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Lien 22 janv. 2014

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Presse écrite, blogs : silences, censures et liberté

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Illustration 1
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Presse écrite, blogs : silences, censures et liberté.

La presse écrite est en crise paraît-il. Le quatrième pouvoir s’effrite. Elle n’a plus le monopole de l’investigation, des révélations… et de la censure. Existe aujourd’hui « Internet ». Ce qui n’est pas découvert par elle, ou si cela l’est mais est censuré, et cela arrive, est révélé ailleurs : sur les  « sites » et les « blogs ».

 On se souvient de l’appel lancé par des personnalités lyonnaises (l’anthropologue Charles Gardou, le directeur d’un magazine : Jean-Marc Maillet-Contoz et la député européenne et aussi adjointe au Maire de Lyon Sylvie Guillaume) pour la création d’un mémorial en hommage aux personnes handicapées victimes du régime nazi et de celui de Vichy. Appel qui rappelle que « 275 000 enfants ou adultes affectés d’une déficience mentales ou physique furent assassinés dans le cadre d’Aktion T4, un programme terrible mis en œuvre par le troisième Reich ». Il signalait qu’en Allemagne un site commémoratif dédié à ces victimes allait ouvrir ses portes à l’automne 2014. Qui ajoutait qu’en France 50 000 personnes internées dans les hôpitaux psychiatriques, sous le régime de Vichy, étaient mortes par abandon, absence de soins, sous-alimentation et autres maltraitances. D’où la pétition pour la réalisation d’un mémorial qui leur soit, chez  nous, dédié. Cet appel, lancé en novembre 2013 a recueilli au moment où ces lignes sont écrites plus de 7 000 signatures.

 La presse nationale écrite a gardé jusqu’à maintenant, sur le sujet, le silence alors que sur le « net » la pétition est de plus en plus relayée. Peut-être ce silence sera-t-il rompu à la faveur de sa présentation à la presse le 27 janvier prochain à l’occasion de la Journée Internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste ? Il est vrai qu’il s’agit pour cette presse d’un sujet tabou. Si le silence peut persister dans la presse écrite nationale, celui-ci est impossible sur Internet.

 La preuve, voici, à titre d’exemples, des sites qui en parle ou qui en ont parlé :

- Mediapart, bien sûr, dans les pages « cultures » ;

- le journal « La Croix », sur son site ;

- Entre les lignes entre les mots ;

- les AZA ;

- Les Analyseurs , le blog de Benyounès Bellagnech ;

- Change.org, d’où a été lancé la pétition ;

- Handirect ;

- G.I.H.P.-MIP ;

- l’APF en Essonne (91) ;

- Handicap.fr ;

- IZUBA ;

- FAIRE FACE ;

- Le blog de hugo ;

- Handicapinfos.com ;

- Sans raison apparente (sur les blogs du journal « Libération ») ;

- Odile, solidaire et combative ;

- ADAPEI de l’Ariège ;

- Hamploi.com ;

- ENSEMBLE, Front de gauche ;

- Collectif, Plus digne la vie ;

- La déficience intellectuelle dans le monde ;

- Espace Éthique, région Ile-de-France ;

- UNAPEDA ;

- Roger Romain de Courcelles ;

- Arieda ;

- être, handicap information ;

- Éthique et finitude par Danielle Moyse (sur les blogs du journal « La Croix ») ;

- Autisme Basse Normandie ;

- Délégation départementale APF du Bas-Rhin ;

- l’AAVPF ;

- Facebook(s)

 Le silence jusque là dans la presse écrite à propos, entre autres, de cet appel pour un mémorial dédié aux victimes handicapées mentales résultant de l’abandon à la mort par le régime de Vichy : essai d’exolication.

« Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondé par des Français, par l’État français » déclarait le Président de la République, Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, commémorant les rafles de 1942 et la déportation vers l’Allemagne des juifs de France. Il reconnaissait ainsi, officiellement, pour la première fois la complicité de l’État français dans ces déportations. Un tabou était tombé. Jusque-là tous les dirigeants de la Cinquième République (de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand) avaient rejeté une telle reconnaissance des crimes de Vichy. Pourtant : « Notre pays, depuis un peu plus de trente ans, a été de drame national en drame national. […] Alors, … je me sens le droit de dire : allons-nous éternellement entretenir saignantes les plaies de nos désaccords nationaux ? Le moment n’est-il pas venu de jeter le voile, d’oublier le temps où les Français ne s’aimaient pas, s’entre-déchiraient et même s’entre-tuaient ? » avait déclaré Georges Pompidou le 21 septembre 1972. Il fallait se taire ! Il est nécessaire de « mettre un terme à la guerre civile permanente entre français » déclarait Mitterrand, reprenant l’argument de Pompidou, une vingtaine d’années plus tard. Il fallait encore se taire ! « Le devoir de mémoire donne-t-il le droit d’ouvrir un procès perpétuel à la génération de la guerre ? » écrivaient Henry Rousso et Éric Conan en 1994. Et ils répondaient NON : « l’obsession du passé, de ce passé-là, n’est qu’un substitut aux urgences du présent ». Il faut toujours se taire était l’injonction.

Ainsi, jusqu’à cette date, « des gens très bien » pouvaient se satisfaire des prises de position de ces Présidents. Après le pavé dans la marre de Jacques Chirac, les « gens très bien » durent admettre alors, à contre-cœur peut-être, la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs de France. Pas dans celle des malades mentaux ! C’en était trop pour eux.

