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Billet de blog 17 avril 2017

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La meilleure raison de voter Mélenchon

Je dois le dire, les récentes mésaventures du dessinateur Joann Sfar m'ont sacrément fait cogiter. On sait l'expression d'opinions sur Internet souvent susceptible de dégénérer en foire d'empoigne, mais là, ça atteint des sommets.

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Je dois le dire, les récentes mésaventures du dessinateur Joann Sfar m'ont sacrément fait cogiter. On sait l'expression d'opinions sur Internet souvent susceptible de dégénérer en foire d'empoigne, mais là, ça atteint des sommets. Une telle hystérie des deux côtés, tout cela pour l'expression d'une réaction à chaud, pas futée-futée certes, mais tout de même...

D'abord désolé que cela ait suscité de pareilles réactions (y compris des franchement nauséabondes, dont je doute d'ailleurs sérieusement qu'elles émanent de FI proprement dits, l'antisémitisme n'étant pas la valeur la plus partagée dans ce milieu-là, sauf peut-être dans les rêves érotiques de BHL), puis tout aussi effaré devant la réflexion bien sommaire de ce cher Joann Sfar, avant comme après, je me suis demandé comment des gens intelligents, pour la plupart armés de bonnes intentions, pouvaient néanmoins en arriver là.

Le poumon, vous dis-je !

On ne se refait pas : structuraliste un jour, structuraliste toujours. La réponse m'est vite apparue : il n'y a pas de « salauds » dans cette histoire, simplement des gens ordinaires que le jeu perverti des institutions politiques rend complètement cinglés.

Et à ceux qui verraient dans ma prose un reflet de lectures rousseauistes, je renvoie à l'excellent recadrage fourni récemment par Frédéric Lordon, citant son maître Spinoza : homo homini lupus deusque - « L'homme est un loup pour l'Homme ET un Dieu ». A lui, précise Lordon, de trouver les moyens de mettre davantage en lumière le côté « divin » que la face « animale ». Et comment donc ? En se dotant des institutions qui le permettront.

Parce qu'il faut bien le dire, les deniers évènements n'ont pas mis en lumière ce qu'il y avait de plus relu dans notre peuple chétif. D'élections hyper-personnalisées en manifestations façon 11-janvier où l'unanimisme obligatoire devient la règle, en passant par des polémiques surréalistes sur les bouts de tissu que peut porter un tel et surtout une telle, les passions sont à chaque fois chauffées à blanc. Une impression domine, c'est que ce pays n'est plus capable désormais de traiter une question politique autrement que par l'hyper-hystérisation des débats. Et ce n'est pas bon pour trois raisons : primo, ça nous fait passer pour de sacrés imbéciles dans le reste du monde. Deuxio, ça met en péril la notion même de démocratie, qui repose sur l'acceptation mutuelle de l'arbitrage du dissensus. Quand les passions ont été aussi denses, le camp perdant verra sa défaite comme une humiliation, et cherchera sa revanche, à n'importe quel prix. Et tertio, ce n'est pas bon pour le cœur.

Il se pourrait bien que l'une de ces crises finisse par emporter ce qu'il reste de cohérence sociale et politique à l'ensemble « France ». Certains ici ne verront dans ce dernier point que des raisons de se réjouir ; pour ma part, mon patriotisme ayant toujours été au mieux bien tiède, je me contenterais d'observer la chose avec le recul de l'historien, n'était-ce le fait que les passions engendrées par ce genre de crises ne s'éteint pas en trois coups de cuillère à pot. En général, ça craint. Vraiment.

L'hystérie institutionnalisée

Il existe bien des raisons pour ce genre de déchaînements passionnels de moins en moins contrôlés ; la principale d'entre elles étant la présidentialisation à outrance de notre régime moribond. Par la grâce de l'inversion du calendrier présidentiel sous Chirac et Jospin, un magistral changement des règles façon « le vainqueur ramasse tout », nous voilà tenus d'élire UN homme, un seul et unique bonhomme dont la couleur politique comme la personnalité vont guider la destinée politique de ce pays pendant cinq ans, pour le meilleur ou pour le pire (et bien souvent pour le pire).

