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Billet de blog 11 décembre 2019

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WOLTERS KLUWER : Un scandale fiscal, social et judiciaire

Ouvrages de référence pour de nombreux acteurs de l’économie, les éditions Lamy et Liaisons sociales  sont  rachetées dans les années 90 par le groupe néerlandais Wolters Kluwer, spécialisé dans l’édition et…   l’évasion fiscale massive, décomplexée, et qui bénéficie à ce jour de la plus grande bienveillance des autorités financières et judiciaires de notre pays.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un siècle d’histoire avant prédation

Wolters Kluwer, une naissance au Pays Bas au 19ème siècle

Au cours du 19ème siècle,   3 maison d’éditions sont créées  au Pays Bas,  J.B. Wolters (1836),  N. Samson (1882) et d’A.E. Kluwer, qui quelques fusions plus tard, donnèrent naissance au groupe Wolters Kluwer .

Et  une implantation en France, un siècle plus tard

En 1895, Ludovic Lamy, confiturier normand, publie le premier bulletin des transports.
Au cours du 20ème siècle, les éditions Lamy ne cessent d’élargir  leur gamme de produits à de nombreux secteurs comme le fiscal, le social …, pour devenir dans les années 80 un mastodonte de l’édition pour les professionnels, directions d’entreprises, représentants du personnel, professions libérales.

En  1966, Patrice Aristide Blank crée le groupe Liaisons qui deviendra Liaisons sociales dans les années 80, spécialisée dans les ressources humaines, puis dans le juridique et le fiscal.

En rachetant les éditions Lamy en 1989 et Liaisons sociales en 1996, le groupe Wolters Kluwer (WK)  s’assure une solide assise  sur le sol français.

Une excellente situation  financière en 2006, avant le pillage

Au début des années 2000, le groupe  WK  se développe  en France avec des acquisitions et  créations de filiales. En 2006, le groupe WK détient  9 filiales actives et leur holding, (Holding WK France) et emploie 1 250 salariés en France.

La rentabilité est alors  d’un très bon niveau, et les versements de dividendes à la maison mère néerlandaise  atteignent 37 millions € annuel, pour un capital investi de 30 millions €.

Mais cette rémunération   de 123% du capital ne satisfait pas les actionnaires, ils veulent faire main basse sur une cagnotte, les 16 millions € annuel versés à l’Etat français au titre de l’impôt sur le bénéfice et les 5 millions € annuel versés aux salariés au titre de la participation.

Les prémisses du détournement apparaissent en décembre 2004, avec la création d’une entreprise filiale dénommée Wolters Kluwer France, (WK France) sans patrimoine, sans activité, une véritable coquille vide durant les  années 2005 et 2006.

Les grandes manœuvres de l’année 2007

Une opération en toute opacité

La première étape consiste à fusionner les 9 entreprises en une seule entité  qui reste  filiale de Holding WK France.
Puis, Holding WK France vend  cette nouvelle entreprise  à  sa filiale, la coquille vide WK France, pour un montant d’environ 700 millions €.

Masquant une manœuvre frauduleuse

UNE VENTE « FICTIVE », SANS AUCUN  TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ

A l’issue de l’opération, les 9 entreprises appartiennent toujours à la holding française, elle-même  toujours détenue par la holding néerlandaise.

MAIS AVEC UNE CHARGE  BIEN RÉELLE

WK France, regroupant les Lamy, Liaisons sociales … devient redevable d’une somme de 700 millions €  et sera contrainte de s’endetter lourdement pour financer ce rachat « bidon ».

AGGRAVÉE PAR LE COÛT ÉLEVÉ DE L’EMPRUNT

La holding néerlandaise consent alors un prêt de 445 millions € avec un taux d’intérêt particulièrement élevé.
Entre 2008 et 2016, le montant cumulé des frais financiers  payés par WK France est  de 110 millions €.

DONT LE BÉNÉFICIAIRE EST LA HOLDING DES PAYS BAS

Cette vente fictive, en apparence franco française, donnera lieu à un versement immédiat de 500 millions €, sous forme de dividendes exceptionnels à la holding néerlandaise, qui percevra, en outre les frais financiers liés à l’emprunt.

ET LES PRINCIPALES VICTIMES L’ÉTAT FRANÇAIS ET LES SALARIÉS

L’impôt sur le bénéfice de 16 millions € et la participation de 5 millions € versés en France chaque année  avant la manœuvre  frauduleuse, sont réduits  à néant et pour longtemps.

Sans aucun respect des procédures

L’information délivrée aux élus des Comités d’entreprise sera délibérément mensongère, il ne sera question que de « transmission universelle de patrimoine » sans aucune incidence financière.
Les représentants du personnel découvriront « le pot aux roses » en 2008, lors de l’expertise annuelle des comptes.
Pour un groupe  spécialiste des questions sociales, Lamy Social, Liaisons sociales, l’absence de respect des procédures constitue une volonté manifeste et cynique de tromperie.

Et les conséquences économiques sur long terme

En France, un désastre financier et social

Une dégradation de l’activité avec une réduction drastique  du chiffre d’affaires, divisé par 2 entre 2008 et 2016.
Des résultats  catastrophiques avec des déficits cumulés de  622 millions € sur 10 ans.
Une chute de l’effectif  avec une succession de plans sociaux :  1250 salariés  en 2007, 450 salariés en 2017.

Pour le  groupe néerlandais, un pactole

UNE SANTÉ FLORISSANTE

En 2016, le groupe est implanté dans 13 pays européens et aux USA, son chiffre d’affaires est  de 4,2 milliards €, en progression régulière sur les 4 dernières années et le résultat net après impôt atteint le demi milliard, lui aussi en hausse permanente.