 En 2007, à la sortie de l’ouvrage d’une historienne, Isabelle Von Bueltzingsloewen – L’hécatombe des fous, ce fut le soulagement. « Incroyable mai vrai. Le régime de Vichy est enfin innocenté d’avoir programmé un “génocide”. Celui des pensionnaires des asiles d’aliénés » s’écria un journaliste de Rivarol, journal d’extrême-droite et pro-vichyste, y voyant sans doute une revanche à propos du tabou levé par Jacques Chirac. Il ajoutait : « En 1987 puis 1988, deux ouvrages rédigés par des psychiatres prétendaient que sur les 76 000 aliénés décédés (bilan total), 40 000 relevaient d’un programme “euthanasique”, bien sûr inspiré par le nazisme, et organisé par l’État français. Voire par “le docteur maréchaliste Alexis Carrel, initiateur en 1941 d’une fondation pour l’étude des problèmes humains” -  extrait d’un article dans Le Monde (du 23 février 2007) de Mme Elisabeth Roudinesco, qui s’inscrit d’ailleurs en faux contre la thèse du “génocide”, mais après avoir pris soin de préciser que Carrel était “de sinistre mémoire” ».

 Déjà en 1989 l’historien Henry Rousso, toujours lui, posant cette question : Vichy responsable de l’abandon à la mort des dizaines de milliers de malades mentaux ? Répondait : « il semble bien qu’il s’agisse d’un pur procès d’intention et non d’une réalité ». Et décrétait : « Le placard vichyste est déjà bien encombré sans qu’il soit besoin de l’enrichir de nouveaux cadavres ». Il faut se taire !

 Le 16 juillet 1997, Lionel Jospin, alors Premier ministre, s’exprima dans des termes similaires à ceux de Jacques Chirac. Le 21 octobre de cette même année, répondant à un article de Philippe Seguin dans Le Figaro où celui-ci reprochait au gouvernement l’esprit d’« autoflagellation », il répondait à l’Assemblée nationale : « Oui, des policiers, des administrateurs, des gendarmes, une administration, un État français ont perpétré, ont assumé devant l’histoire, des actes terrifiants, collaborant avec l’ennemi et avec « la solution finale… ». Répondant encore à François Bayrou qui appelait à la réconciliation des Français, il répliqua de cette manière en décembre 1997 : « Les français ne se rassembleront pas au prix de l’oubli, en tirant un signe égal entre les prudents et les justes, entre les collaborateurs et les résistants. Ils se rassembleront seulement sur des valeurs, qui sont celles de la démocratie, de la République… ».

 Il y a peu, en 2012, s’agissant des crimes colonialistes commis le 17 octobre 1961 sous la direction d’un préfet (Maurice Papon), un ancien premier ministre, François Fillon, déclarait  en avoir assez « que tous les quinze jours, la France se découvre une nouvelle responsabilité, mette en avant sa culpabilité permanente. J’ai déjà été choqué des déclarations de la France responsable des crimes commis pendant l’Occupation sur son territoire… ». Et reprenant en quelque sorte le propos d’Éric Conan et Henry Rousso de 1994 : « … que cesse ce rituel infantile consistant à s’indigner tous les six mois parce qu’un scoop révèle que des Français ont collaboré, ou que Vichy fut complice de la “Solution finale” ». Il faut se taire !

 Ce propos de François Fillon rappelle opportunément que le tabou levé par Jacques Chirac était pour certains un accident regrettable. Ces derniers nous somment d’oublier les méfaits et crimes d’État, qu’ils concernent le colonialisme ou Vichy. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer le débat à propos de l’abandon à la mort des fous internés dans les hôpitaux psychiatriques pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais la cohésion nationale d’un peuple ne passe pas par l’idéologie de l’oubli. Il ne s’agit pas de jeter de l’huile sur le feu, mais la cohésion nationale passe par la reconnaissance des responsabilités des uns et des autres : collaborateurs et résistants, colonialistes et anticolonialistes…

 Ainsi peuvent s’expliquer silences et censures d’une partie de la presse écrite. Et s’expliquer aussi la crise qui s’y installe. Le quatrième pouvoir s’effrite puisque on ne peut imposer le silence aux publications du « net ».

 Exemple. Lu ceci dans un groupe de discussion, sur Linkedin :

 Fofana Baba Idriss, journaliste-blogueur Ivoirien : « … en tant que Journaliste j’ai remarqué que je suis « embobiné » et renfermé à travers une ligne éditoriale. Mais, en tant que Blogueur je suis libre. Libre de dire ce que je pense, libre de dire ce que je vois, libre d’apprécier, libre de décrier… Parce que je n’ai pas un souci de vente, je ne cherche pas à plaire à qui que ce soit. Le tout, dans un maniement de la langue française, parce que je suis l’Éditeur, le Rédacteur en chef et le Directeur de Publication. À la limite, je suis plus professionnel à travers mon blog que dans un organe de presse ».

Kinda : « je suis un jeune journaliste et blogueur burkinabé. Je suis vraiment d’accord avec FBI. On est ligoté dans la pratique journalistique à travers ce qu’on appelle « ligne éditoriale ». Les DP protègent également leurs intérêts au point qu’il y a des choses que le journaliste ne peut pas dire. Quelqu’un l’a dit : « il n’y aura véritablement de liberté de la presse que si le journaliste peut écrire dans son propre organe ce qu’il pense de cet organe ». Ce qui ne peut pas se faire. Par contre dans le blog, on a toute la liberté d’écrire ce que l’on pense. Le blog c’est vraiment la liberté d’expression comme il faut l’entendre ».

Fofana Baba idriss : « Tu as vraiment tout compris, confrère KINDA. Le blog est au-delà d’un organe de presse. Car, si on n’est pas muselé par les autorités compétentes, c’est que nos papiers sont détournés par nos patrons. Cela est pénible. Ce qui voudrait dire que la presse ne sera jamais libre. Et, les blogs et les blogueurs existeront toujours, ils vivrons… Merci pour ta bonne compréhension de la chose ! ».

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