Et voilà le problème : combien de conversations commencent ces temps-ci par une accroche du style : « on peut penser ce qu'on veut du bonhomme, mais... » (ami lecteur, ne t'amuse surtout pas à faire de jeu à boire en les recensant. Ta santé est précieuse). Mais non : notre choix va essentiellement dépendre de ce que nous pensons du bonhomme, précisément ! Vous noterez d'ailleurs que ce billet ne mentionne pas « la meilleure raison de voter pour le programme de la FI ». Car lorsque nous nous retrouvons seuls dans notre confessionnal républicain, nous avons devant les yeux des bulletins ne comportant pas autre chose que des noms propres !

Et nous voilà donc embarqués dans un débat où l'on débattra naturellement des qualités de tel ou tel personnage, bien davantage que de son programme, fusse-t-il le meilleur du monde ! Je moquais il y a quelques mois la tendance que nous avions tous à gauche de chercher non pas un représentant, mais un messie capable de marcher sur l'eau (les plus zélotes dans cet effort s'abritant d'ailleurs bien souvent derrière leur couplet chéri de l'Internationale, ce qui constitue en la matière un sommet de faux-dercherie). Je n'avais pas totalement réalisé à ce moment-là que cela n'avait rien de conjoncturel, mais tout à voir avec le jeu des institutions telles qu'elles sont : on fait peser bien trop de choses sur le choix d'une seule femme ou d'un seul homme.

Comment éviter ce genre de non-sens civilisationnel ? En changeant les institutions, tout simplement. Or, quel programme le permet (parmi ceux ayant une chance raisonnable de l'emporter, désolé Philippe) ? Seul, celui de la FI et de Mélenchon. Voilà la raison principale pour laquelle je m'apprête à déposer un bulletin à son nom dans l'urne.

Objection, your honor !

Surgissent alors plusieurs remarques, la plupart fondées.

1. « Mélenchon ne fera rien du tout, il nous bernera comme tous les autres ».

A cela je n'ai pas grand-chose à répondre, si ce n'est ceci : un électeur dans l'isoloir est comme un général sur le champ de bataille, il doit prendre ses décisions en fonction de données partielles. Il ne verra jamais la totalité du tableau avant que l'action ne soit faite. Et ne pas faire de choix est souvent encore pire qu'en faire un « mauvais ». C'est un pari, que je ferai personnellement, parce que je préfère choisir la possibilité que Mélenchon permette le changement des institutions, plutôt que la certitude absolue que rien ne changera avec tous les autres. Et si le pari s'avère foireux, mektoub at mellah. On a le droit - et même le devoir - de se tromper, dans la vie.

2. « Le retour au régime parlementaire, c'est le retour au bazar généralisé façon IVe République » : Absurde. Il y a bien des façons d'organiser un régime parlementaire. Je n'observe pas un barouf généralisé en Allemagne, en Espagne, en Italie, ou au Royaume-Uni (ou à tout prendre, c'est un souk nettement moins nuisible que notre hystérie collective quinquennale).

3. « Laisse tomber tes institutions, et viens faire la révolution avec nous ! » :

Tentant, mais au vu de ce que je peux observer dans la sociologie du pays, bien des gens ont encore trop de choses à perdre pour faire la révolution. Au contraire, même : la tendance générale serait plutôt à la contre-révolution. Pour l'instant en tous cas, je préfère éviter de jouer avec le feu. L'appel à l'insurrection peut très facilement se retourner contre ses auteurs, surtout avec le décérébrage continu fourni par les chaînes « d'informations ».

Voilà en quelques mots la principale raison qui justifie ce paradoxe apparent : voter pour un « homme fort » précisément pour en finir une bonne fois pour toutes avec ce culte des « hommes forts ». Ne serait-ce que parce que ce genre de mythes absurdes ne laisse que bien rarement la place aux « femmes fortes ». Et parce que j'ai envie de discuter de nouveau de façon sereine avec mes semblables, que ce soit de vive voix ou de façon virtuelle. Bon vote (ou non-vote) à tou(te)s, et gardons la tête froide.

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