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Billet de blog 7 avril 2015

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LA FRANCE RÉSISTE AU MONDE (suite 1)

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 LE « LOBBYNG » RÉCURENT DU MONDE POUR RÉHABILITER

 DES COLLABORATEURS NOTOIRES DU RÉGIME NAZI SOUS L’OCCUPATION.

 Précédent : Max Bonnafous, ministre de Laval

 Aujourd’hui : Louis Renault

 On a vu dans un précédent billet Le Monde militer, par historienne interposée, pour la réhabilitation d’un ministre de Pierre Laval : Max Bonnafous. On a vu que ce dernier fut amnistié pour faits de résistance. Comme avait été amnistié René Bousquet… et pour les mêmes raisons ?

 On verra dans un autre billet, mais tout le monde s’en souvient encore, qu’un romancier, Alexandre Jardin, s’interrogeait à propos de son papy, chef de cabinet de Laval sous l’Occupation : « Que faisait mon grand-père le jour de la rafle du Vél’d’Hiv ? ». Sale petit-fils avait alors décrété l’historien Pierre Assouline dans le journal ici épinglé où il chroniquait. Celui-ci en effet, auteur d’une biographie du chef de cabinet de Laval, l’avait lui aussi amnistié.

 Heureusement, Le Monde a trouvé de bons petits-enfants. Huit. Ceux de Louis Renault, le constructeur automobile. En effet, Le Monde magazine du 8 janvier 2011 révélait alors une décision de justice de juillet 2010 condamnant le Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane à retirer une photographie montrant Louis Renault avec Hitler (celle ci-dessus). Motif principal invoqué, la légende accompagnant la photo : « Louis Renault fabriqua des chars, pour la Wehrmacht ». Un premier référé d’octobre 2009 avait donné raison au Centre de la mémoire. Ce procès en appel « laisse un goût amer » déclara Richard Jezierski, le responsable du Centre. Celui-ci n’a pas voulu poursuivre le feuilleton judiciaire : « on s’est dit  qu’on  n’allait  pas claquer 20 000 Euros de frais de justice pour un pourvoi en Cassation si c’est pour être jugé sur la forme… Mais cette décision de justice fait mal ».

 Louis Renault, et plus précisément sa société (la SAUR), ont-ils fabriqué des chars pour les Allemands ? Pour l’historien Laurent Dingli, accessoirement marié à l’une des petites-filles du constructeur, « Jamais Louis Renault n’a accepté de fabriquer des chars pour les Allemands ». Pas fabriqués alors, mais réparés pour les Allemands ? « Si des chars ont été réparés, c’était dans des ateliers réquisitionnés par l’Occupant » affirme Laurent Dingli, historien et mari donc d’Hélène (« une femme chaleureuse » précise le journaliste Thomas Wieder) dans le numéro du Monde magazine cité.

 Ateliers réquisitionnés ? Une historienne, Annie Lacroix-Riz, dans une étude publiée en février 2011 sur le site Médiapart, démontre que l’acceptation de réparer des chars pour la Wehrmacht remonte à l’été 1940. Louis Renault, « revenu début juillet (1940) des États-Unis, discute avec les Allemands pendant « trois semaines […] sur la question de la réparation des chars ». Le 1er août, il signifie au général Tuckertort son acceptation formelle, étayée par une lettre « remise à la fin de (cette) conférence, de réparer pour la Wehrmacht “dès le 2 août” les chars de la maison (Renault) ». Annie Lacroix-Riz ajoute qu’après un entretien de M. Lehideux avec les autorités Allemandes « Il ressort du compte-rendu écrit de cet entretien qu’entre les 1er et 4 août 1940, Louis Renault et la direction de la SAUR agréèrent définitivement l’exigence allemande de réparation des chars français pour usage allemand ; et que Lehideux, le 4 août, requit de Schmidt, en leur nom, “la direction allemande” de ces travaux, seule apte à soustraire la direction française à ses responsabilités face à un personnel très réticent. Ainsi naquit la “réquisition” allemande, née d’une demande française, astuce juridique si utile après la Libération… ». Ainsi il est évident que les « réquisitions » allemandes réclamées par Louis Renault ne résultaient pas d’une demande des occupants, mais d’une « tactique » des dirigeants de l’entreprise face aux réticences du personnel.

