrichissez-vous ! ». Ce fut la bride relâchée sur l'affairisme qui allait être l'une des caractéristiques de cette période.
C'est l'époque où les « couches moyennes » se sont lancées dans ce piège de l'auto-construction où les meilleurs énergies se sont diluées dans les méandres de constructions de villas et autres demeures de standing.
Un médecin, un professeur d'université, un petit entrepreneur était au fait, bien plus des différentes catégories des matériaux de construction, que de recherches liées à leur secteur professionnel.
On spéculait à tout va.
Cerise sur le gâteau, Ben Ali leur fit goûter les délices empoisonnés des crédits à la consommation : crédits pour l'achat d'une citadine populaire, crédits pour la construction d'une résidence secondaire, crédits pour vivre « au dessus de ses moyens »... C'est le cercle infernal qui verra des allées entières de pénitenciers se remplir par les représentants de ces fameuse « couches moyennes » pris en flagrant délit de plonger la main entière dans le pot de confiture...
Après avoir « profité » de la décade sanglante algérienne, notre dictateur profitera des retombées sonnantes et trébuchantes de la politique d'embargo que les impérialistes euro-américains appliqueront à la Libye de cet autre dictateur : Kadhafi.
De tout cela notre militant « marxiste révolutionnaire » ne retient que des anecdotes de batailles picrocholines à propos de la « caractérisation de la période transitoire », de luttes de tendances avec le spectre émietté du Mao-stalinisme à l'université, ou de divergences « avec la IV internationale » à propos de l'invasion, par le satrape Saddam Hussein, du Koweit...
A partir de ce moment Sadri Khiari explique qu'il va prendre ses distances d'avec le « Marxisme-révolutionnaire » et donc du « Trotskysme ».
Ses adieux au Marxisme, Sadri Khiari les ferra lorsque de retour à Paris, au début des années 2000 et après une nouvelle immersion au sein d'une Ligue Communiste Révolutionnaire (réduite à quelques centaines de militants par le rouleau compresseur des multiples scissions qui sont allées grossir le Parti Socialiste de François Mitterrand), il s'occupera d'animer les cercles connus depuis comme « les Indigènes de la République »... et pour finir le micro Parti des Indigènes. (PIR)
Nous reviendrons dans une seconde partie pour discuter ses nouvelles thèses critiques du marxisme.
(1) http://www.contretemps.eu/interviews/sur-trotskisme-en-tunisie-entretien-sadri-khiari