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Billet de blog 29 septembre 2019

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Tunisie: Kaïs Saïd pour les nuls.

Alors que le prétendant à la présidence tunisienne multiplie les déclarations où il insiste sur la nécessité de remettre la révolution sur ses rails le ban et l'arrière ban des revanchards, véritables Thermidoriens, lui opposent un tir groupé faisant feu de tout bois à propos d'égalité devant l'héritage, de défense des homosexuels, de laïcité... suivez mon regard.

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Crises multiples.

La séquence électorale législative et présidentielle en Tunisie se déroule dans une conjonction de crises à la fois internes, avec

- une inflation à près de 10% l’an qui a rogné le pouvoir d’achat des laborieux de plus de 40% depuis le grand chambardement de l’hiver 2010/2011,

- en glissement annuel le taux de croissance n’a été que de 0,1% au premier trimestre et de 0,5% au second par rapport à 2018,

- un endettement qui frôle les 100% du PIB, cette dette nous coûte en intérêts seulement et pas en principal l’équivalent de 3 points de croissance annuelle selon l’économiste Ezzedine Saïdane

- un déficit de la balance commerciale abyssale avec 19,2 milliards de dinars pour 2018

- une monnaie maintenue en respiration artificielle,

- un effondrement visible de tous les filets de protection (retraites menacées, protection sociale au bord de l’effondrement, des crédits bancaires aux taux quasi usuraires…),

- un système scolaire privatisé du primaire au supérieur brisant à jamais le seul creuset qui a favorisé l’ascenseur social depuis l’indépendance,

- sans oublier le versant écologique avec des villes surpeuplées, super-bétonnées qui voient leur air devenu irrespirable à cause de l’option criminelle des régimes de la Destourie de favoriser la voiture individuelle au dépend des transports publics clochardisés pour l’existant,

- qui se transforment en lagune à ciel ouvert à chaque orage sérieux bloquant la vie quotidienne de citadins pris en otages,

- sans oublier la crise d’une eau qui se raréfie à cause d’un gaspillage aux multiples sources dont le tourisme de masses,

- sans oublier la désertification qui continue son oeuvre de destruction silencieuse,

- sans oublier la crise de l’énergie avec notre richesse en hydrocarbure et en gaz qui fond comme neige au soleil en rapport avec l’option criminelle de la Destourie de consacrer une partie des impôts, dont une grande part repose sur les épaules des salariés, à compenser des carburants utilisés majoritairement par des couches sociales parasitaires qui échappent au paiement de ce même impôt,

Quant au plan régional, notre Afrique du Nord, qui constitue l’un des poumons de notre continent « Arabe » et à l’image de  l’ensemble de notre continent africain, sont en ébullition permanente. 

Et ce ne sont pas les saillies verbales des vautours et des hyènes qui s’abattent sur ce dernier avec cette volonté de dépecer le dernier continent qui échappe encore à la folie de cet ensauvagement que l’on intitule « croissance économique à deux chiffres » qui changera la donne. 

Beaucoup d’Etats africains s’engagent ou désirent s’engager dans cet impasse qui peut se résumer dans un mot: « privatisation », sachant pertinemment que ceux qui les ont devancés, dans cette voie, sont englués jusqu’au cou dans un véritable cul de sac. 

Parce le Capital est « du travail mort » pour reprendre la belle formule de Karl Marx « qui ne s’anime tel un vampire qu’en suçant du travail vivant, et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage », « il vient au monde dégoulinant de sang et de saleté par tous ses pores, de la tête aux pieds. »

"Extinction de masse".

Quant au deuxième poumon de notre continent arabe, le Machrek, il est mis en coupe réglée par les puissances étrangères depuis la découverte de ce que l’on a intitulé à juste titre: « la Crotte du diable »; ce pétrole qui a servi et sert encore à quelques roitelets à se prendre pour des faiseurs de miracles alors qu’ils ne sont, au final, qu’un ramassis de raclures sans foi ni lois, un bande de mercenaires dont l’accession et le maintien au pouvoir dépend du bon vouloir des différentes puissances impérialistes qui s’en servent comme de véritables pantins.

Le continent « Arabe » avec ses deux ventricules, Maghreb et Machrek et ses 400 millions de citoyens écrit, depuis le grand chambardements de cet hiver 2010/2011, une nouvelle page de son désir d’émancipation. Celle-ci n’est pas déconnectée des soubresauts qui agitent l’ensemble des continents de notre terre en souffrance. 

Les propos de cette jeune suédoise, Greta Thunberg, qui aux Nations Unis a rappelé que « des gens souffrent, des gens meurent, et des écosystème s’écroulent » que « nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez c’est d’argent, et de conte de fées racontant une croissance économique éternelle », ces propos sont en écho des luttes que mènent les masses dans le continent arabe, au prix de leur vie, pour abattre des tyrannies appuyées et armées par des puissances occidentales et leurs dirigeants. 