 Laurent Dingli, afin de dédouaner le Patron accuse François Lehideux, neveu par alliance de Louis Renault d’avoir mené ces négociations. Annie Lacroix-Riz révèle que le 4 août 1940, au cours d’une réunion tenue à l’Hôtel Majestic entre des responsables allemands et des dirigeants de la SAUR, la partie allemande rappela la condition acceptée par Louis Renault : la réparation des chars dès le 2 août. Annie Lacroix-Riz ajoute : « M. Renault, lui a remis une lettre destinée au général et a confirmé verbalement et à plusieurs reprises ce qu’il avait écrit, à savoir (que) M. Lehideux avait pleins pouvoirs pour traiter de la question de l’entretien des chars. Il a donné l’assurance qu’il n’aurait pas à désavouer M. Lehideux ». François Lehideux était alors, bien avant 1940, directeur général de l’entreprise et un personnage peu recommandable comme le soutiennent aujourd’hui les petits-enfants de Louis Renault, mais il est bien difficile de faire croire que l’oncle et le neveu étaient en opposition.

 Les journalistes du Monde magazine, tout à l’écoute des petits-enfants de Louis Renault  et à leur empathie pour ceux-ci ne disent mots de ces faits. Pourtant, Louis Renault, en matière de collaboration, on l’a vu, n’avait probablement rien à envier à son neveu, même si, écrit Annie Lacroix-Riz, « Louis Renault et les siens s’étaient acharnés à détruire les traces de leur très long emballement pour le Reich. Le Populaire, organe de la SFIO, parti antibolchévique, s’écria, à l’époque de l’arrestation de Louis Renault et de Peyrecave : « Les dossiers de Louis Renault auraient disparu ! … Les scellés n’auraient pas été apposés sur son hôtel ! C’est d’ailleurs à un véritable déménagement que l’on s’est livré ces jours-ci dans la somptueuse demeure de l’avenue Foch ». « Il reste pourtant trace de cette durable passion : les pièces françaises détruites sont parfois compensées par des sources allemandes » ajoute-t-elle.

 Le débat à propos de la fabrication ou non de chars pour l’armée allemande (leurs réparations ne sont contestées par personne) est l’arbre qui cache la forêt. Le 6 avril 1943, au siège du COA (il s’agit du Comité d’Organisation de l’industrie Automobile qui fut le pilier économique permettant la concentration de l’économie française et visant à drainer la quasi-totalité des matières premières et des produits finis, vers le Reich) furent fournis les chiffres de la production automobile française à destination du Reich : 10 000 unités par mois, soit 120 000 par an. Annie Lacroix-Riz écrit à ce propos : « Évaluation conforme au cri du cœur poussé par Lehideux devant Milch et von Loeb en mai 1942 : ma volonté d’« entente entre la France et l’Allemagne » a été démontrée par l’«  aide réelle et efficace » que j’ai fournie « à l’Allemagne (…) puisque 150 000 camions ont été livrés à l’armée allemande par les différentes usines françaises ». Il en est allé de même « sur le plan de la production (générale), et, soit par mon fait, soit par celui de mes amis, de nombreuses fournitures ont été faites à l’armée allemande : des centaines de millions de commandes ont été réalisées dans les usines françaises, et une coopération économique dépassant les espérances que les autorités allemandes avaient pu former s’est développée entre la France et l’Allemagne. […] J’agissais non pas en technicien, mais en homme politique, en homme qui faisait confiance à la sagesse politique de l’Allemagne et qui, en quelque sorte, tirait un chèque en blanc sur la compréhension politique et sur la largeur de vues des hommes d’État responsables de l’Allemagne ».