UTILISÉE POUR ASSISTER LES ÉVADÉS FISCAUX

Dans son ouvrage « Les paradis fiscaux- Enquête sur les ravages de la finance néo libérale »  Nicholas Shaxson dévoile que le Groupe WK possède   le plus grand immeuble de domiciliation pour exilés fiscaux, dans l’état du Delaware, état des USA classé dans les paradis fiscaux.

Un beau ruissellement d’argent entre exilés fiscaux !

Des contrôles verrouillés

Les commissaires aux comptes et leur validation

Selon l’article L823-9 du code du commerce, les commissaires aux comptes sont chargés de contrôler et de justifier la régularité des comptes et leur  sincérité,   et de certifier que ces comptes « donnent une image fidèle du résultat …de la situation financière … et du patrimoine de l’entreprise »

Selon l’article L 823-12 du code du commerce, les commissaires aux comptes «  révèlent au procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance, sans que leur responsabilité puisse être engagée par cette révélation. »

Selon l’article 6 du code de déontologie,  le commissaire aux comptes doit être «  attentif aux éléments qui pourraient révéler l’existence d’éventuelles anomalies significatives dues à une erreur ou à une fraude et en procédant à une évaluation critique des éléments probants pour la certification des comptes ».

Selon ces articles, les commissaires aux comptes auraient pu émettre des réserves ou ne pas certifier les comptes,

Mais, rappelons le,  le commissaire aux comptes est désigné par l’assemblée  des actionnaires pour une durée de 6 ans, renouvelable indéfiniment. Ce mode de désignation crée une situation de dépendance de fait entre les commissaires aux comptes qui contrôlent et les directions d’entreprise qui les choisissent et les rémunèrent.

En outre, chez WK, c’est le même cabinet qui est désigné pour la France et pour l’ensemble du Groupe, cela renforce encore plus la contrainte.
Les sanctions prévues par la loi, en cas de défaillance, sont rarement appliquées (voir les exemples)

Le contrôle fiscal et le verrou de Bercy

Lorsque  l’administration fiscale constate une fraude fiscale, elle  n’a plus le droit, depuis 1977, de porter  plainte devant les tribunaux, cette action étant réservée  au seul ministre du budget . Ce dernier  peut décider  d’orienter le dossier vers la commission des infractions fiscales (CIF) ou  de régler le problème à l’amiable avec des régularisations plus ou moins importantes. Ce pouvoir discrétionnaire du ministre se dénomme « le verrou de Bercy ».
Dans le cas de WK, le verrou a bien fonctionné et le groupe n’a pas été poursuivi pour fraude fiscale.

L’action en justice et l’arrêt « incompréhensible » de la cour de cassation

Les représentants du personnel ont saisi la justice, pour dénoncer  les grossières manipulations qui ont privé les salariés de leur participation.

UN PREMIER  JUGEMENT POSITIF

Le 2 février 2016, la Cour d’appel de Versailles rend son jugement

« les sociétés WKF et Holding WKF, par des manoeuvres frauduleuses constituées à la fois par la non-communication au CE des documents comptables légalement obligatoires et par un discours trompeur auprès du CE, ont sciemment dissimulé au CE de la société WKF […] l’augmentation importante de l’endettement de la société WKF ayant pour effet direct l’absence de réserve spéciale de participation et donc du versement de cette participation aux salariés ».

La cour d’appel a condamné WKF à verser à tous les salariés la participation due depuis 2007, soit plusieurs millions €.

CASSÉ SANS RENVOI PAR LA COUR DE CASSATION

Suite au pourvoi de la Direction de WKF en cour de cassation, un jugement a été rendu le 28 février 2018, véritable incitation à l’évasion fiscale.

La cour de cassation  casse le jugement de la cour d’appel en utilisant l’article L 3326-1 du Code du travail. Ce dernier stipule que lorsque le commissaire aux comptes a établi une attestation des éléments de calcul de la participation (bénéfice net et capitaux propres),  cette dernière ne peut être remise en cause, peu importe le caractère frauduleux des opérations.

Les conséquences de cette décision sont très graves quand on sait l’indulgence des commissaires aux comptes vis-à-vis de montages financiers plus que douteux.

A l’origine : Un conflit d’intérêt ?

Les raisons de cette décision pourraient tout simplement être dues à un conflit d’intérêt particulièrement scandaleux dévoilé par le  « Canard Enchaîne » du  28 avril, 2018  « Sur les six conseillers de la Cour de Cassation ayant voté, trois sont des collaborateurs réguliers de WKF » .
Trois des six magistrats qui ont pris la décision de cet arrêt sans renvoi étaient régulièrement rémunérés par  WKF.

Sanctionné par une procédure disciplinaire ?

Le 3 juillet 2018, les syndicats, SNJ, SNE-CFDT et UGICTCGT,  saisissent le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), afin que des sanctions soient prises à l’encontre de ces magistrats.
En janvier 2019, le CSM  lance une procédure disciplinaires contre les trois magistrats concernés.

NON, car détournée par la grande solidarité entre  puissants

Incroyable mais vrai : lors de la tenue de ce conseil de discipline, le représentant du ministère de la justice ose considérer qu’aucune faute disciplinaire n’a été commise et ne retient qu’ un léger manquement aux obligations d'impartialité pour l’un des magistrats .

L'affaire est mise en délibéré, et le CSM rendra sa décision le 19 décembre, dont on peut craindre la trop grande bienveillance vis-à-vis d’un réel conflit d’intérêt. et dont les conséquences financières sont lourdes pour l'Etat français comme pour les salariés de ce groupe.

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