Ces derniers oublient qu’ils scient littéralement la branche sur laquelle ils sont assis.  

Ils sont en écho à ceux du philosophe Bernard Steigler qui s’insurge sur la volonté des mêmes dirigeants occidentaux qui veulent nous imposer « l’état de fait » qui a vu « 60% de la biodiversité détruite en un siècle » et où on voudrait nous inculquer l’acceptation de « la post-vérité où plus personne n’a plus confiance en personne » mettant notre raison en berne, définitivement.

Ils sont en écho avec la réactualisation des possibles entrevus durant quelques mois et qui fut rapidement étouffée par les acteurs de la contre-révolution parce qu’à chaque révolution les larges masses font la démonstration de leur capacité à s’auto-organiser rendant caduc les différents rouages des bureaucraties qui enserrent les dites sociétés dans leurs griffes pour interdire l’auto-organisation.

L’arrivée en tête des prétendants à la présidentielle de Kaïs Saïd est aussi un écho de ce désir des laborieux et de la jeunesse  de ne pas se laisser compter. De ne pas baisser les bras face aux coteries politiciennes qui ont trahi par vagues d’élus successifs, depuis le premier round électoral d’octobre 2011, qui a donné une large majorité au courant des Frères Musulmans d’Ennahda en se fiant à leur posture de victimes de l’ère Ben Ali. 

En moins de deux législatures la claque obtenue par leur candidat, Mourou, à la dernière présidentielle est une belle leçon de civisme.

Sans oublier celle reçue par cet éventail d’anciens ministres ou président qui briguaient le suffrages des tunisiens.

Ce vent de « dégagisme » est salutaire même s’il ne renverse pas les tendances lourdes décrites plus haut. 

Il est néanmoins un point d’appui aux futurs mobilisations visant à écrire une nouvelle constitution, celle de 2014 ayant montré ses contingences et ses limites. 

Rappelons que toutes les révolutions ont, dans leur élan, écrites et réécrites des constitutions; qu’une constitution n’est point un texte sacré. Il reflète les rapports de forces entres les classes sociales dans leurs affrontements. Une bonne constitution est celle qui fait la part belle aux revendications radicales, révolutionnaires défendues par celles et ceux qui ont renversé l’ancien régime. 

Nous avons décapité l’ancien régime, Ben Ali, celui-là même qui vient de passer l’arme à gauche dans son exil doré auprès des ses protecteurs saoudien, mais ses racines, c’est-à-dire les 75 familles (dont 2  seulement ont été éliminées, les Ben Ali et les Trabelsi et leur magot réparti entre les autres par un simple tour de passe-passe bancaire) qui tiennent les principaux rouages de l’économie sont restées intouchables. 

Si à l’occasion de la présidentielle ces mêmes familles multiplièrent leur canasson en lice, c’est d’abord parce les affrontements entre les différents segment de la bourgeoisie monopolistique sont aggravés par la crise d’accumulation qui frappe le pays après trois décennies de dépeçage de la bête. Il n’existe plus de secteur au taux de rentabilité semblable à ceux qu’on a connu durant les années 1990/2000 alimenté par un boom immobilier et deux crises majeures ayant bloqué nos voisins algérien et libyen; le malheur des uns… 

Elles se sont lancés dans une véritable foire d’empoigne, à l’occasion de cette échéance électorale, parce qu’ils pensaient pouvoir laver leur linge sale en public et s’illusionner à propos des réactions de la jeunesse et de la masse des laborieux anesthésiés qu’ils seraient par un quinquennat des plus loufoques sous la direction du dernier rempart de la Destourie, feu le nonagénaire Essebsi. 

N’a-t-on pas assisté à un drôle de quinquennat où le mouvement des revanchards victorieux en 2014, sous la férule d’un vieux Thermidorien et la complicité d’une « gôche » drapée dans un modernisme de pacotille, devait contenir, voir éradiquer les Frères Musulmans d’Ennahda. 

Moins d’un an plus tard, la maison commune bâtie de bric et de broc, Nidaa Tounes, implose et l’ennemi nahdaoui d’hier est prié de rejoindre un gouvernement d’union nationale et de revenir par la fenêtre après avoir été chassé par la porte. 

C’est ce drôle d’attelage qui a continué à enfoncer le pays pour atteindre l’état catastrophique où se il trouve à la veille des présentes élections.

C’est cette état catastrophique et l’éparpillement de l’ennemi qui a permis à l’outsider Kaïs Saïd de prendre la tête du peloton. 

 28 septembre 2019

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