 Il faut rappeler que Lehideux bénéficiait des pleins pouvoirs de Louis Renault pour traiter de la question de l’entretien des chars et qu’il avait donné l’assurance qu’il n’aurait pas à le désavouer. Il faut savoir qu’aucune armée constituée uniquement de chars ne pourrait opérer si elle n’était secondée par l’infanterie, celle-ci se déplaçant en camions. La fabrication de ceux-ci par Renault et d’autres était autant des actes de collaboration économique que de guerre. On ne sait si les troupes allemandes pénétrant à Oradour-sur-Glane étaient véhiculées dans des camions Renault ?

 Ici une anecdote personnelle. Enfin, une histoire racontée par l’une de mes tantes, Marie Kalinsky, dans son journal personnel. Elle fut sous l’Occupation résistante à la M.O.I. Elle fut aussi après la guerre ma seconde mère.

 Voici l’histoire : « Aubervilliers, 9 juin 1940. Quelle triste journée, malgré le soleil qui nous réchauffe et nous donne de la gaîté, c’est la défaite de l’armée française. Des soldats sur les routes et partout, dans un état pitoyable. Ils courent, ils courent. Ils fuient l’ennemi qui les poursuit. La boulangère du coin de la rue a mis devant sa porte une table avec des boissons rafraîchissantes et les malheureux soldats s’arrêtent  pour étancher leur soif. Un soldat s’écroule parterre. Il ne peut plus marcher. Il demande des habits civils pour ne pas être fait prisonnier. C’est triste.

 À 16 heures, la police d’Aubervilliers part à une vitesse inimaginable (nous les voyons par la fenêtre car nous habitons près du commissariat), en voitures, en motos, en bicyclettes. Ceux qui partent à pied courent aussi vite que les cyclistes.

 À 17 heures, je vois la police revenir. Ah l’espoir ! Les allemands sont-ils repoussés ? Je descends au commissariat. Le désespoir est encore plus grand. À ma question, voici la réponse : « nous ne savons rien Madame ». On nous a donné l’ordre de rester sur place. Je me risque à poser une question : « dans ce cas, les allemands doivent être repoussé ». « Oh non Madame, ils sont au Bourget. Ils vont être ici au plus tard demain matin ».

 À 19 heures, arrivée des troupes sénégalaises. Nous n’osons plus sortir dans la rue. À 20 heures, on nous oblige à descendre dans les abris : on va faire sauter les dépôts de pétrole et à La Courneuve l’usine d’armements. La nuit est calme. Rien ne se produit. L’ordre est arrivé de tout laisser en place. Si quelqu'un désobéit et fait du sabotage, il sera fusillé sur place.

Le matin du 10 juin, nous sommes sur la route qui mène au Bourget. Beaucoup de monde. Je vois la police du commissariat en civil, non armée. Je suis à côté du premier secrétaire du commissariat. Nous regardons les troupes allemandes défilées en ordre parfait. Soudain, le policier pousse un cri et prend sa tête dans les mains. Je lui demande : « qu’est qu’il vous arrive ». Il me répond : « vous ne voyez pas ? Ce sont nos voitures, des Renault ».

 Ainsi Louis Renault, s’il fournissait des véhicules aux armées nazies pendant la guerre, en aurait aussi fournit aux mêmes armées pendant la préparation de celle-ci… Juvaquatre compris ?

 Les journalistes du Monde, tout à leur engagement dans la réhabilitation de Louis Renault, se gardent bien de traiter ces sujets. « Ce combat pour la réhabilitation morale de Louis Renault est devenu le ciment d’une fratrie dispersée » écrivaient ces journalistes dans leur article du Monde magazine. Morale en effet, l’industriel n’a jamais été condamné. Incarcéré en septembre 1944, il meurt le 24 octobre pendant l’instruction.

