arié alimi (avatar)

arié alimi

Avocat au Barreau de Paris

Abonné·e de Mediapart

13 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 avril 2023

arié alimi (avatar)

arié alimi

Avocat au Barreau de Paris

Abonné·e de Mediapart

Les enfants des violences policières

Envers et contre l’évidence des témoignages, des corps et des vies brisés, des avenirs interrompus des mutilés, de la douleur partagée, le gouvernement persiste à taire et à faire taire l'expression de violences policières. Une violence sémantique qui va jusqu’à étouffer les mots qui la décrivent, quitte à poursuivre devant la justice tous ceux qui la dénoncent.

arié alimi (avatar)

arié alimi

Avocat au Barreau de Paris

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les mobilisations contre le projet de loi retraite et contre le projet de méga bassine de Sainte-Soline ont fait ressurgir sur nos écrans les images des violences policières. Celles qui s’étaient estompées après le mouvement des gilets jaunes, que l’on espérait disparues après le départ du préfet Lallement. Tirs de LBD, explosions de grenades, matraquages, manifestants écrasés à motos, coups de poings et de pieds, os brisés, peaux lacérées, plaies béantes et crânes traumatisés. La violence occulte désormais l’objet des contestations, double peine pour les manifestants.

Pourtant, nommer ces violences n’est pas chose aisée. Malgré leur reconnaissance, pour la première fois, par Emmanuel Macron devant les caméras le 4 décembre 2020, après le passage à tabac par des policiers de Michel Zecler, parce que noir. Envers et contre l’évidence des témoignages, des corps et des vies brisés, des avenirs interrompus, des visages humiliés, de la douleur partagée, en cercle concentriques, d’abord par les victimes, puis par leurs proches, puis par le plus grand nombre, la communauté des vivants. Une violence qui va jusqu’à étouffer les mots qui la décrivent, quitte à poursuivre devant la justice tous ceux qui la dénoncent, y compris ceux qui œuvrent pour la justice.

S’il devait y avoir une règle éthique fondamentale attachée à l’exercice du pouvoir, ce serait celle de la transparence, celle de donner à voir l’exercice et le résultat de son mandat, car le seul pouvoir, résulte de la confiance donnée pour représenter. En lieu et place de cette transparence, il y a quelque chose d’orange mécanique, dans ce geste de l’Etat qui à la fois nous étrangle et nous contraint à regarder la violence qui s’exerce sur nos propres corps.

Témoigner de ces violences policières devient alors un impératif catégorique, celui de rendre hommage à celles et ceux qui nous ont légué leurs récits et préparer celles et ceux qui accueilleront le nôtre. Témoigner est cette exigence de ceux qui peuvent voir, filmer, rendre compte. Témoigner encore, pour lutter contre l’arbitraire et la violence.

Témoigner de ce que l’usage de la force et des armes, des interpellations et des gardes à vues, qui devraient répondre à une rationalité légale, sont désormais l’expression d’une politique illégale visant à dominer, soumettre, intimider, briser, quelque fois à mutiler ou à tuer. Les violences policières sont ces nouvelles armes qui nassent notre destin collectif, domestiquent nos consciences, brutalisent à vue, traumatisent à vie.

Témoigner d’un maintien de l’ordre qui d’ordre ne maintient plus qu’un pouvoir. Un pouvoir nu, hérissé d’armes et de casques de policiers et gendarmes partageant l’illusion qu’ils agissent pour le bien commun et la sécurité de leurs concitoyens quand ils ne font que participer à leur assujettissement et à leur humiliation.  

Ils ont pourtant raison de dire que la violence et la détermination se lit dans les regards de toujours plus de manifestants. Elles sont filles de la violence sociale, de la paupérisation croissante, de l’accroissement des inégalités et des discriminations contre ceux dont les grands-parents ont pensé qu’ils vivraient libres dans un monde d’égaux. Elles germent sur l’angoisse métaphysique d’une nature asséchée et flétrie par nos propres mains, d’une maison, notre maison, que nous voyons désormais brûler à force de productivité. Elles germent sur nos politiques publiques à contre-sens d’une histoire commune. Cette violence est enfin et surtout l’enfant des violences policières.

La violence c’est celle d’une justice qui ne juge que les enfants des violences policières. Ils étaient ouvriers, noirs ou arabes, à genoux, les mains sur la tête. Ils sont désormais sur les poubelles qui brûlent à la sortie d’un lycée cossu, libraire dans le 20ème, étudiante normalienne, leader syndical avec des lunettes de piscine dans son sac, une infirmière ou aide-soignante à la sortie du COVID-19, informaticien d’une banque d’affaire de la défense, caissière avec son gilet jaune cachée dans son sac à main, livreur a scooter et père de cinq enfants, guide de montagne. Ils sont même quelques fois policiers ou gendarmes, ou enfants de policiers et de gendarmes, et subissent la violence qu’on leur a demandé d’infliger, victimes à leur tour.

Les enfants des violences policières, c’est ce peuple qui n’est ni "foule" ni "faction", ce peuple qui ne laissera pas ses aspirations être foulées au pied, qui bravera les rangs d’uniformes, ce peuple qui sait que la violence ne sera jamais que la dernière expression d’un pouvoir finissant. Un peuple qui se refuse à être la pupille d’un Etat de droit disparu.

"Au sommet de la plus haute tension va jaillir l'élan d'une droite flèche, du trait le plus dur et le plus libre", Albert Camus, L'homme révolté.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.