 « Alors que les livraisons fournies par la société Renault à l’armée française s’étaient montrées notoirement insuffisantes pendant les années qui ont précédé la guerre, les prestations à l’armée allemande ont, durant l’Occupation, été particulièrement importantes et ne se sont trouvées freinées que par les bombardements de l’aviation alliée des usines du Mans et de Billancourt. » disait l’ordonnance du 1er janvier 1945 prononçant la dissolution de la société Renault et sa nationalisation sous le nom de Régie nationale des usines Renault (Rnur). En effet, c’est dans la documentation du BCRA, le service de renseignement du Général de Gaulle à Londres, que furent trouvés les documents transmis par la Résistance et qui justifièrent les bombardements de ces usines. La nationalisation ne concerna que la société Renault, toute la fortune personnelle de Louis Renault fut, elle, restituée à ses héritiers.

 Le 9 mai 2011, ce combat pour une réhabilitation morale se transforme en combat pour une réparation du préjudice matériel et moral. Cette évolution, après une victoire au tribunal par abandon du Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane, faute de munitions, conduit les héritiers à avoir d’autres ambitions. Ils demandent « la désignation d’un expert afin d’évaluer le montant des indemnités auxquelles peuvent prétendre les descendants de Louis Renault, intérêts et principal depuis… 1945 ». En 1944, le capital de la société avait été évalué à 240 millions de francs de l’époque. Celui-ci était alors détenu à 97,53 % par Louis Renault et sa famille. Pascale Robert-Diard et Thomas Wieder, dans un article du Monde daté du 13 mai 2011, assurent que la motivation des héritiers n’est pas financière. Que ne se seraient-ils alors contentés d’un Euro symbolique ?

 Tous les articles des journalistes visent à accréditer la thèse familiale. Historien clef pour eux : Laurent Dingli. Mari de l’une des petites-filles de Louis Renault, il est donc à la fois partie prenante de l’héritage (ce qui dépend bien sûr du contrat de mariage) et celui censé dire « LA » vérité. Il y a confusion des genres. Dans son article du Monde magazine, Thomas Wieder répertorie les historiens en désaccord avec les thèses de Laurent Dingli : Julian Jackson (La France sous l’Occupation), Philippe Burrin (La France à l’heure allemande), Fernand Picard (Épopée de Renault), et, dans une moindre mesure, Emmanuel Chadeau (Louis Renault, biographie). Dans leur article du 13 mars 2011, les journalistes du Monde n’opposent plus à Laurent Dinglo, qui a leurs faveurs, qu’Annie Lacroix-Riz. « Pour Thomas Wieder, Annie Lacroix-Riz serait extrêmement contestée dans le milieu universitaire » dit-il un jour, perfidement, à Sébastien Rocha (le 15 mars 2011 sur le site d’@rrêt sur image). Reste donc Laurent Dingli. Vous avez dit « objectivité » ? Pour les petits-enfants de Louis Renault, il ne s’agit finalement que de partir à la conquête d’un gros magot. Ceci à la faveur de la Question Prioritaire de Constitutionalité (QPC), instaurée en mars 2010, qui permet de contester devant le juge constitutionnel une disposition législative, ici la nationalisation de la société Renault. « C’est ce verrou que vient de faire sauter la QPC » affirment les deux journalistes, pour qui les choses semblaient déjà acquises.

 11 janvier 2012, Annie Thomas (AFP) : «  PARIS – Les héritiers du constructeur automobile Louis Renault, qui réclament réparation pour la nationalisation-sanction de la firme en 1945, ont perdu mercredi une première bataille en justice dans ce dossier, le TGI de Paris s’étant déclaré incompétent pour statuer sur leur demande ».

 « Le juge de la mise en état a dit le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour statuer sur l’action des héritiers Renault et renvoyé les parties à mieux se pourvoir… Il n’y a donc pas lieu de statuer sur la demande de transmission de la QPC soulevée par les demandeurs… »

 La France résiste au Monde.

  ET UNE DERNIÈRE… AVANT-DERNIÈRE INFORMATION

 POUR LIRE L’ARTICLE :

 http://www.humanite.fr/enfin-apres-dix-ans-noubliez-pas-loubli-570298

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